Un subterfuge dans la formule rédactionnelle de l’article 26 de la Constitution du Sénégal?

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La très controversée révision constitutionnelle du 20 mars 2016 initiée par l’ancien président de la République Macky Sall, est en grande partie jalonnée par la présence ostentatoire de logiques pernicieuses. Sans aucune surprise, elle continue de susciter des craintes, des doutes, des interrogations et des critiques chez certains citoyens. Autrement, le dernier tripatouillage de notre charte fondamentale a, elle aussi, révélé une «malléabilité procédurale» renforcée par une «ambivalence substantielle» qui sont, pour le Pr Ismaila Madior Fall, les deux caractéristiques majeures de toutes les révisions de la Constitution au Sénégal.
Au-delà du très célèbre article 27 portant sur la durée et le nombre de renouvellement du mandat présidentiel qui défraie la chronique, plusieurs autres dispositions qui émanent de la technique du Clair-obscur, nous interpellent dans notre Constitution en ce sens qu’elles paraissent obéir à un esprit de pure politique politicienne et à une logique de conservation du pouvoir.
La découverte du changement de transcription de l’article 26 de la Constitution du Sénégal a été une surprise renversante. Depuis le projet de référendum, nous pensons que c’est une retouche d’une vile gravité alors que l’ex-président lui-même nous rappelait que l’objet et la finalité de la réforme qu’il nous soumettait étaient de « moderniser et de stabiliser nos institutions, de consolider notre démocratie et la forme républicaine de l’État, de renforcer l’État de droit et d’améliorer la gouvernance des affaires publiques ». Or, si telles étaient vraiment les intentions, pourquoi a-t-on changé par exemple le libellé de cet article 26 qui était pourtant très précis, clair et concis dans son ensemble? Quelle confusion cherchait-on à instaurer avec ce flou qui n’aide pas du tout? Comment peut-on être si sournois alors que dans une réforme constitutionnelle, on cherche à consolider les acquis démocratiques et à obtenir l’adhésion de la population? Est-ce bien la fin du scrutin majoritaire à deux tours qu’on voudrait bien décréter? Ou nous invite-t- on à deviner tout simplement ce qui se cache derrière les mots utilisés?
Hâtons-nous de dire que les modes de scrutin sont définis comme un « ensemble de règles permettant de calculer comment les suffrages favorables aux candidats déterminent ceux d’entre eux qui seront élus ». En réalité, on peut distinguer plusieurs choses dans tout mode de scrutin dont l’élément d’ordre mathématique qui permet de distinguer les scrutins majoritaires, les scrutins proportionnels et les scrutins mixtes. Chacun de ces scrutins utilise des techniques particulières n’ayant pas les mêmes conséquences et comportant à la fois des forces et des faiblesses en fonction du système politique en place.
Le Sénégal, à travers son histoire politico-institutionnelle, a fait des choix déterminants sur ce point pour arriver au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux tours. Cette évolution est nettement visible dans les quatre (4) Constitutions qui ont régi jusqu’ici le pays. Mis à part les nombreuses révisions qui les ont jalonnées, voici comment le souhait a été exprimé dans chaque texte constitutionnel :
Constitution de 1959
Article 18
Le Gouvernement se compose du Président du Conseil des ministres et des ministres.
Le Président du Conseil est élu par l’Assemblée législative à la majorité des membres composant l’Assemblée.
Si, aux deux premiers tours de scrutin, aucun candidat n’obtient la majorité des membres composant l’Assemblée, le troisième tour a lieu à la majorité relative.
Constitution de 1960
Article 21
Le Président de la République est élu pour sept ans par un collège électoral comprenant, d’une part les membres de l’Assemblée nationale, d’autre part, un délégué par assemblée régionale et un délégué par conseil municipal, réunis en congrès. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale. La loi fixe les modalités de désignation des délégués des assemblées régionales et des conseils municipaux. Le Président sortant est rééligible.
Constitution de 1963
Article 21 :
Le Président de la République est élu au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux tours. Il n’est rééligible qu’une seule fois ».
Constitution de 2001
Article 26
Le Président de la République est élu au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux tours.
Article 26 révisée le 20 mars 2016
Le Président de la République est élu au suffrage universel direct et à la majorité absolue des suffrages exprimés.

