Retour de Wade Ou la face hideuse de la politique par Cheikh Mbacke Gueye

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Le pays a vibré depuis l’annonce du retour de l’ancien Chef d’État du Sénégal, Me Abdoulaye Wade. Les médias en ont fait leurs choux gras. Le retour, émaillé de rebondissements et de sensations, précède un séjour qui sera sans doute mouvementé. Les politiques, opposants et tenants du pouvoir compris, ont rivalisé de déclarations, qui pour louer les qualités de politicien de Wade, qui pour dénoncer ses méthodes antirépublicaines. Au-delà de ces querelles entre politiques, et au-delà du traitement exagéré et sensationnel que les médias ont réservé au retour de Wade, il serait utile de voir ce que cet évènement peut avoir comme signification dans la perception de la politique.

Il est étonnant de constater les éloges dithyrambiques presque unanimes à l’encontre de l’ancien président, présenté comme un virtuose de la politique. C’est ainsi qu’il aurait, selon certains spécialistes en la matière, une communication politique irréprochable ; il aurait tendu des pièges au régime en place qui aurait entièrement mordu à l’hameçon ; il aurait même tout planifié, allant de son escale « forcée » à sa marche bleue nocturne « improvisée »… Bref, on nous a présenté un chevronné de la politique dont les plus grands ratés sont commués en succès extraordinaires. Le vieux « renard » rend sans doute grâce à ces nombreux concours de circonstances et se délecte du traitement favorable réservé à son fracassant retour en politique.

Pourtant, je doute fort que le spectacle auquel on assiste avec le retour de Wade puisse véritablement participer de manière positive à l’image de la politique dans notre pays. Cette situation, grosse d’enseignements, concentre surtout de nombreux exemples qui peuvent amener à se désintéresser et à déprécier la politique.

Le retour de Wade, le toujours Secrétaire général du Parti démocratique sénégalais (PDS), est vu par beaucoup d’observateurs de la scène politique comme un coup de maître. J’estime, cependant, qu’en dehors du fait qu’il interpelle le pouvoir en place sur la nécessité d’apporter des solutions aux problèmes des populations, le retour de Wade ne fait que faire ressurgir tout ce qu’on pourrait ne pas aimer dans la politique telle qu’elle se pratique sous nos tropiques.

D’une part, il y a eu la réponse maladroite, et à la limite, superflue des tenants du pouvoir. Mobiliser autant d’énergie et de ressources pour justifier un retard qui serait dû à un refus de l’État du Sénégal de délivrer une autorisation d’atterrissage à l’avion de l’ancien président, est un exercice à la fois inutile et non-nécessaire. À la limite, une seule voix émanant de l’autorité aérienne aurait suffi pour expliquer les causes de ce « retard. » En lieu et place, nous avons eu droit à un concert de déclarations qui, au fil du temps, avaient fini de quitter le terrain de l’argumentation objective pour emprunter celui d’invectives politiciennes. La dignité qui est consubstantielle à la gestion du pouvoir n’a que faire du jeu manipulateur et trompeur des politiques. On ne peut pas se comporter de la même manière quand on est au pouvoir que quand on est dans une opposition ; un État n’est pas un parti d’opposition. Des signes annonciateurs continuent, pourtant, de s’amonceler dans le ciel des tenants du pouvoir, qui s’évertuent inlassablement à vouloir toujours apporter la réplique politique (et surtout politicienne) à leurs adversaires. Or, les registres sont totalement différents. Pour bien gérer un pays, il faut se débarrasser de la politique politicienne.

La vraie réplique d’un pouvoir est de s’inscrire dans le concret, et non dans les reparties. Elle se trouve dans la capacité à identifier les problèmes du peuple et la volonté et l’aptitude d’y apporter des solutions. Bref, la vraie réponse réside dans la qualité de l’agenda et celle du projet de gouvernance mis en place pour assurer le bien-être des populations. Tant que le projet majeur de gouvernance est relégué au second plan « au profit » de l’exercice de la petite politique, il sera difficile d’accéder aux revendications du peuple. La petite politique, c’est cette mentalité qui veut se donner tous les moyens pour « occuper le terrain » des reparties et gagner les querelles verbales. Or, nous n’attendons surement pas de ceux qui nous dirigent qu’ils se mettent en valeur sur ce terrain-là… L’immensité du chantier « Sénégal » ne peut pas permettre le divertissement.

