Sonko, la monnaie et notre servitude volontaire ( Par Lamine Niang)

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Les monstres existent, mais ils sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux; ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires  prêts à croire et à obéir sans discuter.

Primo Levi

Ousmane Sonko a secoué le baobab en parlant d’une éventuelle sortie du Sénégal de la zone CFA s’il est élu président de la république le 24 février prochain. Des voix se sont encore levées pour brandir le spectre de lendemains incertains et la nécessité de maintenir le statu quo.

Ceux qui le contredisent pour des raisons de partisannerie politique ne sont pas réellement à plaindre. Car nous sommes habitués en Afrique d’entendre des voix défendre l’indéfendable lorsque c’est pour plaire au chef ou pour sauvegarder des intérêts purement personnels. Le sort de la collectivité n’est pas toujours le souci de ceux qui prennent la parole publique.

Toutefois, à entendre ceux qui se couvrent d’une expertise en finances et en économie pour soutenir notre maintien sous la tutelle française, il y a de quoi frémir. Leur expertise aliénée fait écho et ils savent insidieusement s’en servir avec une signature pompeuse au bas des textes publiés afin de mieux manipuler l’opinion par des arguments dont l’objectif implicite est de crédibiliser les raisons de notre dépendance et de notre asservissement permanents.

Je ne reviendrai pas sur les contre arguments techniques des anti CFA pour ne pas répéter ce qui a été dit abondamment sur le sujet par des esprits avertis et experts. La littérature foisonne sur la nocivité de cette monnaie encore coloniale quoique mieux édulcorée aujourd’hui dans l’approche sémantique.

Depuis le temps que nous empruntons les sombres couloirs d’une longue histoire faite de peur, d’humiliations et de doutes, il est certain que demeurer dans l’obscurité qui rassure parait moins risqué que d’affronter la lumière aveuglante qui déstabilise les premiers pas.

Ce qui m’interpelle personnellement c’est cette frilosité profondément ancrée d’un peuple de prendre son propre destin en main même si celui-ci parait faussement incertain et aventureux. Mais le professeur Cheikh Anta Diop nous prévenait déjà des «reflexes de subordination» qui semblent s’être fossilisés chez une bonne partie de l’élite intellectuelle africaine.

Je convoquerai simplement dans ce texte l’histoire de la province du Québec dans laquelle je vis, pour l’audace dont elle a fait preuve dans un passé encore récent afin de s’affirmer et retrouver sa liberté totale.

Avec l’arrivée au pouvoir en 1960 du libéral Jean Lesage, père du nationalisme québécois et son célébrissime slogan «Maitres chez nous», c’est une nouvelle page de l’histoire socioéconomique du Québec qui s’ouvrait avec une économie florissante dépossédée des mains des Canadiens-anglais et des investisseurs étrangers, et marquée par la création de plusieurs sociétés d’État.

L’heure des grandes réformes avait sonné sous le gouvernement Lesage permettant à la minorité francophone de retrouver une fierté nationale : réforme du système d’éducation, instauration de l’assurance hospitalisation, nationalisation du réseau d’électricité, etc.

Plus tard, en 1977, toujours dans l’optique de retrouver une identité linguistique que le Canada anglais à toujours chercher à anéantir, l’Assemblée nationale sous le gouvernement du premier ministre René Levesque va adopter la loi 101 visant à assurer la primauté du français sur l’anglais dans les affichages, l’enseignement et le milieu de travail.

C’est la symbolique de la résistance et du refus pour la survie d’un peuple qui me paraissent exemplaires dans ce contexte.

Quoiqu’imparfait, il faut noter que c’est l’élan glorieux de cette révolution tranquille des années 60 qui a instauré les bases du Québec que nous connaissons aujourd’hui, endroit couru des immigrants qualifiés francophones.

Dans un contexte économique mondial fragile et boiteux, François Blais, le ministre libéral de l’Emploi et de la Solidarité sociale déclarait en mai 2018 : «le marché de travail québécois devra combler plus de 1,3 millions d’emplois, dont plus de 90.000 emplois déjà vacants en ce moment, aujourd’hui au Québec.»

D’autres exemples de peuples définitivement affranchis de leurs anciens bourreaux existent. C’est le cas notamment du Rwanda de Paul Kagamé qui rend à beaucoup d’Africains leur fierté perdue depuis longtemps.

Alors, si depuis plus 60 ans, nous nous louvoyons dans un contexte d’extrême pauvreté et de marginalisation sociale de la majorité de nos populations alors que tout nous prédispose naturellement au développement et à la prospérité, c’est que nous devons inéluctablement revoir le modèle choisi ou, disons plutôt le modèle imposé.

Pour guérir du syndrome de Stockholm dont semblent souffrir la plupart des pays africains anciennement colonisés par la France, une profonde révolution s’impose. Cette même révolution dont parle Hannah Arendt pour permettre l’émergence d’une liberté. Car un individu ne peut pas être libre dans la pauvreté.

Une révolution douce et ferme, impulsée par un nouveau leadership décomplexé et suffisamment courageux, est inévitable pour sortir de cette longue nuit noire dans laquelle nous sommes plongés.

Le mal est profond est l’abcès pestilentiel. Il faut le crever.

Lamine Niang

 

4 Commentaires

  1. Merci monsieur Niang pour cette contribution.
    Je ne doute pas un seul instant que tous les présidents placés à la tête de notre cher Sénégal, de l’indépendance à nos jours, ont chacun à sa façon, tenté de trouver des solutions pour sortir notre pays du sous-développement. Mais c’était sans prendre en compte des mauvaises intentions de la France qui garantit la convertibilité du franc cfa rien que pour assurer dans la durée notre dépendance vis à vis d’elle, et par conséquence notre soumission.
    Si nous voulons nous développer les pays de la zone cfa doivent prendre leur courage à deux mains et créer leur propre monnaie.
    Tout début étant difficile et ce ne sera pas en effet sans risque, mais rien ne vaut la liberté monétaire sans laquelle, le développement demeurera toujours un objectif inaccessible pour nos pays.
    Nous devrons pour y arriver rester vigilants et bien surveiller nos arrières parce que le sort qui a été réservé à Khadafi doit nous servir à rester sur nos gardes, car le colon ne nous facilitera pas la tâche, au contraire.

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