Si l’on en croit le président de l’Organisation Nationale des Droits l’Homme, l’ancien ministre Farba Senghor pourrait très bientôt être traduit devant les tribunaux, pour ainsi répondre des graves accusations portées contre lui. « Je me suis concerté avec le président d’Amnesty International Sénégal, pour qu’on s’engage dans une synergie tendant à exiger immédiatement le procès de l’ancien ministre Farba Senghor », a révélé Me Assane Dioma à L’As. Dans cette interview, le président de l’Ondh revient également sur la décision rendue par la cour de justice de la Cedeao qui s’est déclarée compétente pour statuer dans l’affaire Habré. Entretien.
Le Sénégal a été épinglé par le récent rapport publié par Amnesty International Sénégal. Comment appréciez-vous ce rapport ?
Il s’agit là d’un rapport très exhaustif et très pertinent. D’ailleurs, ce rapport met à nu les nombreuses violations graves des droits humains. Ce rapport d’Amnesty International nous honore nous autres militants des droits de l’homme. Ce rapport met également à nu toutes les carences de l’Etat du Sénégal, avec toutes ces violations de ses obligations, aussi bien nationales qu’internationales. Et d’ailleurs, je puis vous dire que je me suis concerté avec le président d’Amnesty International, pour qu’on s’engage dans une synergie tendant à exiger immédiatement le procès de l’ancien ministre Farba Senghor. Il faut aussi faire en sorte que cessent les graves violations des droits de l’homme, surtout la liberté de manifestation. Maintenant, il va falloir faire la part des choses. Ou bien on se réclame une démocratie, ou bien on reconnait de façon claire que nous sommes dans une monarchie, voire une aristocratie.
Maintenant que vous faites le constat, quels mécanismes envisagez-vous de mettre en place pour réparer ou même stopper cette situation dont vous parlez ?
Aujourd’hui, la torture est devenue une pratique structurelle au Sénégal. On note beaucoup d’atteintes à la dignité humaine. C’est ce qui s’est passé à Kolda, à Kédougou, ou encore dans les commissariats. Il ne faut pas oublier le cas Dominique Lopy, décédé dans des conditions encore obscures, l’affaire Badara Diop, ou encore celle de Abou Dia. Vous savez, il existe tellement de cas qu’il est devenu difficile de les énumérer. La pratique de la torture est une chose récurrente dans notre pays. C’est pourquoi, je suis soulagé de voir qu’Amnesty International met les doigts dans la plaie, et je m’en réjouis. Cela va peut-être permettre que la communauté internationale regarde de plus près le cas du Sénégal. Aussi, le mérite d’Amnesty International est d’avoir été exhaustif en y incluant l’affaire de la Casamance, car on sait que les conflits sont des causes de violations des droits de l’homme ; d’ailleurs si l’on étudie la jurisprudence de la cour pénale internationale, sur les quatre cas déférés, trois concernent des conflits internes : que ce soit en Ouganda, en République Démocratique du Congo ou en Centre-Afrique. C’est dire comment un conflit est pernicieux avec les lots de personnes déplacées, les mines antipersonnel, les innombrables cas de viols et autres atrocités, sans compter les nombreuses atteintes à la vie humaine.
Dans un tout autre registre, quelle analyse faites-vous de la décision rendue par la cour de justice de la Cedeao, qui s’est déclarée compétente pour statuer dans l’affaire Habré ?
Les avocats de Habré ont compris que nous avons réussi à rallier à notre cause tous les segments de la société civile notamment les religieux, les intellectuels, les universitaires. Et il est clair aujourd’hui qu’ils se lancent dans une contre communication, laborieuse au demeurant, puisque ce qu’ils considèrent comme une victoire n’en est pas une. La cour de justice de la Cedeao a simplement déclaré recevable l’action de Habré contre le Sénégal. Cela veut tout simplement dire que la cour de justice de la Cedeao est compétente chaque fois qu’elle est saisie d’une action portant sur une allégation de violation de droits humains. Cependant, cette recevabilité ne préjuge en rien un bien-fondé de l’action. Donc, il n y a absolument rien d’extraordinaire à ce que la cour rende un arrêt de recevabilité. Maintenant, le plus important demeure la question de fond. Je trouve que c’est une fausse victoire que les avocats de Habré sont en train de fêter. C’est à la limite une contre communication visant à contrecarrer l’importante communication que nous avons réussi à faire ces derniers temps.
A vous entendre parler, rien n’est encore décidé et les choses restent en l’état. Est-ce le cas ?
Bien évidemment ! Les choses restent en l’état puisque tout le monde peut saisir la cour de justice de la Cedeao. Et je vous précise que le problème n’est pas seulement de saisir cette cour, mais plutôt d’avoir raison devant elle. Or, nous savons que le Sénégal, en harmonisant sa législation par rapport à la compétence universelle, a seulement pris une mesure législative de portée générale, comme la loi est elle aussi générale. Habré ne peut pas attaquer cette loi qui ne le vise pas nommément. C’est le Sénégal qui dit que ses juges peuvent maintenant juger toute affaire qui serait même commise à l’étranger. C’est ce qui justifie la compétence universelle. Encore une fois, cela ne vise pas seulement Habré, même si par ailleurs cela peut permettre de le juger. Mais a priori, on ne peut pas s’attaquer à une loi de portée générale.
Voulez-vous dire qu’il est un peu précipité de crier victoire ?
Oui. Il ne s’agit là que d’une contre communication pour contrer cette dynamique d’explication dans laquelle nous nous sommes engagés pour montrer les atrocités commises par Habré au Tchad.
Entretien réalisé par Gora KANE
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merci merci a toi