Ganda Oumar Camara avait 15 ans lorsque son pays a accédé à une souveraineté selon lui très relative. Installé à Lyon depuis 1972, ce militant témoigne
Était-ce le 4 avril 1960 ? Il n’est plus tout à fait sûr de la date.
Lorsqu’on l’interroge sur l’acte de naissance du Sénégal, Ganda Oumar Camara évoque un souvenir marquant. « J’avais 15 ans et comme tous les enfants des écoles à Saint-Louis-du-Sénégal, il m’avait été demandé de planter un arbre de l’indépendance. » C’était un nim, essence réputée pour ses vertus médicinales. L’histoire pourrait presque s’arrêter là. Car, les racines « bleu-blanc-rouge » restent vivaces dans cet ancien comptoir qui, comme Rufisque, Gorée et Dakar, est une commune française octroyant à ses natifs droit de vote et nationalité française.
« Honnêtement, coupe-t-il, l’indépendance, je n’avais aucune idée de ce que cela signifiait ». Même si des manifestations et autres bals populaires sont alors organisées par certains partis à grand renfort de djembés, difficile, pour lui, de percevoir à l’époque une différence au quotidien entre l’avant et l’après 1960.
« Il y avait deux groupes d’individus à Saint-Louis : des élites sénégalaises voulaient le maintien du statu quo et je me rappelle que les drapeaux français ont flotté au fronton de leurs bâtiments jusqu’en 1962. Et puis, d’autres, modernes et progressistes, souhaitaient rompre avec le système colonial tout en étant conscientes, comme Senghor [NDLR: le premier président sénégalais] de l’impréparation totale à l’indépendance ». Un défi monumental résumé par cette statistique : « Sur 2 millions d’indigènes au Sénégal, seules 100 000 personnes savaient lire et écrire ».
Le pragmatisme l’emportera au sommet du nouvel État : « Les Blancs sont restés pour accompagner l’indépendance pendant quatre ans. Des juges français continuaient de siéger, les commandants de cercle devenaient conseillers ». Une révolution d’autant moins perceptible à Saint-Louis que l’accession à la souveraineté semble avoir « conforté la position sociale » de ceux des Sénégalais qui possédaient une formation – son père deviendra préfet.
« Nous faisions partie de l’élite et il m’a fallu attendre la lecture, en 1972, d’un livre de Lamine Gueye [NDLR: l’ex-président de l’Assemblée sénégalaise] pour découvrir qu’avant l’indépendance, à 10 kilomètres de Saint-Louis, des Sénégalais n’avaient pas le statut de citoyens. J’ai appris, à ce moment-là, que si un indigène ne se découvrait pas face à un Français, il pouvait recevoir deux coups de chicotte (fouet). J’étais un favorisé inconscient des faveurs dont j’ai bénéficié par hasard ».
Ganda Oumar Camara est désormais un jeune retraité de 62 ans qui s’emploie, en bon intellectuel militant, à faire l’inventaire de cette période – il participe à un ouvrage à paraître. Intraitable avec la colonisation, il l’est aussi avec « les élites de l’école de Dakar », formées à l’université sénégalaise et accusées de tout gâcher aujourd’hui.
« Impossible, dit-il, de faire l’éloge de la colonisation car c’est une négation même de l’humanité. Mais, le pouvoir sénégalais ne doit pas pour autant aller chercher la petite bête en France, comme il le fait en débaptisant les lieux construits par des Européens. Changer les noms de rues ne participe pas à l’indépendance. On vit de rentes, de subsides. L’alimentation vient d’ailleurs, la monnaie est garantie en France… Dire que le Sénégal est indépendant, c’est se moquer du monde. Nos démons sont parmi nous et nous avons des proconsuls comme présidents ! Il faut rompre avec la culture de la chefferie nègre ». La solution, il la voit dans la formation d’une union des pays africains francophones, seul moyen de peser d’un poids suffisant à l’heure de la mondialisation. « Là, on pourra parler d’indépendance. »
Un constat que certains jugeront sévère pour le Sénégal et son président actuel, Abdoulaye Wade, qui a à cœur d’affirmer la place de son pays dans le monde.
Nicolas Ballet
http://www.leprogres.fr/fr/france-monde/article/3574098/Ou-est-l-independance-du-Senegal.html
BIO EXPRESS
Ganda Oumar Camara
Franco-Sénégalais. Marié, père de trois enfants. Coordonnateur en Europe de l’ONG sénégalaise Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme.
Le 6 juin 1948
Naissance à Saint-Louis-du-Sénégal. Il est le fils d’une institutrice et d’un fonctionnaire au cabinet du gouverneur général de l’Afrique occidentale française, qui siège à Saint-Louis.
1962
Certificat d’études primaires
1970
Baccalauréat littéraire puis départ pour l’université de Dakar
1972
Les facultés sénégalaises sont bloquées par les grévistes. Arrive à Lyon pour y poursuivre ses études.
1976-1978
Maîtrise de droit de l’université Lyon III et diplôme de l’institut d’études politiques de Lyon. Il est embauché dans une compagnie d’assurances à Lyon. Il y accomplira toute sa carrière avant de prendre sa retraite en 2008.