[TEMOIGNAGE] Aïssata Tall Sall, entre espoir d’un pays et récupération politique

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« J’ai rêvé d’un monde de soleil dans la fraternité de mes frères aux yeux bleus. » – Léopold Sedar Senghor

Vendredi matin, j’ai décroché mon téléphone sur la désillusion, et celle-ci s’est exprimée avec force à l’autre bout du fil. C’était la désillusion d’une femme envers son pays, envers toute l’énergie abandonnée dans son vain chemin de croix, envers toute l’espérance qu’elle plaçait dans une personne – une seule, pour ranimer le naufrage politique de sa patrie. A l’autre bout du fil, la voix du Sénégal parlait.

C’est un pays plat et sablonneux où la steppe et le désert agrippent des bas-fonds fertiles et des paysages de forêt claire ; un pays où le soleil ensanglante les feuilles des baobabs à la tombée du jour et où les rizières, à travers les herbes hautes, glissent comme des teintes ruisselantes sur une toile aride. Un pays plus connu pour ses thieboudienes et ses atayas fumants que pour sa complexité politique, apprécié par les touristes pour ses fêtes et ses Kamagnènes davantage que pour ses manifestations et où la pauvreté se cache à l’arrière des Novotels et du Terrou-Bi. Pourtant, la situation actuelle du Sénégal gagnerait à être davantage retracée à l’international. Lourd du poids de ses 14 millions d’habitants, le pays reste, aujourd’hui encore, tributaire de son agriculture et de ses élevages, de ses ressources naturelles et de la concurrence internationale. Si la croissance économique parvient à placer le pays à la deuxième place au niveau du continent africain, talonnant la Côte d’Ivoire, les chiffres ne parviennent pas à faire régresser son taux de pauvreté. Les ménages sénégalais tentent de surmonter les brusques pénuries d’eau, le poids des factures d’eau et d’électricité, les tensions vivifiées par la hausse des prix mondiaux.  Et sur ce fond instable, le pays dénudé subit chaque jour d’avantage les coups du conflit en Casamance et du terrorisme dans la zone de Sahel.

Mais il ne s’agit pas là de guerre, ni même de terrorisme dans le témoignage de cette femme. Si elle veut à tout prix faire entendre sa parole aujourd’hui, c’est au nom d’une politique qui s’effondre. Si la démocratie sénégalaise tient encore en place depuis son indépendance, sa pyramide politique tend à s’écrouler. Bien qu’elle symbolise, aujourd’hui encore, la figure exemplaire de la transition démocratique des pays africains et qu’elle jouisse d’une réputation de transparence édifiante, l’édifice trébuche. Les années de Macky Sall au pouvoir auront eu raison de sa réputation. Entre quatre remaniements ministériels, le manque de droit de l’opposition,  une justice sélective à la disposition de l’exécutif et une croissance de média-propagandes,  le bilan plus que mitigé de l’APR ouvre grande sa porte à la fronde socialiste. Car oui, le PS sénégalais aussi possède ses frondeurs, et le parti d’Ousmane Tanor Dieng menace chaque jour un peu plus d’être renversé.

Le témoignage aurait pu être issu des Sophonisbe auréolé de l’éclat de leurs trahisons – à la différence près que le déchirement se situe plus entre un peuple et son espérance qu’entre un homme et une femme. Bien que l’espérance ici possède les trais féminins et des regards d’albâtre.  Les femmes n’ont jamais cessé d’exister au travers de l’Histoire et des Mythes sénégalais.  Pays des courageuses femmes de Nder qui offrirent leur sacrifice plutôt que l’esclavage, de la sublime Aline Sitoé Diatta qui poussa tout un peuple à la désobéissance civile, ou encore de la journaliste Annette Mbaye d’Erneville, le Sénégal fournit à son gouvernement des politiciennes dans la lignée d’Elisabetch Domitien, telles que Mama Madior Boye ou Aminata Touré. Il ne s’agit plus ici de sublimes impératrices au cœur pur, de jeunes prêtresses à la fougue d’Amazones, ni même de jeune femme en désir de changer le monde. Aujourd’hui, le mythe est moderne et les femmes révèlent leur courage et leur ténacité au sein de la sphère politique. Elles peuvent même représenter tout l’espoir d’une partie de la population et ouvrir la marche du progrès. A moins d’un faux pas…

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La première rencontre d’Haby Camara et Aïssata Tall Sall à l’hôtel Méridien Porte Maillot

 

« J’ai tout donné pour recevoir cette femme ; toute mon énergie, je l’ai placée en elle. Et aujourd’hui, j’ai mal au cœur. Aujourd’hui, je me sens simplement trahie. »

