Souleymane Bachir DIAGNE, Président de la Concertation sur l’Enseignement Supérieur: «La question des droits d’inscription ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt des réformes»

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Professeur à Columbia University (New York), présentement à Paris où il dispense des cours à l’Ecole Normale Supérieure, Souleymane Bachir Diagne était de passage à Dakar en fin décembre. Nous l’avons accroché après la cérémonie de dédicace organisée par la librairie Athéna autour de son livre « Comment philosopher en Islam ? », un ouvrage ouvre la première production de la nouvelle maison d’édition « Jimsaan » codirigée par les écrivains Boubacar Boris Diop, Nafissatou Dia Diouf et Felwine Sarr. Sur la question de l’Université,  le Pr Souleymane Bachir Diagne est d’avis qu' » il ne faut pas que la question des droits d’inscription soit l’arbre qui cache la forêt des réformes qui sont proposées ». Aussi les défis de la formation, la pression des effectifs et l’exigence de qualité sont-ils à relever de toute urgence. Abordant ses réflexions sur l’Islam, il souligne que : « Le seul vrai jihad dans lequel les sociétés musulmanes doivent s’engager, c’est la recherche du savoir ».

L’une des recommandations des concertations sur l’Enseignement supérieur a été de porter les droits d’inscription à 25.000 FCfa. Pourquoi cette hausse??
Le principe d’une hausse a été retenu pour la raison que les étudiants ne paient pas seulement 5000 FCfa ou 4800 FCfa. Ils sont obligés de compenser dans leurs différentes facultés en payant des droits pédagogiques qui sont prélevés directement par la faculté ou le département où ils sont. Il fallait donc normaliser cet effort supplémentaire déjà consenti par les étudiants, parce qu’en réalité les gens se rendent compte que le système ne peut plus fonctionner avec le budget tel qu’il est.
La concertation en elle même avait retenu le principe de la hausse et le consensus, car la concertation cherchait le consensus sur tous les points. Le consensus avait été acquis y compris sur le principe d’une hausse des frais d’inscription. Ensuite la concertation a demandé qu’une commission discute du montant, car il fallait s’entendre sur une somme qui est raisonnable. Plusieurs semaines après la concertation, il y a eu une réunion quadripartite entre le ministère, les représentants des étudiants, les représentants des parents d’étudiants et d’élèves et les représentants des enseignants. C’est là qu’ils ont mis en œuvre le principe qui avait été acquis d’une hausse.

Passer de 5000 FCfa à 25.000 FCfa, n’est-ce pas tout de même une hausse exorbitante ?

Les participants à la réunion quadripartite sont arrivés à cette somme là en estimant que 25.000 FCFA pouvaient correspondre à ce que les étudiants payaient déjà. Parce que souvent ils paient 5000 FCFA de droits d’inscription et ensuite ils paient 15.000 FCFA, parfois 20000 FCFA de frais pédagogiques. Donc les 25000 FCFA qui sont demandés, il ne faut pas les comparer à 5000 FCFA, il faut les comparer à ce que les étudiants paient effectivement.

Que dites-vous de la solution médiane proposée par le comité de sages? 

Je vois qu’il y a un comité de sages qui essaient de trouver une voie médiane avec le ministère. Ce serait une continuation de la médiation. Parents, syndicats avaient convenu de cette médiation. Est-ce que cette somme est élevée? Je n’en sais rien. Cette somme a  été retenue hors concertation. La somme demandée pour les doctorants (60 à 65.000FCFA) correspond à une baisse de ce que les étudiants dépensent. Il faut faire la comparaison entre ce qui est demandé et ce qui l’était avant. Les doctorants payaient jusqu’à 150.00FCFA. Voilà le genre de fait qu’il serait bon de porter à la connaissance de tout le monde. La négociation qui a déjà eu lieu  entre le ministère et les parents d’élèves peut se renouveler autour d’une nouvelle entente.

N’y a-t-il pas finalement le risque de voir la question des inscriptions polluer l’atmosphère de la concertation ?

