Services secrets français : les confessions d’un agent à Dakar

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Dominique Fonvielle a appartenu aux services secrets français de septembre 1978 à juin 1992. Il livre son expérience de chef de poste à Dakar.

Le Point : Comment entre-t-on dans les services secrets français ?

Dominique Fonvielle* : Par hasard, dans mon cas. Saint-Cyrien, je n’avais pas envie de végéter dans une garnison. On m’a admis au SDECE** sous réserve que je passe en six mois le concours d’entrée à Sciences Po et que je réussisse une licence d’anglais à la Sorbonne. En septembre 1978, j’entre officiellement dans le service. Je suis les cours de l’École de guerre pendant un an, j’effectue quelques missions pour la base de Paris, qui est clandestine. Dès 1979, me voilà « rédacteur-exploitant », c’est-à-dire analyste, pour l’Afrique. Je reçois les télégrammes chiffrés puis déchiffrés et j’en fais la synthèse. En juillet 1985, je deviens « rédacteur-exploitant » à Dakar, un très gros poste qui couvre, outre le Sénégal, le Mali, la Mauritanie, le Tchad, la Guinée, la Gambie, la Sierra Leone. Puis je suis chef du poste sous la couverture de deuxième secrétaire d’ambassade, donc de diplomate…

Comment cela se passe-t-il ?

C’est une vraie jungle ! On s’est ingénié à diviser les divers départements : renseignement, écoutes, contre-espionnage, conseillers français de la présidence. Je me tiens à l’écart du « club des espions », le café où les gens du SDECE s’agglutinent pour parler boutique. Au contraire, j’endosse le costume de diplomate – au sens propre puisque je porte parfois le smoking. Je fréquente ceux des autres pays, j’assiste aux soirées internationales et aux cérémonies officielles avec ma femme. L’ambassadeur a tout compris : il m’envoie régulièrement dans les pays voisins pour des missions qui sont autant de prétextes pour rencontrer mes agents sur place. Des missions dûment justifiées au plan officiel avec les prétextes administratifs nécessaires. Autrement dit, je soigne les apparences.

Quelles sont vos sources ?

Quelques journalistes sénégalais, ou plus généralement africains. Des fonctionnaires sénégalais, pas toujours de rang élevé. Le responsable de l’entretien des machines à écrire des ministères, par exemple : comme les machines sont encore à cassettes, il me les remet. Ce n’est pas la panacée d’ailleurs, car déchiffrer ces cassettes prend trop de temps. En Gambie, j’ai une source très près de la présidence. En 1986, un enseignant sénégalais qui a besoin d’argent, car son fils est malade, m’alerte sur l’émergence des Saoudiens dans le pays. La même année, un Libanais m’informe que la milice chiite libanaise Amal aimerait prendre contact avec la France. Je rends compte à Paris mais, à ma connaissance, rien ne sera fait. Naturellement, j’ai des informateurs français, rémunérés eux aussi. Un expatrié qui travaille pour une ONG me rend par ailleurs un grand service en suggérant dans les cocktails qu’il serait « le représentant de la DGSE à Dakar » ! Résultat : la sécurité locale et les services étrangers lui collent au train et me laissent tranquille…

Le volume de travail est-il important ?

En plus de mes tâches de diplomate, j’expédie chaque année boulevard Mortier 400 télégrammes chiffrés – entre 20 lignes et 3 pages – jusqu’à mon retour à Paris, à l’été 1989. À la DGSE, on compte trois sortes d’informateurs. Par ordre d’implication croissante : les « manipulés inconscients », les gens « en approche » et le fin du fin, les « recrutés formels ». J’en dénicherai sept, dont je passerai le traitement à mon successeur. Un travail de manipulation pas toujours agréable, car ces gens, on les piège. Lors des rendez-vous, dans ma voiture, je pose une enveloppe pleine de billets à côté du levier de vitesse : la source ne pourra l’empocher que si je suis satisfait de ce qu’elle m’apporte.

Les rendez-vous ont lieu en voiture ?

Pour les sources locales, surtout. On appelle ça un « pick-up ». C’est plus discret qu’une rencontre dans un café africain, où tout le monde me repérerait, ou dans un bar d’hôtel de luxe, où mon informateur, lui, ne passerait pas inaperçu. On roule fenêtres ouvertes : à cause de la poussière, c’est pénible ! Mes sources françaises, je les rencontre tranquillement à la plage, au su et au vu de tout le monde. Les informateurs africains ont toujours besoin d’argent, mais certains ont un mobile secondaire : ils aiment bien la France. Quant à moi, je navigue entre trois cercles : ma vie familiale normale, ma couverture de « diplomate » et mes activités clandestines.

* À lire : « Mémoires d’un agent secret », de Dominique Fonvielle et Jérôme Marchand (Flammarion).** Le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage

lepoint.fr

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