Soutenabilité de la dette publique extérieure et Plan Sénégal Emergent par le Dr Omar Ndiaye

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Les partenaires techniques et financiers du Sénégal ont pris l’engagement de contribuer au Plan Sénégal Emergent (PSE). Cet engagement chiffré à 3927,4 milliards FCA, une fois tenu, va se traduire par un alourdissement significatif de la dette publique extérieure du Sénégal. L’analyse de la dette publique extérieure, solvabilité et soutenabilité de la politique budgétaire montre que le Sénégal s’est souvent endetté pour payer sa dette. Cette analyse fournit des enseignements utiles aux fins d’éviter « l’effet boule de neige » de la dette publique dans le Plan Sénégal Emergent.

Dette publique extérieure, solvabilité et soutenabilité de la politique budgétaire

La littérature relative à la solvabilité de la dette publique extérieure et à la soutenabilité de la politique budgétaire pose, entre autres, l’hypothèse de solvabilité en termes d’équilibre entre l’encours de la dette et la valeur actualisée des surplus primaires anticipés ou entre le taux d’intérêt réel et le taux de croissance du PIB dont dépend l’évolution de la dette.
Si la production escomptée croît à un taux supérieur au taux d’intérêt réel, le gouvernement n’est soumis à aucune contrainte budgétaire. Il n’existe aucune borne à l’augmentation de la dette puisque la croissance du PIB permet de financer le service de la dette. Dans le cas contraire, l’Etat n’est pas solvable et sa politique budgétaire n’est pas soutenable.
Sur le plan empirique, deux règles découlant de ce paradigme ressortent: pour que la dette publique extérieure soit soutenable, il faut alternativement que la balance commerciale soit excédentaire (valeur des exportations supérieure à celle des importations), que le taux de croissance de la production dépasse le taux d’intérêt réel.
Nous allons illustrer nos propos en nous référant à deux grands groupes de régimes de croissance observés selon qu’ils sont caractérisés par la mise en œuvre ou non de réformes et en nous appuyant sur les statistiques de la BCEAO, de la Banque Mondiale et du FMI.
Le premier groupe correspond à la période 1965-1979, marqué par la crise en fin de période. Le deuxième groupe est marqué par la réforme sous pression des bailleurs de fonds et il correspond aux périodes suivantes : 1980-1985 ; 1986-1994 ; 1994-2001 ; 2002-2010.
La question de la dette est incontournable dans ces réformes.

Le régime de pré-réforme 1965-1979

Le Sénégal n’est pas en mesure de générer des excédents extérieurs avec lesquels il pourrait rembourser la dette publique. Ainsi, la première condition de solvabilité n’est pas remplie : le déficit commercial se chiffre à -155 millions de dollars US. L’effet « boule de neige » de la dette publique est vérifié : l’Etat a eu recours à la dette pour payer ses dettes
Deuxième condition (non significative dans ce régime) de solvabilité : le taux de croissance du PIB (2,2% en moyenne) est supérieur au taux d’intérêt réel (-3,8% en moyenne).
Remarquons que les taux d’intérêt ne sont pas un bon indicateur en cas de répression financière car il n’est pas déterminé par le marché mais par l’Etat. La libéralisation financière permet de relever les taux, restés fortement négatifs au Sénégal de 1965 à 1985.
Concernant la dette, elle absorbe en moyenne 68,6 % des exportations et 23,6 % du PIB entre 1965 et 1979. En juin 1979, le Sénégal se déclare en cessation de paiements.

Les régimes de réforme

De 1980 à 2010, le Sénégal a régulièrement enregistré un déficit de sa balance commerciale : -351 millions de dollars US en moyenne. La même tendance est observée pour les années suivantes.
La chute des exportations dans le PIB est couplée à l’augmentation ininterrompue des importations entraînée par l’accroissement des importations alimentaires.
L’effet « boule de neige » de la dette publique est observé : le Sénégal s’est endetté pour payer sa dette.
Il en de même si on prend le second critère de solvabilité de la dette publique: le taux de croissance du PIB est souvent resté inférieur au taux d’intérêt réel.
Ainsi dans la période 1980-1985, le taux d’intérêt (3,2% en moyenne) est resté supérieur au taux de croissance du PIB (2,1% en moyenne).
Cependant, après la dévaluation du franc CFA, est enregistré un taux de croissance du PIB (5,3% en moyenne) supérieur au taux d’intérêt réel (2,1% en moyenne) en considérant la période 1995-2001 : l‘effet « boule de neige » n’est pas confirmé au regard du second critère de solvabilité de la dette publique. Ce résultat est corrélé à la libéralisation financière.
Néanmoins, sur l’ensemble de la période 1980-2010, la dette publique extérieure du Sénégal n’a pas été soutenable. De 1995 à 2001, l’encours de la dette publique en pourcentage du PIB est supérieur à 70 %, la norme de convergence de l’UEMOA.
La faible spécialisation du Sénégal et sa forte propension à importer entretenue par une logique de répartition irrationnelle et un recours excessif aux crédits commerciaux expliquent ses niveaux d’endettement.
Les difficultés du Sénégal se concrétisent alors par un service de la dette extérieure qui ,dans le régime 1986-1994, est quasiment égale au double (213 millions de dollars US) de ce qu’il était dans le régime 1980-1985 (116,5).
Malgré la baisse du service de la dette publique extérieure (admission au PPTE), le taux d’endettement extérieur (dette totale/PIB) a augmenté de 2007 à 2009 pour s’établir à 27,3% en moyenne
Le cas du Sénégal illustre parfaitement les deux causes à l’origine de la dévaluation du franc CFA : l’endettement et les dé-ajustements commerciaux.

