Soutien du PS à Gbagbo : révélateur d’une «inculture» démocratique Par Pr Ndiaga Loum, Université du Québec en Outaouais

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Ceux qui voudraient se persuader que le PS (version opposition) aurait réussi sa mue en se réconciliant avec les vertus de la démocratie immergées dans 40 ans d’autoritarisme parfois radical (règne de l’UPS) et plus souvent modéré (depuis l’ouverture au multipartisme en 1974), devraient remettre aux calendes grecques leur regard optimiste sur ces «hommes nouveaux de l’ancien régime». Tout ce qu’il y a de nouveau chez eux est le refoulement physique des habits dorés du pouvoir, mais «chassez le naturel, il revient au galop!». Ce qui était voilé se dévoile. Ce qui était enfoui est refoulé, re-émergeant sous les poussées réflexives de la vraie nature anti-démocratique et exhalant les odeurs de l’incontinence politique. La plus importante transformation que l’on attendait d’eux fût plus interne, plus profonde, plus viscérale : c’était une rupture psychologique avec une certaine «inculture» démocratique inaugurée avec le règne «senghorien» et réadaptée sous des formes plus tolérantes par le pouvoir de Diouf. Cette transformation n’a pas été faite et l’attitude du premier secrétaire du PS félicitant son ami, usurpateur éhonté de la souveraineté populaire ivoirienne, en est l’illustration éloquente. Nous faisons souvent preuve d’une sévérité absolue à l’endroit du régime de l’alternance en affirmant que ses scandales ont épuisé la capacité d’indignation des Sénégalais. Mais si nous voulions faire preuve d’honnêteté intellectuelle, nous nous devrions de reconnaître que cette capacité d’indignation était déjà largement entamée sous le règne quarantenaire du Parti socialiste. Il ne serait pas superfétatoire de le rappeler aujourd’hui que les félicitations indignes du PS adressées à l’usurpateur du FPI nous en redonnent l’occasion.

Qui a oublié que c’est ce même PS qui inventa au Sénégal cette gestion néo-patrimoniale qui a fait le lit de tous ces scandales que l’on dénonce encore aujourd’hui? Ce système où les entrepreneurs politiques, ayant acquis des positions de pouvoir, s’adonnent à l’extraction et à l’accumulation des ressources financières pour entretenir leur clientèle. Ce système où les détenteurs du pouvoir politique exploitent leur position dans la sphère de domination pour « placer » les amis politiques, les membres de la famille, les « recommandés », les ressortissants du même village, de la même ville, de la même région. Ce système néo-patrimonial que décrit remarquablement Alain Mescheriakoff : « Le chef conquiert ce qu’on pourrait appeler un espace politique.

Les caractéristiques de cet espace sont les suivantes : il est lié à l’action d’une direction administrative grâce à laquelle le chef élargit l’étendue de sa sphère de contrainte hors de sa maison. Cette contrainte est cependant considérée, à l’image de ce qui se passe dans la maison, comme un droit personnel du chef».

L’espace néo-patrimonial auquel est habitué le PS, est celui dans lequel le chef organise son pouvoir politique comme l’exercice de sa gestion domestique, exactement comme le fait Gbagbo aujourd’hui. Habitués ainsi à appréhender l’espace du pouvoir comme un territoire familial, il n’est guère surprenant que les sentiments d’amitié et de parenté se substituent aux principes démocratiques chez les dirigeants du Parti socialiste sénégalais. Leur logique néo-patrimoniale fondée sur la satisfaction des besoins des « parents politiques » ignore les solidarités sociales et méconnaît les compassions. La preuve la plus éclatante pour le Sénégal sous le régime socialiste, ce fut l’augmentation du nombre des députés (de 120 à 140) en 1998 et la création d’une nouvelle institution, le Sénat, dont des membres étaient nommés directement par le Président de la République, exactement comme le fait le régime de l’alternance aujourd’hui. La « privatisation » de la politique était ainsi faite que même le « Prince » (détenteur du pouvoir exécutif) avait un droit de regard sur le pouvoir législatif dont les membres étaient ses représentants personnels dans les Institutions législatives. Cette pratique découle de ce que Médard appelle l’absence de véritable distinction entre domaine privé et domaine public. Voilà qui explique pourquoi le régime du Parti socialiste, traitant les institutions comme des biens propres, choisissait de nommer lui-même des sénateurs qui faisaient partie du cercle fermé des proches, qui n’étaient pas forcément compétents, mais qui avaient toujours témoigné fidélité et loyauté aux deux princes qui se sont succédé, Senghor et Diouf. Dans ce système décrit par Weber, l’obéissance est due à l’autorité personnelle de l’individu qui en bénéficie en vertu de son statut traditionnel : «Le groupe organisé qui exerce l’autorité n’est pas un supérieur, mais un chef personnel. Son entourage n’est pas composé essentiellement d’officiels, mais de dépendants personnels. Ceux qui sont sujets à l’autorité ne sont pas les membres d’une association quelconque, mais sont soit ses camarades traditionnels, soit ses sujets. Ce qui détermine la relation de l’entourage administratif avec le chef n’est pas l’obligation impersonnelle liée à l’office, mais la loyauté personnelle au chef» (Weber).

