Vous avez bien dit « exil » ? — par Fatoumata Nguer

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Arrivé au pouvoir en juillet 1994 à la suite d’un coup d’État, le jeune Yahya Jammeh de 29 ans avait très vite pris goût à l’autorité que la fonction suprême lui conférait. En faisant adopter un amendement constitutionnel en 2002 pour permettre au dirigeant qu’il était de briguer autant de mandats qu’il le souhaitait jusqu’à la limite d’âge de 65 ans, Yahya Jammeh ne s’attendait sûrement pas à chuter par les urnes à 51 ans. Jammeh me fait penser à certains concepts développés par Max Weber. Celui qui ne sortait jamais sans son coran et son chapelet et qui prétendait détenir de Dieu le don de soigner par des plantes plusieurs maladies, dont le Sida et le cancer, se prenait-il pour un homme politique « charismatique » que son peuple réélirait facilement tous les cinq ans ? Yahya Jammeh était un dictateur depuis son putsch militaire. C’est l’exemple type du dirigeant « dominant » qui n’hésite pas à recourir à la violence pour mieux asseoir sa domination. Jammeh imposait sa volonté aux gambiens, il s’était arrogé le droit de faire de la Gambie une République islamique, de choisir l’arabe comme langue officielle et le Coran comme nouvelle constitution sans pour autant consulter son peuple. Il faisait partie des pires ennemis des droits de l’homme, de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Il ne supportait pas les critiques et cherchait à faire taire les journalistes, les opposants à son régime et les défenseurs des droits humains. Ceux qui n’avaient pas la chance de s’exiler à temps étaient emprisonnés, torturés ou portés disparus ou froidement assassinés. Combien de prisonniers politiques ont été exécutés sous son règne ? Combien d’innocents ont été exécutés parce que Jammeh les soupçonnait d’organiser un coup d’État ? Quand on prend le pouvoir par les armes, on développe facilement la paranoïa.
Oui Jammeh était un tyran qui terrorisait son peuple. Cependant, cet « acteur dominant » avait un instant oublié que pour rester au pouvoir, il avait besoin de « l’acteur résistant » qui n’est personne d’autre que le peuple gambien. Il ignorait qu’il était dépendant du peuple de façon involontaire. En votant pour l’opposition le 1er décembre, le peuple a donc résisté pour mettre un terme à 22 ans de dictature. C’est dommage que Jammeh quitte la Gambie avec les honneurs. Il ne le méritait pas. Jammeh risque d’être plus chanceux que l’ancien président tchadien Hissène Habré et Charles Taylor du Libéria. J’essaie de me mettre à la place de ces familles qui ont perdu des êtres chers sous la dictature de Jammeh. Ce serait injuste de ne pas le traduire en justice. Ses crimes ne doivent pas être impunis. Je dois admettre que je ne suis pas très optimiste d’autant plus qu’il a quitté le pouvoir avec des garanties faites sur mesure.
Nonobstant les propos de Marcel Alain De Souza, président de la Commission de la CEDEAO, la déclaration conjointe de la CEDEAO, de l’Union Africaine et de l’ONU est une amnistie totale pour Jammeh. Et comme par hasard, parmi toutes les propositions reçues, il choisit de s’exiler chez un autre dictateur, celui-là même qui se trouve à la tête de la Guinée-Équatoriale. Je ne vois pas le président Teodoro Obiang Nguema juger Jammeh dans son pays ni le livrer à une quelconque justice internationale. De toute façon, cet autre dictateur africain a aussi des garanties solides. Le paragraphe 11 de la déclaration officielle de la CEDEAO, de l’Union Africaine et des Nations Unies faite le 21 janvier 2017 à Banjul, en Gambie est on ne peut plus clair. « La CEDEAO, l’UA et l’ONU veilleront à ce que les pays hôtes qui offrent une « hospitalité africaine » à l’ancien président Jammeh et à sa famille ne deviennent pas des cibles indues de harcèlement, d’intimidation et de toutes autres pressions et sanctions ». Jammeh a très bien choisi sa destination. Ainsi va notre cher continent. Un chef d’État peut commettre des crimes, faire subir toute sorte d’atrocités à son peuple pendant des décennies et ensuite s’exiler avec tous les avantages sans jamais rendre compte.
