Ziguinchor plie… mais ne meurt pas! Par Bacary Goudiaby

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Le soleil dardait ses rayons bénéfiques sur les épis qui attendent d’être récoltés. L’avenue qui part de l’aéroport s’étendait sous des arbres fiers et des lampadaires impuissants qui avaient du mal à illuminer les rares passants qui s’aventuraient à cette extrémité de la ville.
Depuis quelques jours, la ville semblait résigner de vibrer au rythme de la Troisième édition du Festival Mondial des Arts Nègres. Dans la capitale du sud, les manifestations de ce grand rendez-vous ne sont que des actes importés. Depuis l’aéroport, on a beaucoup de difficulté à sentir une véritable effervescence populaire. Les agents aéroportuaires s’efforcent de leur côté de marquer leur disponibilité et de monter leur joie de voir une équipe de presse venue spécialement pour les besoins du Fesman 3.

Avec les collègues et les amis qui sont venus nous accueillir, nous, nous dirigeâmes vers le Makari, un restaurant bien couru par la Jet-set locale, avant de rejoindre le site du port prévu pour accueillir les stars prévues pour les concerts. La foule commençait déjà à se faire entendre dès les premières incitations du Dj de la station locale de la première chaine nationale d’information. Sur le site on se rend vraiment compte de la mobilisation et de la détermination de cette foule d’anonymes venue prouver leur envie de vivre dans la paix et dans une dynamique de développement. Quelques trois jours seulement après l’affrontement entre des supposés éléments du mouvement indépendantiste et des éléments de l’armée sénégalaise, les ziguinchoroises et les ziguinchorois ont répondu plus par défis envers ceux qui veulent transformer leur région en champs de guerre, de repère de grands bandits pour le narcotrafic, que pour l’attrait des affiches proposées. En effet, il ya quelques mois ils applaudissaient déjà Youssou Ndour et Salif Keïta lors du Zigfest du mois d’avril dernier.
Dès notre arrivée sur le site, des jeunes regroupés un peu plus loin de la foule et de la scène vinrent à notre rencontre. Ils nous expliquaient déjà leur mécontentement sans pour savoir qui nous étions. Dans les échanges qui suivirent, nous comprîmes qu’ils savaient déjà notre identité. C’et ainsi qu’ils nous mirent au courant de leur colère. Ils avaient été prévus en première partie du roi du mbalakh comme l’avait accepter Salif Keïta la veille. Mais Youssou avait souhaité se produire très tôt et rapidement. Ce qui les reléguait à après la prestation du Super Etoile. Seulement on savait qu’il n’ y aurait personne après.
Après le concert dont les conditions acoustiques ne valorisaient pas assez les talents de You, de son ami Mbaye Dièye et de tout le groupe, la suite fut dans une boîte de nuit de laplace qui se révélait trop petite pour accueillir le ministre maire de la ville, de son collègue de la jeunesse, de leur cour et des autres illustres invités.

Le lendemain, la ville se réveilla sous un manteau brumeux. Les populations allaient et venaient. Partout dans la ville, on sent une ambiance indéfinissable illuminée par l’envie très forte des gens que l’on croise de mener une semblant de vie. Dans l’absolu, Ziguinchor est une belle ville. Le quartier de l’Escale expose ses vieilles bâtissent qui rappellent un passé déjà très lointain d’une période coloniale. Les travaux de modernisation sortis des projets de l’ancienne équipe déroulent sous les yeux des étalages de granite rouge annonciateur de grands boulevards qui mèneront une population résignée vers un possible développement.