Aïssata Tall Sall était pourtant haut placé dans l’estime du peuple sénégalais. Aux non Sénégalais qui découvrent la politique de ce pays, vous l’avez peut-être entraperçue il y a quelques années sur les marches du festival de Cannes. Car la candidate socialiste aime à troquer sa robe noire contre une robe de soirée ; en 2006, elle tourne avec Abderrahmane Sissako son propre rôle dans le film Bamako où elle défend la cause de l’Afrique face à la Banque Mondiale et au FMI. Aïssata Tall Sall fait partie, aux côtés de Mes Bamba Cissé et Me Alassane Cissé, de ces avocats prêts à se charger des plus gros dossiers. C’est au barreau que la politicienne se forge sa réputation : des généraux Palenfo et Coulibaly au président malien Dioncounda Traoré en passant par l’ex-premier ministre togolais Agbéyomé Kodjo, elle s’illustre face à des personnalités au profil complexe. Aïssata Tall Sall avait tout pour trouver une réponse au peuple sénégalais. Cette « petite paysanne de Podor », comme elle se plaît elle-même à se définir, a su se construire jusqu’à devenir la « lionne du Fouta », une figure emblématique de la fronde socialiste prête à rentrer dans les rangs de ces femmes qui avaient construit la légende sénégalaise. Et après avoir exercé les rôles de députée et maire de Podor, de ministre de la communication entre 1998 et 2000, puis de porte-parole du parti socialiste, c’est vers la présidence de la République qu’elle se tourne à présent.

A l’autre bout du fil, la voix d’Haby Camara se fait nostalgique. Aïssata Tall Sall avait tout pour redorer le blason du parti socialiste et redonner espoir à toute une population. Haby Camara  m’enjoint de parcourir les pages de ses différents sociaux. Partout, Aïssata donne l’impression d’être une femme de valeurs. Le regard ardent et la verve ambitieuse, elle pose avec des airs de Mami Wata, avec ses foulards couleur de l’aube tout imbibés de pierreries et l’or de ses bijoux reluisant sur sa peau noire comme une nuit étoilée. Dans ses mots, elle se dit près de son peuple, près des siens.  A quelques jours près, elle aurait aussi pu l’être dans ses actes.

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Haby Camara et Aïssata Tall Sall

Haby Camara  vit à Paris. Ayant grandi en France, elle se donne pour ambition de représenter la jeunesse à la double culture. Son rôle ? Sensibiliser les jeunes à plus s’intéresser au pays natal de leurs parents afin qu’ils cherchent à y investir, apporter leur pierre à l’édifice et au développement du pays. Depuis quelques temps déjà, elle espère pouvoir faire son retour à la source et retrouver son pays. Aïssata Tall Sall était son espoir de retrouver sa patrie. Elle a travaillé durant des mois pour ce meeting avec le mouvement de soutien lancé à Paris pour Aïssata. Leur première rencontre avait les échos de l’espérance et du progrès. Très vite, les deux femmes s’entendent. C’est à ce moment-là qu’Haby Camara décide d’organiser un meeting avec la diaspora sénégalaise. Il s’agit de réunir un maximum de personnes autour de cette femme qu’elle admire. Ambitieuse, soutenue par sa famille et par ses proches, elle passera des mois entiers sur cet engagement. Du matin au soir, il s’agit de rassembler toute une population derrière elle, de se déplacer, de trouver les moyens nécessaires pour financer un tel évènement. Handicapé, son père trouve le courage de continuer à faire du porte à porte. Sa mère aussi, oubliant son âge, met toute sa foi dans ce grand rassemblement. Elle aussi rencontrera Aissata Tall Sall et en fera sa raison de se bataille. Au final, c’est toute une famille qui sacrifiera son énergie par péché d’espérance. Et pendant ce temps, la candidate les rassure. Ses mails se veulent rassurants : oui, elle sera bien là à ce grand meeting de juillet ; oui, leurs efforts consacrés à sa réception n’auront pas été vains ; oui, les 2650 euros qu’il a fallu trouver malgré tout pour cette rencontre seront remboursés.

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La rencontre avec les patriarches à Oissel