Je voudrais qu’on fasse une séparation entre ce qui relève de la concertation elle-même et les frais d’inscription. Il ya une différence entre la réforme proprement dite et cet aspect des choses qui tient à son financement. Il y a une manière de réduire la concertation aux frais d’inscription qui fait que l’on oublie que les réformes n’ont rien à voir avec cette hausse. Il faut s’intéresser aux reformes pour voir à quoi ça retourne et se poser la vraie question qui vaille : cet effort qu’on me demande de consentir va vers quel système, est-ce que ça correspond à ce que je pense bon pour moi ?

Justement,  quel système d’enseignement les concertations prônent-elles ?

Elles prônent un rééquilibrage du système vers les enseignements des sciences et techniques. On ne peut avoir un système ou un étudiant sur dix engagent des études d’Humanité et de sciences sociales. Et cela pour plusieurs raisons. Si on considère un point crucial qui est l’employabilité  des étudiants un tel système n’est pas viable. Ceux qui sortent des STEM (science, technologie, engeniery, mathématique)  trouvent plus facilement du travail. Pour un Sénégal émergent nous avons besoin  d’avoir des ressources humaines formées dans ces domaines. Et la troisième raison c’est que c’est excellent pour les Humanités et les Sciences sociales elles mêmes, notamment pour ceux qui se retrouvent là par défaut.

Comment aborder un tel rééquilibrage ?

Cette orientation très générale suppose des mesures en amont concernant l’enseignement primaire, moyen et secondaire. Orienter notre jeunesse vers les STEM est une chose qui se prépare dans les petites classes et non seulement à l’Université. C’est le point d’articulation entre les réflexions qui se mènent dans les ordres d’enseignement et celles qui ont été menées pour l’Enseignement supérieur. C’est une première grande orientation générale.
La seconde orientation correspond au deuxième défi auquel notre système est confronté : le défi démographique. Nous avons de manière récurrente  voire permanente ce décalage profond entre infrastructures, personnel enseignant et ceux qui viennent frapper à la porte de l’université après le bac. On construira toujours moins vite que le croît démographique. Il faut trouver des solutions novatrices en mettant au service de notre enseignement les techniques du virtuel et de l’enseignement à distance.

Est-on préparé à un tel enseignement ?

D’abord il y a le fait que les techniques existent. Des solutions sont apportées à ce genre de problème ailleurs. Il y a un boom, une révolution qui s’est effectuée en 2011, et cette révolution c’est celle du MOOC (on pourrait traduire cet acronyme en anglais par Cours en lignes ouverts à tous). Il y a d’excellents cours introductifs qui se trouvent en ligne et qui peuvent parfois être de meilleure qualité ou de meilleure réception que les cours dispensés en présentielle. Quand on se trouve en situation où les étudiants écoutent par la fenêtre ou dans des conditions épouvantables, ils vont mieux suivre des cours en ligne  avec des cours d’accompagnement de tuteurs. Ce que nous préconisons dans ce cas là, c’est que les enseignements introductifs  (niveau première et deuxième année) soient ainsi formatés qu’ils puissent être mis en boîte de manière à pouvoir être délivrés dans nos différentes universités  ou centres de formations. Donc une bonne distribution et un bon équilibre  entre enseignement  présentielle et enseignement à distance avec un bon accompagnement de tuteurs. Pour être concret, je peux parfaitement imaginer   que je donne un enseignement de logique de première et de deuxième année de cette manière. Cet enseignement peut être projeté dans nos cinq universités ou dans des centres d’enseignement supérieur et on pourrait imaginer des tuteurs qui feraient faire des exercices aux étudiants. Il y a des embryons de cela ici, il faut en faire  une politique systématique  et c’est cela que la concertation a préconisé.
La troisième grande orientation qui correspond  à un défi est le défi de la qualité qui est un énorme défi. Pas la peine d’entretenir à grands frais un énorme secteur de l’enseignement supérieur si la qualité n’est pas au rendez-vous. Budget est énorme par rapport au budget de la nation et ce qui est alloué aux autres secteurs  (enseignement primaire/secondaire) ces ressources se justifient que si la qualité y est.

Comment s’assurer de cette qualité ?