Comme toutes les communautés du monde, Ziguinchor se prépare pour le passage à la nouvelle année. Au marché on négocie pour l’acquisition d’une tenue pour la soirée, les mamans redoublent d’imagination pour être à la hauteur à l’occasion du repas de la Saint Sylvestre. Malgré la conjoncture difficile, on tente de réserver au dernier jour de l’an 2010 un enterrement royal.
Le soir, une foule immense se retrouve autour de la place Jean Paul II. Au son des douze coups de minuit, une clameur monte aussi haut que les bouquets dessinés par les feu d’artifice. Celui-ci se mélangea au bruit assourdissant des pétards artisanaux lancés par des badauds qui accompagnent leur exploit d’un cri de joie.
Des confrères de la radio “font du trottoir” pour recueillir les premières impressions de l’année 2011. Plus d’une demie heure après le passage à la nouvelle année, la foule ne bouge pas. Des petits cercles se forment, on discute de la suite du programme. On s’interroge sur l’avenir de la jeunesse, sur l’économie et surtout on ose faire des pronostics sur les chances d’une paix définitive. Pas très loin dans les studios d’une fréquence, à l’occasion d’une émission consacrée “au bébé de l’année”, des élus hurlent à travers d’ambitieuses promesses leur foi en un futur plus radieux pour les populations de la région. Dehors la foule semble toujours décidée à occuper les lieux sous le regard bienveillant et discret des forces de l’ordre. C’est ainsi que sous un panneau lumineux qui remerciait le maire, une jeune fille qui devrait être étudiante et qui avait de se faire entendre parle du manque de projet et d’ambition de la part du maire de la commune et de son équipe pour la population. Car selon elle comment expliqué qu’on ne prévoit pas un podium pour les nombreux musiciens de la vile en manque de scènes et les jeunes qui errent sur cette place faute de destination et de programme précis. Une autre qui semble au courant des définitions du développement local regrette que les ziguinchorois ne voient leur maire que par intermittence et pire que lors de manifestations ponctuellement événementielles. « Il s’en fout de ceux qui l’ont élu… On ne dirige pas la commune depuis Dakar. Pourtant on avait cru en une nouvelle dynamique impulsée par sa jeunesse… ».
La nouvelle année égrenait ses minutes, ses heures. Très tard, la foule résignée décida de se disperser.
Ziguinchor reste quoi que l’on dise fortement liée au « bateau ». c’est comme cela que l’on nomme le naufrage du Joola le 26 septembre 2002. On évite de demander après une vielle connaissance par crainte d’une réponse évidente et qui nous revient à la figure comme une gifle confinée dans cette sensation d’impuissance et de fatalisme qui semble régner chez les familles de victimes. Au détour d’une rue sablonneuse chez un libraire le regard du promeneur est attiré par un titre sur une couverture éprouvée par le climat :
« Le Joola » : La mémoire contre l’oubli.
L’auteur Eusobio Jose DASYLVA écrit dans le chapitre consacré au deuil : « Le fait que toutes les familles de Ziguinchor soient directement ou indirectement concernées par la perte d’un proche, d’une connaissance, d’un voisin ou d’un ami aura contribué à l’amplification du deuil à l’échelle de la commune, de sorte que les décès ordinaires sont relégués au second plan et partant, ne mobilisent pas assez de foule car chacun est en deuil. En effet, de mémoire de Ziguinchorois, jamais dans l’histoire de cette région, les habitants ont eu à présenter les condoléances de manière aussi répétitive et simultanée. Et plus les gens se déplacent pour présenter les condoléances et plus ils sont informés qu’un tel est dans le bateau et plus, ils ont encore des distances à parcourir pour compatir à la douleur d’autrui.
Sur un autre plan, beaucoup de proches de victimes ont eu à développer des mécanismes de résistance face à la détresse. Ce qui a compromis la possibilité de faire le deuil, car, avec le lambeau de l’espoir, le miracle n’est pas exclu ».
Cette ville, capitale d’une région grenier d’un pays qui ne compte sur aucune ressource excepté son potentiel agricole semble crouler sous le poids de son enclavement par rapport au reste du pays. En effet la région naturelle de la Casamance semble maudite. Les infrastructures sont globalement inexistantes, ceux qui tiennent debout tremblent sous le poids des années puisque datant de l’époque de la présence occidentale en Afrique. L’unique trait d’union qui ouvre la ville vers le nord du pays : le pont Emile Badiane a besoin d’une sérieuse réhabilitation sous peine de revivre une autre catastrophe.

Quand on quitte cette ville, on ne peut pas s’empêcher d’éprouver un pincement au cœur. Elle semble nous retenir pour ne pas sombrer dans l’oubli. On peut entendre son cri de détresse, son appel au secours. Mais le départ est inéluctable. Le pont franchi, la mangrove s’ouvre de part et d’autre de la nationale. Le fleuve envoie son odeur puisée de ses entrailles. Le voyage s’avance lourd et difficile. La route est dans une situation que la progression d’un piéton dépasse un véhicule. Bignona ne semble pas mieux lotie que sa sœur. Elle montre un visage encore plus éprouvé surtout depuis les derniers accrochages. Sur cette nationale avant la frontière gambienne, chaque touffe d’herbe, chaque maquis semblent cacher un danger. Mais l’on se rassure très vite à la vue des détachements de l’armée sénégalaise qui veille sur la sécurité de la région. Et on soupire : Kassoumaye Casamance ! (paix en Casamance)!
Par Bacary Goudiaby
http://goudiabykunda.over-blog.com/

2 Commentaires

  1. On demandera toujours la paix pour cette belle et grande casamance que j’ai eu l’honneur d’y travailler deux années. Paix à vous mes freres je vous aime tellement.

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