Son excellence Macky Sall, faire décoller ce continent, y travaillez-vous vraiment ? Par Djiby Salif Kane

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Excellence, dans une interview parue dans le quotidien français Lemonde, le 06 mai 2014, vous affirmiez «travailler à faire décoller ce continent».(1) Ne vous y trompez pas, cela passe inexorablement par une intégration africaine complète.
Le docteur Kwamé Nkrumah était on ne peut plus clair : «l’Afrique doit s’unir »!(2) Ce cri panafricaniste, vos prédécesseurs l’avaient entendu et comme vous, ils nous avaient gratifiés de discours de bonne intention.(3) Mais le constat est amer. Cinquante quatre ans après les indépendances, l’Afrique reste secouée par le séisme de la désunion et a encore un gap énorme à remonter. Vous vous plaisez d’ailleurs à le marteler, vous avez hérité d’une situation très compliquée. Nous voulons le croire et ceci est une conséquence de l’échec de l’intégration. Mais travaillez-vous vraiment pour la réussite de l’intégration et, par là, pour le décollage de ce continent ? Les jeux sont ouverts. Pour ma part, à la manière de Stendhal, «Je mets un billet à la loterie dont le gros lot se réduit à ceci»: vous n’y arriverez pas!
Le pari est consternant certes mais a tout pour être gagnant lorsqu’on considère que l’intégration souffre toujours d’un présidentialisme exacerbé et qu’aucun acte de votre part ne semble vouloir changer la donne. Bien au contraire, vous participez à fragiliser l’intégration.

I/ Deux ans après votre investiture, le même statu quo : une intégration fragilisée par un présidentialisme exacerbé.

L’intégration régionale a été privilégiée au détriment de celle continentale, et c’est naturellement au niveau des régions qu’elle a été plus poussée. Notre analyse se limitera donc à la CEDEAO et à vos réalisations à ce niveau. L’intégration au niveau de la CEDEAO souffre de plusieurs maux parmi lesquels une fascination de l’intérieur. L’hyper présidentialisation des régimes des États déteint sur le processus d’intégration et se manifeste par la présence systématique de la conférence des chefs d’État et de gouvernement. Organe politique et prépondérant, elle mine l’intégration laissant un rôle marginal à la commission, au parlement et à la Cour de justice.(4) Or, pour une intégration forte et dynamique, la commission, organe de l’intégration doit avoir plus de pouvoirs. Cette prépondérance de la conférence des chefs d’État et de gouvernement se traduit par le fait que tous les actes importants sont pris par cet organe politique dont les représentants ne préservent que les intérêts de leur État même dans des situations périlleuses de conflit. À l’occasion, cet organe se permet même de s’affranchir du droit. Qu’avez-vous fait excellence à ce niveau ?

La récente crise malienne a mis à nu les déboires d’une intégration tenaillée par cette conférence des chefs d’État et de gouvernement qui n’avait que de multiples réunions à opposer face à l’urgence de la situation. La violente diatribe du président ougandais Yoweri Musevini qui disait en ces termes «Le fait que les africains ne puissent pas défendre leur propre territoire, je trouve cela honteux. C’est honteux qu’on fasse appel aux français ou autres. A quoi servent les Armées africaines ?»(5) n’y fera rien. Il a fallu attendre l’aide de la France et du Tchad, un pays ne faisant même pas partie de la CEDEAO, pour que le territoire malien dans son entier ne tombe dans l’escarcelle salafiste. Cet organe politique qu’est la conférence des chefs d’État et de gouvernement se distingue par ailleurs d’une bien triste manière lorsqu’il se permet de fragiliser l’intégration en s’affranchissant lui même du droit communautaire. On peut citer l’exemple de ce président du futur parlement dont la démarche a été considérée comme inopportune ou déplacée par la conférence des chefs d’État. Il s’agissait pourtant, par une démarche judiciaire, de contester la prétention du conseil des ministres de l’organisation à modifier les pouvoirs du parlement.(6)

Excellence, c’est sur ce problème crucial de l’intégration qu’on aurait aimé voir à l’œuvre la matérialisation de votre slogan de rupture. Quid d’un mécanisme de sanction permettant de rendre efficientes les règles de l’intégration ? Quid de sanctions économiques et politiques contre les pays qui bloqueraient l’envoi de troupes lorsque l’intégrité d’un État est menacée ? Excellence, on aurait aimé vous voir mener un tel combat. D’abord par la mise en branle d’un dispositif qui sanctionnerait les États, comme pour la CEDH, avec au final, des pénalités économiques lorsque ceux-ci enfreindraient le droit de l’intégration.(7) Ensuite, par des sanctions politiques allant jusqu’à ne pas aider à la défense d’un quelconque régime qui rechignerait à envoyer des troupes dans une situation d’urgence. Enfin, en augmentant le rôle des organes de l’intégration que sont la commission, le parlement et la cour de justice.
Excellence, aucun acte venant de votre part n’a servi ce dessein. Pire, vous participez même à fragiliser l’intégration.

II/ Des actes inquiétants participant à fragiliser l’intégration

C’est par la crise du Mali que votre régime s’est tristement illustré quant à sa participation à la construction de l’intégration. Pays frère avec qui nous partageons une histoire commune et avec qui nous avons accédé à l’indépendance, premier partenaire économique en Afrique avec 60% de ses importations transitant par notre sol (8), ces deux raisons auraient du suffir pour que le Sénégal soit le premier à intervenir au Mali. Il en allait de notre sécurité, parce qu’ayant les djihadistes à nos portes, mais aussi de la vitalité de notre économie. Pourtant, cela n’a pas pesé dans votre jugement et il vous a fallu attendre l’appui de la France aidée par le Tchad et ses 2000 hommes pour que vous envoyiez quelques 800 hommes au Mali.
Excellence, comprenez que vous avez par là effrité notre leadership historique dans la région tant reconnu et magnifié. Panafricaniste convaincu, je ne peux espèrer vous voir être le premier président africain à proposer un référendum à son peuple pour aller vers les États Unis d’Afrique. Et pourtant, quel symbolique ce serait pour le Sénégal !