Il y a deux choses pour s’assurer de cette qualité. Un meilleur contrôle  de ce qui est enseigné, et pour cela il y a un instrument, l’ Anaq  (Agence nationale assurance qualité) qui est appelé à jouer un grand rôle. Il nous faut un système ou le public et le privé  sont articulés dans un système d’enseignement supérieur cohérent. L’Anaq pourra donner son label à des formations  qui sont dispensées dans le privé.
La qualité dépend surtout de l’évolution et de la qualité d’innovation. Les réformes ne sont jamais faites une fois pour toute. Le bon système s’évalue continuellement et se réforme continuellement. Prenons l’exemple des Universités américaines. Tous les cinq ans chaque département fait une auto évaluation, produit un document  écrit (sur le personnel, l’enseignement). Il y a ensuite une commission externe d’universitaires venant d’autres universités, une étude de l’université avec des enseignants d’autres départements. Tout cela se traduit  par des recommandations pour les 5 ans à venir. Il faut développer une culture de l’évaluation, l’idée étant que : un système vivant est un système qui passe son temps à s’évaluer et à changer de direction.
Il faut aussi évaluer l’innovation en faisant de sorte qu’elle soit en phase avec la réalité socio économique dans laquelle nous vivons. Un système innovant, c’est un système en mesure de mettre un enseignement en prise avec la réalité socio économique de notre pays. Tout ceci va bien au-delà de la question  importante certes des droits d’inscriptions.  Il ne faut pas que la question des droits d’inscription soit l’arbre qui cache la forêt des réformes qui sont proposées.
Il est important de redresser notre université publique. Ce qui va faire que les meilleurs étudiants aillent dans ce système, c’est qu’il s’améliore sinon ils vont aller dans le privé ou à l’étranger. Il est inutile de demander aux élites  d’y maintenir leurs enfants  s’ils ne sont pas convaincus de la qualité du système d’enseignement. C’est naturel qu’ils cherchent d’autres institutions  où placer leurs enfants. Le système ne sera attractif que s’il se réforme et dans la direction que cette concertation a indiqué. Après tout, les parents ne demandent pas mieux d’autant plus que ça leur reviendra moins cher.

Comment s’y prendre lorsqu’on sait que toute réforme entraîne des réticences ?

Il faut expliquer et convaincre. Il y a une chose qui représente une situation favorable car l’opinion publique est convaincue par la direction empruntée par ces concertations. On ne peut pas laisser les choses continuer comme elles sont. Il y a le fait que l’explication et la conviction doivent accompagner systématiquement les réformes. On a laissé les choses aller de telle façon que les étudiants sont déboussolés. Les réformes ne se feront ni contre eux ni sans eux. Une réforme ne vaut que par la conviction des acteurs  et si elle va dans la bonne direction. Nous n’avons que notre université pour fabriquer l’avenir. Ce qu’est notre université indique ce que sera notre avenir. Il faut que tout le monde se pénètre de l’importance des enjeux. Lorsqu’on en est ainsi persuadé, il faut faire en sorte que le bon sens et la rationalité l’emportent.

Profitant de votre séjour à Dakar, vous avez procédé à la dédicace de votre ouvrage  « Comment philosopher en Islam ? », à l’occasion d’une troisième réédition confiée aux Editions Jimsann que viennent de lancer les écrivains Boubacar Boris Diop, Nafissatou Dia Diouf et Felwine Sarr. 
« A la question Dieu aime t-il les infidèles ? », avez-vous rappelé lors du débat introductif, Thierno Bocar Sall, le Sage de Bandiagara répond : « Oui ». Comment appréciez-vous un tel point de vue ?

Tierno Bocar Tall est un soufi de la plus grande importance, il m’a convaincu de l’importance de ce point de vue.. C’est quelqu’un qui a réfléchi à la signification de la religion, au fait que la religion fait appel à l’humain, à ce qu’il ya  de plus élevé en lui. Ce propos semble choquant à première vue pour le croyant lambda qui a l’habitude de diviser le monde entre ceux qui réfléchissent comme lui et ceux qui réfléchissent différemment. Dieu a confié à l’humain en général le dépôt le plus important, la capacité de le recevoir et de recevoir sa parole.
C’est la raison pour laquelle il aime l’infidèle en tant qu’être humain capable de rencontrer à un moment sa propre vérité qui est la même chose que la vérité divine. Cela correspond à une parole coranique qui dit que « Dieu a anobli les enfants d’Adam ».

