Université: le campus de Dakar, entre rébellions et trafics

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L’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, plus grande fac d’Afrique de l’Ouest, accueille 70.000 étudiants. Trafic de chambres universitaires, commerce illicite, amphis surchargés, étudiants mécontents et marché de fournitures scolaires dans le « couloir de la mort »… Petite visite guidée d’une université qui oscille entre tension permanente et organisation de la débrouille.

Derrière la mosquée du campus, dans un des bâtiments de la cité universitaire, Paco et Mass, étudiants en master, nous accueillent dans leur chambre. 9 m², un lit, un coin pour la toilette, et sur le sol un réchaud pour préparer le thé. Ils sont sept, assis au milieu des ordinateurs. Des amis qui passent régulièrement se reposer dans la chambre, travailler ou préparer des travaux communs. Paco, tout fier, nous montre l’imprimante qui trône par terre, outil principal de son « business » : Paco vend des « services bureautiques » dans sa chambre.

A l’université, les coupures de courant sont beaucoup moins fréquentes que dans le reste de la ville, où les « délestages » sont incessants. Les étudiants ne payent pas l’électricité dans la cité universitaire. Conséquence ? Des « activités commerciales » s’y sont multipliées : impression de documents, traitement de texte, travaux de mise en page, gravures de CD, vente d’ordinateurs et de matériel USB… Un vrai commerce parallèle s’organise, comme en témoignent les nombreuses affichettes publicitaires sur tout le campus et sur les portes d’une partie des chambres universitaires.

« Si les étudiants se livrent à ce genre d’activités, c’est parce que tous ne profitent pas des bourses de l’Etat, décrit Paco. Nous sommes environ 70.000 étudiants. Seuls 3 sur 5 peuvent avoir une bourse. C’est pour arrondir nos fins de mois que nous faisons cela ». Les étudiants affirment que cela ne génère pas de conflits avec l’administration. « Certains membres de l’administration sollicitent souvent nos services », explique Paco. Plus problématique : les relations avec les « professionnels » qui font la même activité sur le campus et doivent, contrairement aux étudiants, payer leur emplacement chaque mois. L’impression d’une page varie entre 200 et 500 francs CFA, mais dans les chambres d’étudiants, le tarif est de 25 et 75 francs CFA. Les clients ne sont plus seulement les étudiants, les gens affluent de toute la ville pour profiter de ces services bureautiques à prix cassés.

Paco et Mass louent leur chambre 4000 Francs CFA (environ 6 euros) par mois. L’université dispose de 6000 lits, et chaque faculté en gère 200. Une situation intenable, vu le nombre d’étudiants. Sous-location et trafic de chambre se développent. « Les étudiants étrangers sont parfois hébergés par les sénégalais. Mais les tarifs peuvent alors être multipliés par 10 », estime Amadou Diop, responsable de la répartition des chambres pour le Centre d’études des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI). Pour satisfaire toutes les demandes, Amadou peut attribuer une même chambre à 4 personnes.

« Pour éviter les conflits, on prend souvent les chambres par affinité, vu que pour une chambre de deux étudiants, on peut se retrouver à quatre voire dix », décrit Paco. Les matelas occupent alors toute la surface disponible. Le couloir est aussi pris d’assaut, la nuit. Mass, son colocataire, étudie la géographie et rêve de travailler dans les ONG ou pour les Nations Unies, sur des questions de développement. « Mais l’avenir n’est pas clair, lance-t-il, laconique. « Ici, les conditions d’études sont loin d’être bien. C’est même l’enfer ».

Au cœur des mécontentements : les amphis surchargés, où il faut arriver deux heures à l’avance pour avoir une bonne place et pouvoir suivre le cours. Difficile aussi de travailler dans une chambre de Cité U surpeuplée, où certains travaillent pendant que le commerce de photocopies bat son plein. Le retard de versement des bourses suscite aussi régulièrement des manifestations. Avant les étudiants s’alignaient en file indienne pour récupérer les aides en liquide. Récemment, les bourses ont été « bancarisées ». Les banques préfèrent garder l’argent au maximum, et les retard de versements sont incessants.

Entre la mosquée et le restaurant universitaire, à l’heure de la grande prière du vendredi, difficile de se frayer un chemin. Les tapis de prière occupent le moindre mètre, dans la poussière du campus. Le long de la cité universitaire, vendeurs ambulants et fragiles échoppes se disputent le reste de l’espace, entre restaurants privés, librairies, banques, poste de police, services bureautiques. L’artère centrale est pleine de monde, voitures et taxis se croisent avec peine. En mémoire d’affrontements sanglants entre étudiants et forces de police, elle est baptisée « couloir de la mort ».

Cette allée bitumée, qui dessert les différentes facultés, a été le terrain de batailles épiques, des années 70 à aujourd’hui. Le mythe du « couloir de la mort » pourrait dater de 1988, année durant laquelle la fac a été bloquée pendant 5 mois. L’an dernier, des étudiants ont sequestré le recteur de l’université et saccagé son bureau. Auparavant, ce sont les restaurants privés du campus qui ont subi la colère des étudiants, quand ceux-ci ont découvert qu’on y servait de la viande avariée. Régulièrement, les forces d’intervention spéciales de la police s’affrontent dans le « couloir de la mort » avec les étudiants. Entre ligne de front et zone de melting pot, cette rue est à l’image de l’université : un espace de tension permanente, qui s’embrase au moindre conflit, et où chacun, au quotidien, fait de la débrouille un mode de vie.

bastamag.net, Agnès Rousseaux, avec Idelette Mirabelle Bissuu

Photos : © Jean de Peña / Collectif à vif(s)

 

 

 

 

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