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’’Sortir de la grande nuit’’ d’Achille Mbembé ou la trajectoire d’une Afrique qui se réinvente

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’’Sortir de la grande nuit – Essai sur l’Afrique décolonisée’’, l’ouvrage d’Achille Mbembé paru récemment aux éditions La Découverte, est un essai critique dans lequel l’historien ’’’montre que, au-là des crises et de la destruction qui ont souvent frappé le continent depuis les indépendances, de nouvelles sociétés sont en train de naître’’.

Des sociétés qui réalisent ’’leur synthèse sur le mode du réassemblage, de la distribution des différences entre soi et les autres et de la circulation entre des hommes et des cultures’’.

L’une des thèses majeures du livre ’’est que la décolonisation inaugure le temps de la bifurcation vers d’innombrables futurs’’.

’’Les trajectoires suivies par les nations nouvellement affranchies furent en partie, la conséquence des luttes internes aux sociétés considérées. Ces luttes furent elles mêmes façonnées par les formes sociales anciennes et les structures économiques héritées de la colonisation, les techniques et pratiques de gouvernement des nouveaux régimes post-coloniaux’’, lit-on dans l’avant-propos de l’ouvrage.

Professeur d’histoire à l’Université du Witwatsersrand (Afrique du Sud), Achille Mbembé qui enseigne aussi le français au département de français à Duke University (Etats-Unis) ’’raconte comment le moment postcolonial commença, pour beaucoup, par une expérience de décentrement’’.

’’Au lieu d’agir comme un signe intensif qui force l’ex-colonisé à penser par et pour lui-même, et au lieu d’être le lieu d’une genèse renouvelée du sens, la décolonisation, surtout là où elle fut octroyée, prit l’allure d’une rencontre par effraction avec soi-même : non point le résultat d’un désir fondamental de liberté, quelque chose que le sujet se donne et qui devient la source morale et de la politique, mais une extériorité, une greffe dénuée de toute métamorphose’’.

’’Né dans la foulée des indépendances’’, l’auteur qui se définit comme ’’le produit du premier âge du post colonialisme’’, a ’’grandi à l’ombre des nationalismes triomphants’’. Dans son propre pays, il a ainsi été le témoin de ’’la lutte contre la +rébellion+ et le +terrorisme+’’.

C’est dans ce contexte que naît à Douala, principale ville du Cameroun, un mouvement anticolonialiste dont la ’’principale revendication’’, est ’’l’indépendance immédiate’’, indique Achille Mbembé qui est aussi chercheur au Witwatersrand Institut for Social and Economic Research (WISER).

Mais très vite, le mouvement indépendantiste est défait militairement par la France qui lègue le pouvoir à ’’ses collaborateurs indigènes’’. On assiste alors à l’exécution des dirigeants qui avaient pris le maquis. ’’Leurs dépouilles mortelles furent déshonorées et on les enterra à la sauvette, comme il s’agissait de bandits de grand chemin’’, s’indigne l’auteur.

Même ceux qui prennent ’’le chemin de l’exil’’ ne sont pas épargnés, ajoute-t-il, notant qu’ils sont ’’pourchassés et assassinés’’ pendant que ’’ceux qui poursuivent la lutte durant la première décennie de l’indépendance sont ‘’appréhendés’’ et ’’décapités’’.

’’Cette affaire de refus de sépulture et de bannissement des morts tombés lors des luttes pour l’indépendance et l’auto-détermination, cet acte originaire de cruauté à l’encontre du +frère, écrit Achille Mbembé, tout cela devint très tôt non seulement l’objet central de mon travail académique, mais aussi le prisme par lequel, je m’en rends compte aujourd’hui, ma critique de l’Afrique (…)’’.

’’L’indépendance sans liberté, la liberté sans cesse ajournée, l’autonomie dans la tyrannie, telle était, je le découvris plus tard, la signature propre de la postcolonie, le véritable legs de cette farce que fut la colonisation’’, affirme-t-il.

Dans la seconde partie du livre intitulée ’’Déclosion du monde et montée en humanité’’, Achille Mbembé écrit que ’’le travail historique accompli par l’impérialisme colonial avait été de mettre en place les conditions essentielles d’un échange contraint et inégal entre le centre et la périphérie. Ces conditions devaient être telles que toute émancipation éventuelle devienne, dans les faits, soit impossible, soit extrêmement difficile’’.

Selon lui, ’’une fois ce travail accompli, la forme coloniale devenait forcément anachronique’’. Ainsi, à partir du moment où ’’son maintien ne se justifiait plus’’, ’’elle pouvait céder le pas à d’autres mécanismes d’exploitation et de domination plus efficaces, moins onéreux et plus rentables’’.

’’L’on pourrait résumer en un mot la visée philosophique de la décolonisation et du mouvement anticolonialiste : la déclosion du monde’’, écrit-il.

Dans le chapitre 3, il essaie de répondre aux questions suivantes : ’’Pourquoi, en ce siècle dit l’unification du monde sous l’emprise de la globalisation des marchés financiers, des flux culturels et du brassage des populations, la France s’obstine-t-elle à ne pas penser de manière critique la postcolonie, c’est-à-dire, en dernière analyse, l’histoire de sa présence au monde et l’histoire de la présence du monde en son sein aussi bien avant, pendant, qu’après l’Empire ? Quelles sont les conséquences politiques, intellectuelles et culturelles de cette crispation et que nous dit-elle au sujet des limites du modèle républicain et de sa prétention à symboliser une manière d’universalisme ?’’

Le chapitre 4 est l’occasion pour l’auteur d’évoquer ’’le long hiver impérial français’’. Il relève que, ’’jusqu’à une date récente, la pensée postcoloniale est restée sinon méprisée, du moins peu connue’’ en France’’.

’’Cavalière indifférence ou simple insolence doublée d’ignorance ? Ostracisme calculé, désinvolture ou simple accident ? Toujours est-il qu’elle n’y fera l’objet d’aucune critique informée ni débat digne de ce nom jusqu’au début de millénaire’’, constate l’auteur.

Au chapitre 5, Achille Mbembé examine ’’d’abord la façon dont les frontières de l’Afrique n’ont cessé de s’étirer et de se contracter au cours du siècle dernier’’. Il met ensuite l’accent sur ’’trois évènements majeurs qui, au cours du dernier quart du XXe siècle, ont profondément affecté les conditions matérielles de production de la vie et de la culture en Afrique subsaharienne’’.

Il s’agit du durcissement de la contrainte monétaire et ses effets de revification des imaginaires du lointain et des pratiques historiques de la longue distance, de la concomitance de la démocratisation, de l’informalisation de l’économie et des structures étatiques et la diffraction de la société et l’état de guerre.

Le dernier chapitre évoque notamment les ’’profondes recompositions sociales’’, les ’’luttes sexuelles’’ et les ’’nouveaux styles de vie’’.

P.-S.

Par Amadou Samba Gaye (APS)+++

aps.sn

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