Magaye Niang est une figure de proue de la culture sénégalaise. Il a connu son heure de gloire à l’entame des années 70. Ce «touche à tout» est un acteur de cinéma. Il a aussi été membre fondateur du Xalam de Dakar avant de voir grandir ses cadets du Xalam, au sein duquel ; évoluait son jeune frère du nom de Abdoulaye Prosper Niang. Il a bien voulu revenir sur sa longue trajectoire d’acteur, de musicien-journaliste, de photographe et de restaurateur, mais aussi sur la vie de son défunt frère et de l’évolution de la musique et du cinéma sénégalais.
Entretien avec un monument de l’Art au Sénégal.
Pouvez-vous vous présenter, pour ceux qui ne vous connaissent pas ?
Je m’appelle Magaye Niang, je suis un acteur de cinéma. J’ai aussi tâté à un peu de journalisme. Je suis un musicien, ancien membre du Xalam 1. Je suis aussi restaurateur. J’ai essayé de parcourir le monde pour tenter de découvrir ce que je n’avais pas sous la main.
Vous avez été l’acteur principal du film culte Touki Bouki. Quels souvenirs gardez-vous de ces moments ?
Il m’est très difficile de parler de Touki Bouki. J’ai eu une certaine complicité avec feu Djibril Diop Mambety. A cette époque, nous avions essayé de faire des fictions avant de faire des films insipides. Attention, je ne critique personne mais c’est juste une remarque. Avec Djibril nous avons eu une certaine complicité pour faire Touki Bouki qui date de 1971. Ce film est un grand classique.
Pouvez-vous revenir sur votre carrière de musicien ?
Tout d’abord, je suis le frère de Prosper Niang. On a créé le Xalam 1 pour essayer de faire de la bonne musique, tout simplement. Par la suite, il y a eu le Xalam 2 qui a pris le relais pour fructifier notre héritage, si vous voulez. A l’époque, nous faisions de la fusion. Ce que beaucoup de personnes ignoraient. Il s’agissait de faire un peu de jazz, de la Pop Music, de la Musique Africaine. Nous étions les initiateurs d’une certaine rupture. Pour donner une identité à la musique sénégalaise, nous chantions en langue wolof. Ce qui est très important, au vu du contexte de l’époque.
Vous étiez aussi liés aux musiciens de l’orchestre du Sahel. Pouvez-vous nous parler de feu Mbaye Fall et Idrissa Diop.
Ce sont mes frères et mes amis. Idrissa Diop est un monument de la musique mondiale, actuellement. Mbaye Fall, que Dieu ait pitié à son âme… (il hésite beaucoup et s’arrête de parler). En ce qui concerne la combinaison des sons, je vous dirais qu’Idrissa Diop a compris toute la percussion africaine. Il veut faire de cette inestimable richesse, la base de sa musique. Idrissa veut tout juste faire une musique africaine. Il ne m’a pas tout dit mais il fera certainement mal.
On va parler, à présent, de votre frère feu Prosper, qui a choisi de venir courageusement finir ses jours ici au Sénégal ?
(Il pleure longuement étreint par l’émotion).
Je ne dirais pas que c’était une icône ou un messie mais il avait compris beaucoup de choses. Il a voulu que la musique du Sénégal et de l’Afrique ait un impact. Il faut dire que notre pays n’a jamais eu de références en matière de musique à cette période-là. Nos groupes reprenaient des morceaux de Pachanga, de Rythm and Blues etc. Je sais de quoi je parle car j’ai bien joué tous ces genres. Les musiciens du Xalam 2 ont compris cela très tôt. Ils se sont retirés pendant plus de deux ans. D’aucuns parleraient d’années sabbatiques. Ils ont choisi de ramer à contre courant en prenant une toute nouvelle direction aux antipodes de ce qui existait. Tout est parti de là et ils ont eu un énorme succès à «Horizon» Berlin qui est l’un des plus grands festivals de musique de tous les horizons d’où son nom. Et c’est là ou le déclic s’est produit. Prosper, je n’en parle pas. C’est mon jeune frère et je lui ai appris à jouer de la batterie. Parce que je suis un batteur et un chanteur. C’était un métronome c’est-à-dire quelqu’un qui était capable de canaliser beaucoup de choses. Il mettait les choses en place. Le Xalam c’était une famille et ils ont galéré ensemble. Pour en revenir à Prosper, c’est qu’il a donné quelque chose et une substance à son Xalam. En ce qui me concerne, je ne l’ai aidé qu’une seule fois c’est quand je l’ai amené Souleymane Faye, pour qu’il devienne un des chanteurs du groupe.