Notre scepticisme est renforcé lorsqu’on constate que votre régime se plaît à amplifier la gangrène de l’intégration, en vous affranchissant vous aussi du droit communautaire. Par un arrêt du 22 février 2013, la Cour de justice de la CEDEAO dénonçait l’interdiction de sortie du territoire des responsables politiques du PDS, mettant en exergue le fait qu’elle ne reposait sur aucune base juridique.(9) Votre gouvernement monte au créneau et votre ministre de la justice d’asséner que le Sénégal n’a pas d’injonction à recevoir de la CEDEAO.(10) Votre régime, sous votre bénédiction, participe ainsi à fragiliser l’intégration, s’arrogeant le pouvoir de s’affranchir du droit que notre cher pays a pourtant participé à créer.
Excellence, votre prédécesseur au moins s’est, quoiqu’on en dise, illustré dans la recherche de la paix en Afrique et dans le monde ; à Madagascar, au Darfour et à bien d’autres endroits. Ses compétences à ce niveau ne souffrent d’aucune contestation. Quelle belle image aurait été de vous voir lui confier des mandats pour la résolution de différents conflits qui embrasent encore l’Afrique ! Excellence, vous n’avez pas le droit de faire moins et il ne suffit pas de discours de bonne intention pour nous rendre notre place dans la diplomatie africaine et mondiale.

« Sans unité, les peuples d’Afrique n’ont pas de futur, sauf comme perpétuelles et faibles victimes de l’impérialisme et de l’exploitation» disait le président Julius Nyerere. Pétendre ainsi travailler au décollage de ce continent» en bafouant et fragilisant l’intégration qui sous-tend ledit décollage, n’est que leurre et illusion. Je maintiens donc mon pari mais à la différence de Stendhal, j’espère le perdre pour le bien de notre chère Afrique, pour le bien de notre cher Sénégal ! Puisse l’Omnipotent vous aider à exaucer ce vœu!

Djiby Salif Kane, consultant
Membre de Rewmi Canada
[email protected] [email protected]

(1) Macky Sall, Interview avec Charlotte Bonzonet du journal Lemonde, consulté le 06/05/2014, disponible sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/05/06/macky-sall-nous-travaillons-a-faire-decoller-ce-continent_4412328_3212.html
(2) Nkwamé Nkrumah, L’Afrique doit s’unir, Présences africaines parue le 15/05/2009. Dans ce livre, Nkwamé Nkrumah dresse un bilan du passé et propose des pistes pour le développement de l’Afrique, développement qui passe par l’unité.
(3) Charte portant création de l’OUA, préambule, consulté le 06/05/2014, disponible sur http://www.refworld.org/pdfid/493fca2e2.pdf et version officielle disponible en anglais sur http://au.int/en/sites/default/files/OAU_Charter_1963.pdf
(4) Voir le Traité de la CEDEAO notamment l’article 7, versione électronique consultée le 06/05/2014, disponible sur http://www.comm.ecowas.int/sec/fr/docs/traite_revise.pdf
(5) Yoweri Musevini, interview accordé à la BBC, consulté le 06/05/2014 et disponible sur http://www.afrik.com/guerre-au-mali-troublant-mutisme-des-chefs-d-etat-de-la-cedeao
(6) Notes du cours Droit de l’intégration régionale africaine, dispensé par le professeur Alioune Sall à l’université de Bordeaux en 2012/2013.
(7) Conseil de l’Europe, note sur l’exécution des arrêts de la CEDH en vertu de l’article 46, consultée le 06/05/2014, disponible sur http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution/presentation/about_FR.asp
(8) Chiffres de la douane 2011, selon Reussir Business, consulté le 06/05/2014, disponible sur http://www.reussirbusiness.com/nouvel-elan-economique-senegal-mali/
(9) Extraits de l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO, consultés le 06/05/2014, disponible sur http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130225085704/
(10) Propos de Mme Aminata Touré, ministre de la justice sur les ondes de la RFM, le 04/04/2013, rapportés par Leral.net, disponible sur http://www.leral.net/Mimi-Toure-persiste-et-signe-La-Cedeao-n-a-pas-d-injonction-a-donner-au-Senegal_a79422.html

2 Commentaires

  1. Le Président Macky Sall, vient de se rendre compte qu’il ne suffisait pas d’être le premier ministre de Wade pour avoir sa baraka et les capacités intellectuelles de ce dernier ! Sans imagination, sans courage vis à vis de l’occident, Macky sera un conservateur de ce que Wade a fait au Sénégal, quelle que soit sa bonne volonté, c’est une question de capacités intellectuelles ! Suivez ce film sur seneweb :Un film sur la vie du Président Abdoulaye WADE Par Cheikh Tidiane Ndiaye

  2. C’est le REWMI que j’aime dans toute sa splendeur avec ses cadres compétents qui se différencient nettement des autres ! Merci Djiby pour cette contribution de grande qualité qui montre l’absence de vision de Macky, ce Président ethniciste et sa diplomatie bancale. Big respect, fréro !

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