Que de quiproquos! Comme on peut bien le remarquer du scrutin majoritaire à deux tours clairement indiqué, nous passons subitement à la majorité absolue des suffrages exprimés. Certes, les deux expressions peuvent dire la même et unique chose mais encore pourquoi après avoir trouvé le mot propre qui fasse la paix et achève le débat, les rédacteurs de la déconsolidante « réforme Sall» ont-ils fini en eau de boudin? Certainement, ils n’ont pas jeté un coup d’œil sur les mémoires de Pablo Neruda pour y lire que: «Tout est dans le mot…Une idée entière se modifie parce qu’un mot a changé de place ou parce qu’un autre mot s’est assis, comme un petit roi, dans une phrase qui ne l’attendait pas et lui a obéi.»
En effet, dans le scrutin majoritaire à deux tours, la majorité nécessaire pour être élu est la majorité absolue (la moitié des voix plus une). Alors que dans le scrutin majoritaire à un tour, la majorité requise pour être élu est celle qui est dite : majorité relative (le plus grand nombre des voix).
De plus, une autre précision de taille est à relever lorsqu’on est en scrutin majoritaire à deux tours. Il n’est pas obligatoire qu’un candidat obtienne cette majorité. Par conséquent, il faudra les départager lors d’un second tour où l’on n’exige plus que la majorité relative. Le plus souvent, l’accession des candidats au deuxième tour est réglementée de façon à simplifier le choix des électeurs. Ainsi, on interdit les nouvelles candidatures au second tour mais surtout, on veut éliminer les «petits candidats». Pour cela, on fixe un seuil minimum de suffrages à atteindre pour se présenter au second tour.

Que l’on nous permette, avant de terminer, de formuler des précisions de taille. Il ne s’agissait point dans cette excursion intellectuelle d’une attaque de politique politicienne. Au contraire, nous sommes animés par la modeste prétention d’attirer l’attention, de poser le débat et de susciter des échanges sains et constructifs.
À ce stade-ci, ouvrons nos oreilles et faisons une haie d’honneur pour l’agrégé de droit public et de science politique, le professeur des Universités, l’ancien conseiller juridique de l’ex président Sall, actuel «Ministre de la justice», nouveau militant de l’APR, le juriste-troubadour avec ses 200 pages sur «La réforme constitutionnelle du 20 mars 2016 au Sénégal- La révision consolidante reccord», Ismaila Madior Fall. Et ainsi parlait le dernier homme ZARAMADIOR:
«Un dispositif textuel est, si sophistiqué soit-il, insuffisant pour garantir la stabilité constitutionnelle, il faut aussi d’autres facteurs y contribuant comme la vigilance du juge. En effet, dans les pays en gestation démocratique où les lois deviennent « de moins en moins l’expression de la volonté générale» et « plutôt de circonstance et de complaisance », le juge constitutionnel doit, à certains moments critiques, par la mise en branle de son pouvoir d’interprétation inhérent à l’office de juger, faire montre de hardiesse et d’ingéniosité pour limiter le pouvoir politique lorsque ce dernier est tenté d’utiliser la Constitution pour pervertir les principes du constitutionnalisme. C’est aussi à ce prix qu’il pourra, dans ce continent, qui «oscille entre une marche chaotique vers la démocratie et les régressions chaotiques en proie aux conflits», jouer son rôle de pédagogue de la démocratie, de garde-fou des institutions et, en définitive de juge de la paix.»

Pathé Guèye
Montréal, le 17 octobre 2017

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