L’essence même du patrimonialisme se ramène à l’idée que toute l’autorité gouvernementale et les droits économiques correspondants, tendent à être traités comme des avantages «privatiquement appropriés». Les pouvoirs gouvernementaux et leurs ressources qui leur sont associées sont alors traités comme des droits privés. Ce sont exactement ces mêmes logiques décrites par Weber qui avaient poussé le régime du PS à créer un Sénat et à procéder à l’augmentation du nombre des députés, malgré la désapprobation générale. Ces dernières mesures avaient été prises au moment où plus d’une centaine de diplômés de l’école normale supérieure de Dakar faisait la grève de la faim pour réclamer leur recrutement dans un secteur éducatif qui manquait cruellement de professeurs. Face à l’indignation et à la colère des populations, la seule réponse de l’État néo-patrimonial sénégalais sous le régime du parti socialiste, c’était : « il faut qu’une majorité serve à quelque chose».

C’est vrai qu’on ne guérit pas facilement d’une telle culture anti-démocratique, d’une telle «inculture» démocratique. Il n’est jamais trop tard pour conseiller aux dirigeants socialistes qui ont inventé le système néo-patrimonial sénégalais et que 10 ans passés dans l’opposition n’ont pas soigné des séquelles de la «privatisation du pouvoir», de ne jamais sous-estimer la capacité des sociétés africaines en général et ivoiriennes en particulier, à «l’invention démocratique». L’avertissement de Bayart vaut encore pour ces nostalgiques du pouvoir, trop attachés aux privilèges de leurs fonctions au point de ne jamais envisager les quitter sans résistance: « S’il est vrai qu’en tant qu’idée, la démocratie et la thématique des droits de l’homme qui lui est connexe sont produites par l’histoire occidentale, cela ne signifie pas que les non-occidentaux, en l’occurrence les Africains tolèrent traditionnellement mieux que les Européens, l’arbitraire du pouvoir » (Bayart). Ce qui a valu pour les socialistes sénégalais le 19 mars 2000 vaut pour leurs amis du FPI le 28 novembre 2010. Si les socialistes sénégalais n’avaient pas envisagé de confisquer la victoire du peuple en 2000 au risque d’exposer le Sénégal à l’explosion sociale, pourquoi le conseilleraient-ils aujourd’hui à leurs amis du FPI en Côte d’Ivoire? Est-ce à dire que les Sénégalais sont meilleurs que les ivoiriens et seraient plus dignes du respect de leurs choix démocratiques que nos «cousins»? Ou faudrait-il suspecter que le candidat du PS avait accepté sa défaite en 2000 contre l’avis de son parti ? L’explication qui s’appuie sur des relations de partis et sur l’amitié pour justifier son soutien à un usurpateur, même habillée des oripeaux du droit (un fallacieux purisme juridique) n’est pas seulement cynique, elle est absurde. L’aberration fondamentale revient sans doute à ériger une amitié mythique, archétype en lequel se «résolveraient» les contradictions immédiates, là où il y aurait lieu de s’inscrire dans une analyse prospective qui prenne en compte l’avenir de tout un pays, de toute une nation qui méritent le respect de leur décision souveraine exprimée dans le seul moment de vérité qui compte en démocratie : le vote.

La notion d’«amitié politique» qui procède d’un souci illégitime à vouloir exprimer la singularité d’une relation entre partis, entre leaders, sans recourir à l’intérêt général de tout un pays au-delà des contingences partisanes et en prenant le contrepied de l’avis unanime de la communauté internationale, est si réductrice qu’elle comporte le risque et l’inconvénient de s’enfermer dans l’isolement.

S’il y avait une conclusion à cette réflexion, elle ne prendrait pas de distance avec l’affirmation fort prémonitoire de Abdou Latif Coulibaly (La Gazette, samedi 4 décembre 2010), remarquable dans ses atours de prospective politique : «Si demain, le Conseil constitutionnel venait à annuler les résultats provisoirement proclamés par la Commission nationale de recensement des votes, pour des motifs farfelus et inexacts, comme ceux invoqués par la requête présentée devant le juge politique ivoirien par le FPI, le PS devrait se garder par décence de crier au scandale. Personne ne le prendrait au sérieux». Que l’on s’en souvienne!

Pr Ndiaga Loum, Université du Québec en Outaouais (UQO)
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