Le journaliste Malick Diagne, spécialiste de la décentralisation, ne voit pas la pertinence du nouveau découpage administratif décidé par le Président Wade (par décret) et qui vient allonger la liste des collectivités locales. Et cela, « au regard de l’absence d’éléments probants qui peuvent expliquer une telle démarche », relève-t-il. L’expert en décentralisation a surtout fait part de ses craintes de voir cette explosion des collectivités locales susciter des replis identitaires et des revendications communautaristes. A terme, dit-il, c’est l’idée de la nation sénégalaise qu’on fragilise.
Le Président de la République, Me Abdoulaye Wade, vient de signer un décret portant nouveau découpage administratif avec la création de nouvelles Collectivités locales. Quelle lecture faut-il en faire ?
Il faut attendre de disposer du décret pour être édifié sur les intentions de l’Exécutif. Il y a des débuts d’explications de la part du ministre de la Décentralisation et des Collectivités locales, Aliou Sow, selon lesquels, le découpage est motivé par la volonté de rapprocher l’administration des administrés, conformément à une demande exprimée par les populations des localités concernées. Je suis très réservé parce que la version qu’il donne ne suffit pas. Un découpage administratif, c’est quelque chose de sérieux ; il y a plusieurs dimensions économiques, sociologiques, sociales et culturelles à prendre en compte si on veut aboutir à une rationalité et à une cohérence d’ensemble. Il ne s’agit pas de créer des Collectivités locales pour le simple besoin d’en créer ; il s’agit de mettre en place des entités économiques viables dans le cadre d’une stratégie d’ensemble. Et puis, il y a un processus et un pilotage à respecter si on veut faire un découpage cohérent. Il est impératif d’associer les services concernés de façon à éviter tous les pièges. Ce n’est malheureusement pas le cas.
Cette politique de découpage tous azimuts, pour ne pas dire, ce boom des collectivités locales, ne va-t-elle pas favoriser des replis identitaires ?
Vous avez tout à fait raison de soulever cette question. Il y a de quoi s’inquiéter. Les statistiques sont éloquentes. Aujourd’hui, le Sénégal compte prés de ¬¬600 Collectivités locales sur un petit territoire de 196. 714 Km2. Nous avons atteint un niveau de morcellement et d’émiettement du territoire national qui doit inciter les pouvoirs publics à réfléchir. Parallèlement, tous les jours des populations se réveillent pour exiger que l’on érige leur localité en collectivité locale. Il faut faire attention aux replis identitaires et aux revendications communautaristes, puisque à terme c’est l’idée de la nation sénégalaise qu’on fragilise. L’Etat ne doit pas encourager ces pratiques. Et c’est dommage de voir un tel dossier faire l’objet d’une politisation excessive.
Au regard de cet éclairage, ce nouveau découpage est-il nécessaire ?
Je n’en suis pas certain, puisqu’il n’y a pas d’éléments probants qui peuvent expliquer une telle démarche. Déjà le Sénégal dispose d’une architecture institutionnelle locale totalement complexe et illisible. Vous avez un trop plein de Collectivités locales, avec trois niveaux (Régions, Communes, Communautés rurales) et un niveau intermédiaire (communes d’arrondissement). Elles ont toutes des compétences qui se chevauchent, des missions dispersées et une identité difficile à cerner. Il y a, en plus de cette complexité, beaucoup d’insuffisances, notamment la difficulté des Collectivités locales à répondre aux besoins des populations, l’insuffisante solidarité entre les Collectivités locales elles-mêmes, la fiscalité locale très inadaptée. Je pense que les énergies devraient être canalisées dans cette direction. Il y a là beaucoup de pistes à explorer puisque l’heure est venue de s’interroger sur le rôle et la place des Collectivités locales dans le développement économique et social du Sénégal. Elles sont loin d’être des acteurs de développement. Non seulement, elles ne s’investissent pas assez dans le développement local , mais aussi, elles ne sont pas assez impliquées dans les politiques publiques. D’ailleurs, leur mode de fonctionnement rappelle, à bien des égards, celui des permanences de parti politique.
Peut-on alors affirmer que c’est le spectre des délégations spéciales qui menace les élus locaux ?
Seuls les pouvoirs publics peuvent répondre à cette interrogation. La tradition, dans les pays démocratiques, c’est d’organiser des élections locales partielles pour installer les nouvelles équipes municipales. Dans le cas du Sénégal, il y a eu des précédents avec l’installation systématique de Délégations spéciales en attendant les prochaines élections municipales, rurales et régionales. Donc, il faut certainement s’attendre à ce que cette exception sénégalaise soit respectée avec la mise en place de nouvelles délégations spéciales.
C’est des situations qu’il faut éviter au maximum. L’idéal pour un découpage, c’est de le faire dans le cadre d’une réforme globale, à une date précise, à la veille des élections pour éviter des situations d’exception comme cela va être le cas avec des délégations spéciales en attendant les prochaines élections.
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