Je trouve drôle le fait d’entendre les partisans du président Macky Sall magnifier un supposé rôle qu’il aurait joué dans le dénouement pacifique de la crise gambienne. N’en déplaise à Madiambal Diagne qui traite « d’antipatriotique » tous ceux qui ne pensent pas comme lui, le seul mérite de Macky Sall est d’avoir ouvert les portes du pays au président Adama Barrow. C’est un secret de polichinelle qu’entre Jammeh et Macky, ça n’a jamais été le grand amour. Alors, Jammeh n’offrirait jamais un tel cadeau à ce voisin qu’il accusait de tous les maux de son pays. De grâce, que les disciples de Macky Sall n’essaient pas de redorer son blason en lui attribuant un leadership qu’il ne possède pas.
Ceux qui sont à l’origine de la chute de Jammeh (l’opposition et les votants), ceux qui ont accueilli son opposant et l’ont menacé d’une intervention militaire (le Sénégal, entre autres) doivent garder à l’esprit que Jammeh est un rancunier. Qui ne se souvient pas de Bouba Baldeh, cet ancien ministre du président déchu Dawda Diawara, devenu, sous le règne de Jammeh, un farouche opposant et un militant des droits de l’homme ? Il s’était réfugié au Sénégal en 2006 et à sa mort en 2014, sa famille souhaitait l’enterrer dans son village natal pour respecter sa dernière volonté. Mis au courant du décès de son opposant, Jammeh avait intimé l’ordre à son armée de barrer le passage au cortège funèbre au niveau de la frontière entre la Gambie et le Sénégal. Finalement, il avait été inhumé au Sénégal. Lorsqu’un dictateur est rancunier au point de régler ses comptes à un mort, devrait-on être surpris de le voir ruminer sa vengeance et attendre patiemment l’occasion de prendre sa revanche sur ceux qui avaient pris parti pour son opposant ? Jammeh ne cherchera-t-il pas à attiser les feux de la crise casamançaise pour se venger du chef de l’État sénégalais ? Tant que cet homme respirera l’air de la liberté, tout peut arriver.
En outre, le peuple gambien n’est pas à l’abri d’un retour en force de Jammeh dans les prochaines années. Son éventuel retour en Gambie était une condition sine qua non de son départ « temporaire » du pays. D’ailleurs, le paragraphe 13 de la déclaration officielle de la CEDEAO, de l’Union Africaine et des Nations Unies faite le 21 janvier 2017 à Banjul, en Gambie stipule clairement que « La CEDEAO, l’UA et l’ONU collaboreront avec le Gouvernement gambien pour que l’ancien président Jammeh soit libre de retourner en Gambie à tout moment de son choix, conformément au droit international des droits de l’homme et à ses droits de citoyen De la Gambie et un ancien chef de l’Etat ». La capitulation de Jammeh à la suite de cet accord m’a poussé à m’interroger sur les véritables intentions de ce dictateur. Yahya Jammeh ne cherche-t-il pas à faire tout simplement sienne la célèbre expression française « reculer pour mieux sauter » ?
Avant de quitter la Gambie, celui qui se faisait appeler « Son Excellence Cheikh professeur El Hadj Docteur Yahya Abdul-Aziz Jemus Junkung Naasiru Deen Jammeh » avait bien pris soin d’improviser, en présence du président Alpha Condé de la Guinée-Conakry, un petit discours qui en dit long sur son ressentiment : « aujourd’hui, je sais qui sont mes meilleurs amis, mes vrais amis » Ce Jammeh ne m’inspire pas confiance et cela m’étonnerait qu’il reste tranquille dans son coin.

Fatoumata Nguer

1 COMMENTAIRE

  1. Merci Fatou , belle analyse.
    J’avoue que je n’ai pas vu de document paraphé par les parties concernées. je ne sais pas ce que l’ONU vint faire dan la gestion future du cas du citoyen Jammeh mais je sais le Sénégal , partie prenante à la crise continuera à gérer ses intérêts de façon prophylaxique voire proactive.
    Notre pays siège au Conseil de sécurité et tout le monde sait que depuis 1956, avec DIA et Senghor , il n’ a jamais vendangé ses intérêts sur l’autel de la scène internationale.
    Dieu Tout -Puissant, OmniPotent peut retirer le pouvoir à Obiang neveu de Macias plus tôt qu’on ne le pense.
    Là le couard de Kanilaï, champion de la scatologique et qui tenait le Saint Koran de la main gauche pour insulter les érudits, les hommes pieux de Gambie et les Chefs d’Etat sénégalais devra chercher la destination suivante pour ses pérégrinations qui vont le mener vers le terminus: un tribunal des hommes.

    Wa salam

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