Un avis sur l’avis ? De ces conseillers du « Prince » qui doivent relire Machiavel . Par Pr. Ndiaga Loum

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Lettre au Président de la République !  

À ses contemporains qui lui reprochaient de manquer d’humanité en listant les comportements possibles d’un grand  homme d’État, Machiavel répondait à ceux qui le jugeaient qu’ils n’avaient pas plus de moralité que lui. Il ajoutait que s’il n’était pas cynique, la matière sur laquelle portait sa réflexion, la politique, elle, l’était définitivement. Mais l’intelligence du conseiller, une lumière qui justifie et légitime sa fonction, devrait l’amener à ne point chercher à plaire systématiquement au « Prince », mais de l’aider à prendre des décisions en fonction des circonstances. Lesquelles circonstances devraient l’incliner à jauger et à « juger » en opportunité. D’où l’alternance « magique » entre les postures du renard et du lion attribuées au « Prince efficace ». Or, donc, quelles sont ces circonstances ? L’objectif visé, en lui disant la vérité du moment, même en assumant les idées les plus iconoclastes qui tournent le dos à la pensée interne ambiante, c’est d’aider le « Prince » à consolider son pouvoir. Autrement, en cherchant systématiquement à lui dire ce qui pourrait lui plaire, le conseiller obtient l’effet pervers de ce qu’il cherche, c’est à dire son affaiblissement. En cherchant à donner au Président de la République les bases juridiques de légitimation de la renonciation à sa parole publique, le conseiller juridique du chef de l’État est indiscutablement son « ennemi » présent, parce  qu’incapable d’apprécier les circonstances sociologiquement désastreuses d’un « wax waxët », autrement que par la fenêtre obtuse et ténue du droit qui enferme le débat dans le cul de sac que pourrait constituer un avis contraire du juge de la constitutionnalité des lois. Il est question de tout ici sauf de la conformité de la loi à la Constitution.

De l’opportunité d’une décision et de la nécessité de respecter sa promesse

De 2012 à 2015, le Président de la République avait certes tout le temps pour procéder à la réforme des institutions, dans le sens de consolider le système démocratique sénégalais, comme il l’avait promis. Il a choisi de « perdre » ou de prendre son temps. Il a créé une commission nationale de réforme des institutions (CNRI), confiée à l’ancien président de la Commission des assises nationales. Sans doute, en terme d’efficacité et de pragmatisme, l’on aurait pu faire l’économie de cette voie détournée, coûteuse en argent et en temps. Surtout lorsqu’il affirme après réception des recommandations de la CNRI qu’il prendra ce qui l’agrée ou plutôt l’arrange. En ouvrant cette brèche, il a offert à tous ceux qui, dans son parti, sont opposés à la réduction du mandat présidentiel, de l’inviter publiquement à revenir sur sa promesse de réduire son propre mandat de 7 à 5 ans.

Un vrai faux débat sur la réforme des institutions est donc entretenu depuis 3 ans. Un débat malsain qui cherche à « coltiner » dans un vain imbroglio juridique une question fondamentalement éthique. Un débat qui n’est pas seulement inique. Il est révélateur de ces « petites folies » dont parlait Montesquieu pour souligner les dangers d’un accaparement du pouvoir par le souverain. Ses collaborateurs qui devraient lui apporter la lumière dans les idées assombries par la solitude du pouvoir deviennent ses pires ennemis, surtout lorsqu’ils estiment ne lui vouloir que du bien alors que leur motivation est réduite au souci primaire de conservation des avantages que confèrent les fonctions officielles.

Une option éthique et des solutions qui enjambent tout obstacle juridique

 La focalisation du débat sur les options juridiques offertes pour concrétiser la décision de la réduction appliquée à un mandat en cours, relève d’un pur juridisme mais stérile in fine. Que cela passe par voie référendaire ou par l’Assemblée Nationale, peu importe. On sait comment matérialiser « institutionnellement » son désir de chef dans un régime hyper présidentialiste, surtout lorsqu’il est question, comme ici, d’une réforme « consolidante ». Cette vérité, Macky Sall a eu au moins la chance de l’avoir expérimentée en tant qu’acteur (lorsqu’il s’est agi de voter la loi Ezzan) et en tant que victime, lorsqu’il s’est agi de l’éjecter de son fauteuil de président de l’Assemblée Nationale pour avoir commis un acte de « lèse-majesté », en convoquant le fils du Président Wade, alors « Prince » au pouvoir. Plus dureront les tergiversations et les hésitations, plus persisteront les doutes sur la sincérité d’une promesse que l’on pensait être nourrie et motivée in fine par l’expérience douloureuse du wax waxët de l’ancien président, Wade. L’une des leçons à retenir des derniers scrutins organisés au Sénégal est la demande sociale forte, mais peut-être encore un peu enfouie, en terme  d’éthique. Ce qu’on a appris de l’attitude du peuple sénégalais, c’est que sa volonté ne saurait être aiguillonnée par un comité d’experts obscurs payés pour interpréter  laborieusement un droit qui ne demande qu’à être lu simplement. Une apparence de respect des institutions comme excuse à une entorse à une démarche fondamentalement éthique qui, elle, commande de respecter la parole donnée, sera fatale au Président. Hier comme aujourd’hui !

Au-delà du débat inopportunément imposé : un avis sur la portée de l’avis ?