Quels enseignements pour le Plan Sénégal Emergent ?

L’analyse de la dette publique extérieure, solvabilité et soutenabilité de la politique budgétaire conduit à affirmer que la dette publique extérieure du Sénégal, dans l’ensemble, n’a jamais été soutenable aussi bien sur le plan économique que social. D’où les difficultés de ce pays à être émergent.
Ainsi, dans le PSE, il s’avère nécessaire :
– de réaliser un taux de croissance du PIB supérieur au taux d’intérêt réel. Pour cela il convient d’abord d’intégrer les conditions définies dans notre contribution récemment publiée « Succès sous conditions du Plan Sénégal Emergent » : mettre en place un cadre institutionnel amélioré et sécurisé, prendre en compte le rôle de l’Etat pour instaurer une économie mixte et la soutenabilité politique et sociale des réformes. Il convient ensuite d’inciter les autorités compétentes à rechercher des crédits à des taux concessionnels et à mener une politique prudente d’expansion monétaire pour baisser les taux d’intérêt réel.
– de donner la priorité aux exportateurs : vu l’importance des exportations pour la croissance, le Sénégal devrait être attentif aux besoins des exportateurs et se fixer pour règle de leur donner la priorité. Un moyen facile de le faire est de supprimer les réglementations superflues, en leur donnant automatiquement accès aux devises, en supprimant les monopoles d’exportation et en facilitant leur accès aux intrants intermédiaires et aux biens d’équipement.
– de rationaliser les barrières aux importations : le Sénégal doit poursuivre la libéralisation des importations en levant les barrières non tarifaires dans l’intérêt de la rationalisation du régime commercial et de la transparence. L’effort devrait porter sur l’établissement d’un calendrier réaliste de substitution des droits de douane aux barrières non tarifaires.
De même, il faudrait simplifier la structure tarifaire, ramener les taux les plus élevés à des niveaux plus modérés et instaurer une taxe minimale pour les exportateurs ayant accès aux importations en franchise. Souvent, ces réformes peuvent générer suffisamment de recettes pour compenser un abaissement relativement important de l’ensemble des droits, tout en contribuant à la création d’un environnement plus compétitif et à la réalisation des gains de productivité.
-d’opérer des changements dans la politique économique et sociale afin de diversifier l’économie et de faire jouer efficacement à la dette extérieure son rôle d’accélérateur de la croissance et non de facteur d’appauvrissement économique et social.
Ainsi, il est impératif que l’endettement extérieur dans le PSE s’accompagne d’un processus d’accumulation du capital favorable à la croissance, avec les vingt-sept projets du PSE qui doivent être rentables, managés par des compétences techniques avérées comme le demande Monsieur le Président de République lors du conseil des ministres du 27 mars 2014, au lieu de favoriser la consommation.
Le PSE doit être attentif au fait que la persistance des déficits budgétaires, les défauts de paiements, la faiblesse relative des remboursements et la multiplicité des mesures d’allégement de la dette créent un risque de stagnation (voire une contraction) des crédits extérieurs et la suspension du financement extérieur privé.
Il est aussi utile d’intégrer les corrélations entre la dette publique extérieure et le taux de change effectif réel : tout endettement supplémentaire s’accompagne d’une dépréciation du taux de change réel.
Le surendettement peut donc avoir un effet néfaste sur le taux de change réel du Sénégal, ce qui peut être à l’origine des faibles performances économiques qui en fin de compte poussent au défaut de paiement (crise d’endettement, crise monétaire) et compromettent l’émergence.

Dr Omar NDIAYE
Économiste
Convergence des Cadres Républicains / CCR-France

1 COMMENTAIRE

  1. La premiere partie est pertinente et le probleme bien pose et soutenu par une statistique seulement la periode de 1993 a 2010 n’a pas ete bien maitrisee par Mr Ndiaye comparee a la periode 1965-1992 .il y a une autre rupture en 1993 ou L’economie senegalaise a connu une contraction.On sent aussi les mefiances(crainte de critiquer ) de l’auteur et la legerete de l’analyse sur le PSE et la dette car il fallait aussi soutenir avec des statistiques et la ou Mr Moubarack Lo a raison c’est que la croissance fixee par ce Regime (7%) ne pourra pas amener L’emergence mais aussi rendre l’endettement soutenable donc il fallait donner un taux de croissance minimal pour credibiliser votre analyse.La partie sur le PSE est juste une literature.peut etre que l’auteur est partisant rappelons qu’avec 7% de croissance si on enleve les 2,7% de la croissance de la population il reste 4,3% ce qui donnera un indice de developpement humain tres faible

    Assane Diop Asskaw Louisville,Ky USA

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