Un mort vraiment de trop par Madiambal Diagne

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Un octogénaire est en colère. Cet ancien haut fonctionnaire qui a eu à occuper de hautes fonctions dans les institutions publiques sénégalaises pointe un doigt accusateur: «Comment votre génération, née après les indépendances, peut-elle faire moins que les colonisateurs en termes de respect des droits humains, de la légalité et de la protection à laquelle tout citoyen a droit ?».
Il continue de vitupérer en témoignant : «En 1954, nous autres étudiants de l’université de Dakar, nous manifestions avec nos pancartes devant l’actuel Building administratif, alors siège de l’Administration coloniale. Nous manifestions avec nos pancartes devant le commissariat central en scandant nos revendications. Jamais ! Jamais, un fourgon de police n’a eu à dépasser le canal qui passe devant le lycée Delafosse pour entrer dans le campus universitaire et mater les étudiants ! Comment pouvez-vous laisser continuer à faire jusqu’à des tueries ? Comment peut-on tirer sur des étudiants comme si c’était des oies sauvages ?»
Est-il écrit que chaque régime politique au Sénégal devrait avoir sur les mains le sang d’un étudiant ? La mort par balle de l’étudiant Bassirou Faye en est un autre cas. Il est d’autant plus choquant qu’il s’agit d’une énième récidive. On pensait en avoir terminé avec cette forme de répression sauvage de manifestations d’étudiants qui réclament le paiement de leurs bourses. Mais voilà que le nom de Bassirou Faye vient allonger la liste des «martyrs» de l’Université de Dakar. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Les autorités de l’Etat ne sont pas encore capables de prendre les dispositions pour payer leurs pécules aux étudiants ayants-droits ; les mêmes autorités continuent de gérer les situations de crise universitaire dans l’émotion pour ne pas dire l’émotivité ou même l’affolement ; les Forces de l’ordre qui ne sont point bien préparées aux missions de maintien de l’ordre sont envoyées casser de l’étudiant, surtout que l’impunité des bavures policières leur est garantie ; les armes létales sont utilisées sans aucun suivi des protocoles de leur usage.
Dans cette affaire de retard de paiement des bourses, la responsabilité du gouvernement est totalement engagée. Cette question avait été agitée et discutée en Conseil des ministres depuis plusieurs mois et une enveloppe de dix milliards de francs devrait être prévue à cet effet. Le paiement sera finalement bloqué en attendant d’y voir plus clair, car le ministre Mary Teuw Niane aurait fait remarquer que le montant total à payer ne dépassait pas 4 milliards de francs. C’est après moults tergiversations, que le montant de 9 milliards avait été finalement retenu. Ce n’est que le lundi 11 août 2014, sur les coups de 17 heures que la banque a reçu ordre de procéder aux paiements. La banque avait quatre jours pour payer, au regard de la convention signée avec l’Etat du Sénégal. Néanmoins, elle commença à s’exécuter dès le mercredi 13 août mais entretemps, la désinvolture aura exacerbé l’ire des étudiants dont le débordement a provoqué la mort de l’étudiant Bassirou Faye.
Qu’adviendra-t-il de la procédure judiciaire ouverte par le procureur de Dakar ? On aurait de bonnes raisons de craindre, comme dans le cas du meurtre de l’étudiant Balla Gaye le 31 janvier 2001, qu’elle ne finisse pas par révéler l’identité du tueur. Dans l’affaire du meurtre de Balla Gaye, personne n’était reconnu coupable. Les enquêtes avaient été bâclées comme pour que les juges ne puissent condamner personne pour le crime. En 2013, donc quelques années plus tard, le principal suspect, le policier Thiendella Ndiaye, sera impliqué dans une nouvelle affaire similaire, celle de la mort du jeune Ibrahima Samb à Mbacké. Dans le cas présent de la mort de Bassirou Faye, on retiendra cependant que des étudiants clament urbi et orbi pouvoir identifier le tireur. Que reste-t-il alors pour procéder à cet exercice ?
Toujours comme dans l’affaire Balla Gaye, il avait été avancé que le coup mortel aurait été tiré par une personne qui avait réussi à infiltrer les rangs de la police. Heureusement que notre Police a démenti être à la base d’une telle déclaration. Car une telle déclaration aurait été l’aveu le plus clair de l’incapacité des forces de police à assurer la sécurité du citoyen. Si une personne étrangère aux forces de police pouvait se mêler aux hommes en uniforme, faire équipe avec eux et jouer le rôle de meneur comme le tireur était apparu aux témoins et qu’après le forfait cet intrus arrive à se dissiper dans la nature, alors là, il aurait fallu désespérer de notre Police nationale. De toutes façons, dans cette affaire, on ose espérer que la Directrice générale de la Police nationale, Anna Sémou Faye sera fidèle à l’image qu’elle avait voulu donner. En 2001, à la tête de la Sûreté urbaine (Su) de Dakar, elle avait fini par bouder l’enquête sur le meurtre de l’étudiant Balla Gaye qui lui était dévolue. Le commissaire Anna Sémou Faye n’avait pas accepté l’intrusion d’un autre service dans l’enquête. Elle tenait à avoir les coudées franches pour faire la lumière sur ce meurtre de l’étudiant.
Des personnes qui avaient passé le week-end du 15 août 2014 à Saly Portudal affirment que les plages balnéaires étaient noires de monde. Cela autorise une personnalité politique à penser minimiser la crise née à l’université de Dakar et les sautes d’humeur des populations. Mais on a encore à l’esprit les réflexions d’un célèbre chroniqueur du journal Wal Fadjri des années d’avant 2000, Abdou Sow, qui avertissait le régime du Président Abdou Diouf qui, pris dans une certaine ivresse du pouvoir, continuait de faire la fête au moment où le sol se dérobait sous ses pieds. Abdou Sow écrivait que les passagers du célèbre Titanic faisaient la fête au moment où leur navire sombrait. Abdoulaye Wade était tombé, avec son régime, dans les mêmes travers. Il faudrait faire mentir l’adage qui voudrait qu’«on ne dise jamais deux sans trois».

Madiambal Diagne

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lequotidien.sn

3 Commentaires

  1. Mais ici au moins même si Madiambal veut atténuer l’incapacité de ses amis au pouvoir en rappelant que tous les régimes politiques ont eu malheureusement leur dossier funèbre, il se rend compte dans ses mots qu’il ne peut défendre l’indéfendable. Peut-être se rend il compte que ce régime est aux abois et qu’il faut comme des rats empestés quitter le navire rapidement…

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