Comment jugez-vous l’état actuel du cinéma sénégalais ?
Il n’y a plus de cinéma. Les salles sont fermées et tout est transformé en supermarchés.
Comment percevez-vous la Musique aussi ?
Il y a de bonnes choses comme l’exemple du Super Diamono d’Oumar Pène. Je dirais que ce sont des musiciens de jazz qui sont derrière mais Omar ne suit pas parce qu’il prend de l’âge. Youssou Ndour est au top, il est le Meilleur et au dessus de la mêlée. Tantôt, je vous disais que je suis un adepte du jazz. Le Mbalakh n’est pas forcément ma musique. Ce n’est même pas de ma génération. Le Rap, non plus, à mon âge, je ne vais pas me permettre de me contorsionner à tout vent. Je pencherais plutôt pour la musique acoustique. J’écoute souvent Diogal Sakho que je trouve pas mal. J’apprécie aussi le duo Pape et Cheikh. Ce sont des démarches de musique qui m’agréent. Il faut que les musiciens fassent attention à leurs textes. Surtout les jeunes rappeurs, je les trouve parfois, un peu agressifs et là n’est pas le problème. Je connais un peu le Rap car Didier Awadi est un neveu. Quand il a commencé, il y a moins de 20 ans, il l’a fait de manière intelligente, mais par la suite la vulgarisation s’est très mal passée. Pondre un produit, bien le gérer et le vendre. Il y a trois choses totalement différentes. Il fallait donc pousser la réflexion et savoir à qui on veut vendre son produit. C’est ce qui est arrivé malheureusement. C’est la saturation totale et tout est mal protégé.
C’est vraiment difficile.
Pour finir pouvez-vous nous reparler de Prosper ?
A la veille de son retour, il m’a téléphoné pour me dire : «Je vais venir pour mourir». Auparavant, il avait acheté une batterie de marque Yamaha qui était toute noire. Souvent, il me disait qu’il allait amener ici une étonnante batterie qui va en mettre plein la vue à tout le monde. C’était son sujet de prédilection, pourtant, il était en phase terminale. Cette fameuse batterie, je l’ai trouvée dans le château où ils habitaient tous en France. Ils l’ont mise dans la cave. Ils l’ont couverte d’un immense rideau noire avec l’inscription : «Ici Prosper Niang». Il n’a jamais joué à cette batterie. Il ne l’a jamais vu c’est ça qui m’a fait pleurer. (Et il pleure à nouveau).
A la veille de sa disparition, nous sommes allés le voir avec ma mère, sur son lit d’hôpital. C’était au cours d’un mois de Ramadan. Il est mort le 22 ou le 23 avril. Dès notre entrée, il nous annonce qu’il veut manger du Thiebou Dieune (Riz au Poisson). Je lui réponds qu’il ne doit pas se moquer de nous qui étions en plein mois de jeûne. C’était la grande émotion dans la salle ou personne ne pouvait se retenir. Il me demande alors de lui tendre la main. Je lui demande les raisons de cette requête. Il me dit alors sur un ton badin, si j’avais peur de lui. Il était devenu frêle et méconnaissable. Il était pourtant un champion de Karaté et de Kick Boxing. Je lui tends ma main qu’il sert très fort avant de lâcher un laconique «Ok Grand». Il est parti le lendemain… (Il arrête encore de parler pendant un bon moment, le regard hagard et lointain). Le rêve de Prosper était d’installer une musique africaine et sénégalaise parce que la musique sénégalaise n’avait pas d’identité. C’était cela son combat. Il voulait toujours se démarquer par rapport au legs du colon et des expériences extérieures. Eux, ils sont partis de là pour se contingenter par rapport à toutes influences occidentales. Il faut démissionner par rapport à toutes les expériences pour arriver à asseoir ce que tu comptes imposer. C’est le combat que Prosper a mené toute sa vie.