Aïssata Tall Sall aussi n’aura été qu’un leurre, et il n’aura fallu que quelques jours pour qu’elle enfile son masque de Dalila. Il faudra attendre le 15 juillet, la veille du meeting, pour que la candidate annule tout. Prenant comme alibi les attentats survenus à Nice au cœur de la fête nationale française, elle ne passera qu’un bref coup de fil à Haby Camara, alors en pleine conclusion des préparatifs, pour l’informer de sa décision. En une seconde, ce sont des mois d’organisation, des mois d’énergie consacrée à son accueil, des mois de volonté farouche de mobilisation qui s’envolent en fumée sous le coup de la transhumance politique. Bientôt, Aïssata Tall Sall pose au premier plan sous le ciel en deuil de Paris. Tourmentée, la mère d’Haby Camara tente le tout pour le tout. Elle appelle Aïssata, passe une heure à essayer de la convaincre de revenir sur sa décision. Même sa famille se voit dans l’incapacité de se déplacer pour participer sans elle au meeting. Les proches de la candidate eux-mêmes l’enjoignent de rejoindre le meeting. Mais rien n’y fait ; l’invitée d’honneur ordonne de fermer la salle et de ne laisser personne entrer. Elle ne daignera même pas passer l’ouverture de la salle pour saluer les Sénégalais venus en masse pour la recevoir. D’ailleurs, ni Haby Camara ni les membres de sa famille ne recevront de décision finale directement : c’est grâce aux réseaux sociaux qu’ils apprendront le refus catégorique d’Aïssata Tall Sall. Pendant ce temps, Haby Camara tente de sauver son œuvre du naufrage entamé par la récupération politique. Car oui, malgré l’absence outrecuidante de l’invitée, le rassemblement a tout de même eu lieu. La diaspora sénégalaise, blessée par l’affront de sa candidate, a trouvé la force de se réunir autour d’Haby Camara pour remercier son geste. Une minute de silence a été respectée en mémoire des victimes de Nice.

La candidate finira par faire le tour de la France sans jamais rencontrer sa diaspora sénégalaise, ni même rembourser l’argent versé dans cet évènement, malgré la déclaration contraire officiellement véhiculée. Délaissant le parti monté pour elle en France, elle ne se présentera plus qu’au nom du Parti Socialiste.

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La candidate socialiste avait aussi rencontré la mère d’Haby Camara

Aïssata Tall Sall aurait-elle montré son vrai visage ? Sa réponse aux attentats de Nice aurait pu être respectable ; en se faisant au détriment de la diaspora, et plus particulièrement de la communauté Halpoular, elle a transformé un hommage humain en un acte de récupération politique. Son soutien a pu en émouvoir certains ; mais il en a bien plus trahis. Car c’est ce mot que répète Haby Camara à l’autre bout du fil : la trahison. A l’heure même où la menace terroriste plane au-dessus du monde, Aïssata Tall Sall se devait de rassurer les siens. La France a su sélectionner ses hommages en passant outre l’attentat de Kaboul. Quant à Aïssata Tall Sall, elle a fait son choix entre le peuple qui la soutient et les médias. Rien ne l’empêchait de se rendre sur les lieux de l’attentat – nul âme sur Terre ne lui aurait reproché de s’y rendre 24 heures plus tard. Mais la tentation médiatique devait être trop grande, la diaspora inexistante à ses yeux. Et accablée de fatigue et de regrets, la famille d’Haby Camara ne peut plus aujourd’hui que chercher un moyen de dénoncer la façon dont on les a renvoyées ; sans élégance, le ton plein d’arrogance. Aujourd’hui, ma plume sert de voix aux lèvres d’Haby Camara et de la diaspora sénégalaise pour dénoncer l’escroquerie dont elles ont été victimes et la désillusion qui s’est emparé d’elles. Une chose est certaine : Aïssata Tall Sall a pu gagner la faveur de quelques Français ; elle perd en ce moment même le soutien de ses plus proches militants. Réciprocité de l’acte ou non, le meeting socialiste organisé par le maire de la Médina hier a été annulé, la presse brutalisée– pour la deuxième fois la candidate frondeuse ne montera pas sur la scène animée par ses foules.

Voilà comment finit par se ternir l’espoir d’un pays. La poussière recouvre déjà le visage triomphant d’une femme qui se disait ambitieuse. Et le pays plat n’a plus qu’à se remettre à errer à la recherche d’un espoir digne.

Charlotte Meyer, journaliste jeune

laffranchiedotcom.wordpress.com

3 Commentaires

  1. Si elle ne se défend pas en donnant sa propre version elle est morte.Nous attendons des éclaircissements car ce meeting,souvenez vous a longtemps été annoncé chaque jour sur tous les sites web.Que le Seigneur fasse que ce ne soit pas pour les raisons soupçonnées par l’auteure de cet article. Sinon on ne sait plus ou aller…cette femme incarne quand meme un espoir pour la résistance a la félonie politique que Tanor représente et ce cochon de Wyllane le cancre loquace de qaffryne,qui veulent faire l’autodafé du PS ce parti plusieurs fois trentenaire et mère de tous les partis s’agitent.

  2. il faut arrêter de régler vos problèmes dans les médias. Vous n’êtes pas digne de confiance. Merci de ne pas parler au nom de toute la diaspora car moi je ne me retrouve pas dans vos réglements de compte de bas étages

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