En ce moment, Musulmans et Chrétiens s’entretuent en Centrafrique. Il y a quelques mois le Nord du Mali était sous le joug de jihadistes.  Si Dieu est miséricorde pourquoi alors les hommes font-ils montre de tant d’intolérance meurtrière?

Je crois que c’est une ignorance profonde de ce qui signifie à la fois la miséricorde et leur propre fraternité en humanité. Là encore la leçon de Tierno Bocar Tall, c’est que Dieu a voulu lui-même le pluralisme; la pluralité de  nos couleurs, de nos langues, tout ce qui fait nos différences. Et il nous dit aussi que la seule compétition qui vaille, c’est la compétition dans les bonnes actions pour rendre ce monde meilleur. Le texte coranique précise que c’est Dieu lui-même qui nous renseignera sur nos divergences. Ce que cela signifie, c’est que le fanatisme et la facilité avec lesquels certains excommunient les autres en disant  ce sont des infidèles sont comme une incompréhension profonde de Dieu lui-même et de ce que signifie être humain.

Que pensez-vous de certains groupes comme Boko Haram  qui reposent sur le refus de l’école occidentale ?

L’expression elle-même Boko Haram est caractéristique de ce fanatisme ignorant. Historiquement cette expression avait été utilisée pendant la période coloniale au moment où avait été imposée la graphie latine  contre la graphie arabe. C’est devenu une opposition à l’école caractérisée absurdement d’école occidentale. Il n’y a pas d’école occidentale, ou africaine, il y a une institution qui dispense le savoir et le savoir c’est le droit humain.

N’est-ce pas ce que rappelle un hadith prophétique en disant l’encre des savants (titre de votre dernier ouvrage) est beaucoup plus précieux que le sang des martyrs ?

Tout savoir éclaire et la religion n’est pas autre chose que la recherche de ce qui éclaire l’être humain, le sort des ténèbres de l’ignorance pour les lumières du savoir. Le fanatisme et l’ignorance exaltent le meurtre, la violence, le suicide, en posant cela comme le sang des martyrs. Le seul vrai jihad dans lequel les sociétés musulmanes doivent s’engager, c’est la recherche du savoir. C’est devenir des sectateurs de la vérité du savoir et des lumières de l’éducation.

Que répondez-vous à ceux qui font équivaloir laïcité et religion ?

C’est le risque que le monde musulman encourt. Chaque fois qu’on parle d’islam dans les médias, c’est autour d’évènements violents. Il faut que les Musulmans montrent par leur comportement que leur religion n’a rien à voir avec tout cela. L’Islam prône le savoir, la discussion ouverte. « Discute avec ceux qui ne pensent pas comme toi de la meilleure des manières ». Cette parole coranique est à méditer.
Vivre l’islam comme cela est de notre responsabilité. Ceux qui présentent l’islam comme vous dites, c’est leur affaire. il y a une islamophobie qui est réelle, qui profite des circonstances pour dire le plus grand mal de cette religion. Il nous appartient par notre comportement de démentir cette islamophobie.

Que répondez-vous à ceux qui établissent une opposition radicale entre laïcité, démocratie et islam?

Aujourd’hui on a accusé l’Islam de ne pas être compatible avec la démocratie, la société ouverte. Cette accusation générale, on pourrait la dire pour n’importe quelle  religion. En France, la laïcité s’est construite contre l’Eglise.  Il n’y a rien de spécifique dans l’Islam qui interdise à la société musulmane d’être pluraliste. En réalité ce qu’ils manifestent (les islamophobes), c’est que leur propre société n’est pas ouverte. Ils oublient que la société ouverte est une société qui peut être accueillante. Les sociétés occidentales voient apparaitre des mouvements d’extrême droite extrêmement virulents au contraire d’ une société d’ouverture  qui doit être capable d’accueillir et d’intégrer la différence. Il faut évidemment que ceux qui arrivent puissent s’intégrer à la fabrique, au moule de la société qui les accueille et cette dernière doit montrer jusqu’où elle peut être ouverte.

Par sudonline.sn

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