Quelle réponse les tenants du pouvoir auraient-ils donc dû apporter à Wade ? À mon avis, une réponse simple, sereine et décente. Il fallait d’abord lui octroyer tout ce à quoi son statut d’ancien Chef d’État lui donnait droit, tout en restant vigilant et ferme quant à la sauvegarde de l’ordre, de la sécurité et de la paix sociale dans le pays. Ensuite, je ne crois pas que l’interdiction de marche ait été la bonne décision. Toute marche qui puisse être encadrée de sorte à garantir la sécurité et la libre circulation des biens et des personnes doit être autorisée dans ce pays. Le Sénégal a parcouru un chemin non négligeable dans sa marche vers la démocratie qu’il serait regrettable de faire des pas en arrière. En prenant cette décision « liberticide » le pouvoir en place s’est sans doute tiré une balle dans le pied.

D’autre part, il y a la malheureuse attitude de Me. Wade consistant à privilégier ses habits de Chef de parti au détriment de ceux d’un ancien Chef d’État. Quand on a été Chef d’État, il y a des postures que l’on devrait éviter d’adopter. Un ancien Chef d’État devrait avoir la décence de ne travailler que pour le bien-être de sa population et l’instauration de son ordre républicain. Les déclarations va-t-en-guerre de Wade – comme quand il dit que le peuple marcherait sur le Palais s’il le lui demandait – ainsi que ses propos désobligeants et irrespectueux à l’encontre de l’autorité, ne font que renforcer les critiques qui ont toujours fait de lui, non un homme d’État, mais un éternel opposant. Mais ce qu’il y a de plus intriguant et de plus condamnable dans l’attitude de Wade, c’est l’utilisation qu’il fait de la mémoire sélective qui veut qu’il fasse appel à son statut d’ancien Chef d’État que quand ce dernier lui procure des avantages.

Un ancien Chef d’État c’est certes des avantages, mais aussi de la retenue. Et qui dit retenue, dit forcément réserve, tempérance, mais aussi une tenue responsable. Me. Wade ne peut pas bénéficier de tous les traitements liés au statut d’ancien Chef d’État – et payés au prix fort par les contribuables – et continuer à porter les habits d’opposant quand cela l’arrange. Cette posture est d’autant plus inexcusable quand l’exercice de son statut d’opposant va à l’encontre de la sauvegarde de l’ordre et celle des valeurs de la République. Je ne suis pas en train de dire que l’ancien président doit choisir entre ces deux statuts. J’aimerais juste souligner que la retenue et la distance qui siéent au statut d’ancien Chef d’État, ce dernier fût-il encore chef de parti, doivent à mon humble avis avoir la priorité sur toute autre considération partisane. « La patrie avant le parti » : l’expression concrète de ce slogan n’a jamais été aussi actuelle au Sénégal que lors du retour de Me Wade.

Il est regrettable d’assister aux évènements récents liés au retour de Wade. Du côté du pouvoir comme de celui du Pds, on s’est focalisé sur les dividendes politiques, laissant en rade les véritables préoccupations des populations. Le pouvoir a quitté l’estrade de l’autorité pour s’engager dans les sentiers de la petite politique. Le Pds avec Wade à sa tête, a réitéré son ambition étriquée de placer le parti au-dessus de la patrie. À ce jeu-là il n’y aura véritablement qu’un seul perdant : le peuple.

Je me permettrais une petite digression en soulignant que l’omniprésence de Abdoulaye Wade comme porte-drapeau du Pds (et peut-être même celui de l’opposition) ne profite en rien à la jeune génération. Le fait qu’il reste en activité montre l’impréparation de son parti à continuer d’exister sans lui. Abdoulaye Wade ne doit rester la Constante que dans le symbole. Ce n’est pas à lui de mener les batailles actuelles et futures, ni en vue de la conquête du pouvoir par le Pds, ni pour la consolidation des acquis démocratiques dans le pays. Il a largement joué sa partition. La perte du pouvoir en 2012 aurait dû être l’opportunité de tourner cette page. Les évènements récents semblent malheureusement indiquer que le Pds n’est pas prêt pour le sevrage.

On en parle tous les jours ; et cela me fait de la peine de le répéter ici. Une autre alternative à la petite politique est une urgence, si nous estimons que le pouvoir du peuple, pour le peuple, et par le peuple ne doit pas être un instrument exclusivement réservé aux professionnels de la politique, ceux-là qui arborent fièrement les œillères du parti et désertent le camp de la Patrie.

Cheikh Mbacke Gueye
http://blog.cheikh-mbacke-gueye.com

1 COMMENTAIRE

  1. Mr Gueye,merci pour ce chef d,oeuvre.Encore un autre texte ecrit par un non journaliste pour confirmer la mediocrite de bcoup de nos soi disant journalists.Un article doit etre utule,pertinent et responsible.L,information est tres importante pour etre reduite a du theatre.Hier je l,avait dit a propos de l,article de Abdou Aziz Mbacke Majalis.Les patrons de presse doivent respecter d,avantage ce brave people et recruter
    des pros l,image de notre riche patrimoine intellectuel.Il n,a que des informateurs a sensation qui nous detournent des debats pedagogiques et on ne merite pas ca

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