Si le président respecte sa promesse de réduire son mandat, il sera le seul chef d’État au monde à l’avoir fait. Il entrera définitivement dans l’histoire et son nom « marbré » dans les manuels de  science politique ; et le respect et la considération qu’il en tirera auront des effets contagieux sur son pays et ses concitoyens. Ne serait-ce que pour cette victoire symbolique d’une importance et d’une ampleur inestimables, il serait bien inspiré de veiller au respect de sa promesse. Aucun obstacle, fût-il juridique, ne saurait l’y contraindre. Même la faculté laissée au peuple de passer outre sa volonté en cas de référendum est une fausse excuse. Il lui suffirait de faire campagne pour soutenir le vote de son projet de réforme institutionnelle pour que celui-ci passe comme lettre à la poste. D’autant plus qu’il n’y aura personne en face pour soutenir une démarche contraire. Toute autre attitude serait suspecte et laisserait poindre des attitudes de regret qui, à l’arrivée, n’auraient plus l’effet escompté, pour cause et pour raison.

Comme nous le faisions hier lors du débat sur la recevabilité de la candidature de Wade, c’est encore le moment d’affirmer ici, qu’il serait totalement pernicieux de laisser l’initiative de ce débat aux supposés « spécialistes » et aux professionnels de la politique. Parce que ce qui se joue, c’est encore le destin de toute une nation, il doit donc intéresser et impliquer l’ensemble de ses composantes.

Hier, il était question d’interpréter des dispositions constitutionnelles relatives au nombre de mandats. Aujourd’hui, il est question d’anticiper sur l’interprétation de la portée juridique d’un avis dévolu au juge constitutionnel. Autrement dit, en même temps que le chef de l’État sollicitera l’avis du juge constitutionnel, il pourra aussi lui demander, par le truchement de cette déviation « ingénieuse » (le géni est souvent pervers quand il use de la langue de bois et arbore la mauvaise foi) suggérée par son conseiller juridique, de répondre sur la portée de son avis non précisée formellement dans le texte. Ce débat inopportun qui nous est presqu’imposé n’est pas un débat de spécialistes, il n’est point besoin d’être un expert en droit constitutionnel pour le comprendre et y participer. Il suffit juste de s’intéresser à la politique, d’être préoccupé par l’avenir de son État, et d’avoir une claire conscience des répercussions possibles d’une nouvelle interprétation institutionnelle subtilement suggérée, sur la stabilité et la sécurité de son pays et de ses populations.

Pr Ndiaga Loum

5 Commentaires

  1. Le président serait vraiment mal avisé de revenir, peu importe la voie empruntée, sur sa parole.
    Une telle décision serait incompréhensible car irrationnelle. Mais il semblerait que la raison soit soluble dans le pouvoir.
    Il faut désormais s’attendre à tout depuis que les experts se sont mis à jouer avec la boite de Pandore.
    Et celui qui a le plus à perdre dans cette histoire, c’est le président Sal.
    On le dit le premier président né après les indépendances. Il pourrait aussi devenir le premier à faire un mandat.

  2. huummmmm..Professeur Loum ya graaw. donc Ismaila Madior veut aussi que le conseil constitutionnel se prononce sur son avis et dise si celui-ci lie le président ou pas. Sincèrement je n’avais pas vu cela. on apprend toujours quelque chose avec vous profeseur Loum. merci encore pour vos lumières qui font la différence.
    Un collègue fier de vous!

  3. La meilleure jusqu’ici des contributions sur ce désir de tripatouillage constitutionnel. Merci encore Pr pour ce style limpide.
    À déguster savoureusement!

  4. Bonjour M. Loum,

    Je voudrais vous interpeller sur la definition qu’ il faut retenir de la Politique. Je crois que c’ est en fonction de cela que l’ on peut analyser la demarche de Macky Sall.

    Je me suis interroge : comment Macky Sall est-il devenu President de la Republique ? Alors meme qu’ aucun des criteres weberiens ne le predestinait a cette station comme dit l’ autre. Comment ?

    Eh ben mon debut de reponse est que Macky Sall a use et abuse du principe d’ efficacite ( ce que vous appelez  » Prince efficace  » ) . C’ est en vertu de ce principe , qui structurerait la Politique du point de vue d’ un certain Machiavel…que Macky Sall aurait trouve une compensation a ces tares objectives.

    Donc il a joue sur la corde ethnico-confrerico-religieuse et / ou sur les lobbys. J’ en ai deja parle ailleurs…. Il a tire du cote des Sereres, des Hal Pulaars….et des ….? Bref, il a su communiquer de maniere efficace, en ne perdant pas de vue, que toute communication participe ou devrait participer d’ une strategie politique, celle de convaincre et de susciter l’ adhesion a sa cause. Et non pas communiquer pour plaire au point de se surprendre adorer sa propre parole : Idrissa Seck, qui racontait les Histoires du Prophete Moussa etc. Il en a pris conscience maintenant. Parler peu et bien, et Agir davantage. Meme si la Parole peut acter, puisqu’ elle peut etre performative.

    Donc Macky Sall a bel et bien une conception machiavelienne de la Politique, avec cette utilisation ou application a outrance du Principe d’ efficacite. C’ est a croire qu’ au Senegal, les criteres weberiens ( Max Weber ) ne definissent pas ou ne regissent pas la sphere politique. La ou, les principes issus de la pensee politique de Machiavel , auraient plus d’audience, aupres de Wade d’ abord et de celui que l’ on a considere jusqu’ a recemment un doublon de Wade himself, ou, a tout le moins, un Disciple de Wade.

    Il peut arriver qu’ un Disciple soit , par la suite , independant, en prenant le large, vis a vis de son Maitre. Mais en l’ espece, Macky Sall est-il vraiment different, dans sa pratique politique, de Wade ?

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