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COVID-19 et relations internationales : 6 leçons provisoires. (Par Ndiaga Loum)

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  1. Les failles de la prospective intellectuelle

La prospective intellectuelle consiste à envisager le monde à venir à partir de l’analyse de données factuelles présentes. Les penseurs américains depuis Kissinger jusqu’à Huntington, Fukuyama ou Nye nous ont habitués à des pensées sophistiquées sorties de ce laboratoire poreux des idées avec toujours en toile de fond la préoccupation de voir se prolonger la domination militaire, politique, économique, scientifique et culturelle des États-Unis. Ces auteurs et beaucoup d’autres qu’il serait superflu de citer ici, étaient capables de nous dire ce qu’il va advenir du monde dans les prochains 50 ans. Ils pouvaient même élaborer des scénarios de crise et envisager les mécanismes de sortie de crise. La réalité aujourd’hui est que personne ne pouvait prévoir il y a juste 6 mois qu’un virus nommé COVID-19 pouvait bouleverser autant la géopolitique internationale obligeant les dirigeants du monde et leurs conseillers à une gestion tatillonne, hésitante, contradictoire, au jour le jour, faute de ne pouvoir envisager même ce que va se passer dans une semaine, voire dans un jour. La réflexion prospective est en panne sèche. Nul ne sait de quoi demain sera fait. Cette inconnue est en soi une démonstration du pouvoir du virus probablement issu du corps animal sur les cerveaux humains, même ceux qui prétendent être les meilleurs. Il ne faudra surtout plus confondre le capteur et la mesure.

  • L’impuissance des grandes puissances européennes

L’Italie, la France, l’Espagne inquiètes de ne pouvoir disposer d’ici une semaine d’équipements pour protéger le personnel médical ou de médicaments pour soigner les patients, qui l’eût imaginé? Un pays membre de l’Union Européenne appeler au secours de son corps médical débordé des médecins d’un pays aussi pauvre que le Cuba pour faire face à la pandémie du Coronavirus, il n’y a pas plus grande démonstration de l’impuissance d’une grande puissance au cœur de l’union économique la plus forte, la plus approfondie et peut-être la plus aboutie à l’échelle mondiale (L’Union Européenne). Le fait est que l’inquiétude visible d’un président français, des premiers ministres espagnol et italien est aussi contagieuse en termes de pessimisme pour les populations que le virus lui-même. En temps de crise, aucun administré au monde ne souhaite voir son dirigeant fragilisé et ne même pas pouvoir dissimuler son sentiment d’impuissance. C’est comme aller voir son psy qui s’assied sur le divan et qui commence à vous parler de ses propres problèmes. Le virus est ainsi devenu sinon un facteur de remise en cause, du moins de relativisation de la puissance. Quand la pandémie fera ses adieux, il va falloir se questionner sur les nouveaux instruments de mesure de la puissance des États. Il ne faudra surtout plus confondre le capteur et la mesure.

  • La revanche probable de l’idéalisme sur le réalisme

Le réalisme en théorie des relations internationales signifie qu’on mette les rapports de forces et de domination au cœur de l’analyse et qu’on parte de la réalité factuelle pour analyser le monde. Inspirée par le Prince de Machiavel et le Léviathan de Hobbes, cette perspective théorique réaliste envisage le monde tel qu’il est, plutôt que tel qu’on aurait souhaité qu’il soit. L’idéalisme est le contraire du réalisme, il investit la réflexion de principes moraux et éthiques et prescrit des comportements responsables, avec des lignes directrices qui engagent l’ensemble des humains. La première perspective, celle réaliste, semblait définitivement s’imposer dans les théories des relations internationales, tentant d’expliquer, voire de justifier les déploiements de forces des plus forts et la soumission volontaire ou la contrainte obligatoire des plus faibles à se soumettre. Et tant pis si la démocratie pouvait en souffrir et révéler aussi abruptement ses limites. Après tout, ce n’est pas le meilleur des systèmes, c’est le pire à l’exception de tous les autres comme l’affirmait Churchill. Aujourd’hui, dans la situation qu’impose la COVID-19 (le virus le plus démocratique au monde), jamais l’on a autant parlé de tolérance, de solidarité, d’humanisme, de compassion, de prière, d’amour. La sémantique est en soi révélatrice d’un tournant dans les « rapports entres États » qui céderaient de plus en plus la place aux « rapports entre humains » comme nouveau paradigme de base de l’analyse des relations internationales. Une nouvelle chance pour l’ONU de retrouver une crédibilité perdue en prenant le volant d’une mécanique collective qui rappelle la profonde mais extrême fragilité de l’être humain et de ses institutions étatiques pourtant jalouses d’une souveraineté prise en détresse par un ennemi si infiniment petit qu’il est invisible, mais si puissamment redoutable qu’il traverse les frontières sans montrer son visa cacheté sur un passeport individualisé.

  • Le paradoxe troublant de l’hyperpuissance chinoise

« Usine du monde », « future puissance », « miracle économique », les mots ne sont jamais assez forts pour souligner l’entrée progressive du pays de Mao dans le rang des pays hyperpuissants. Il y a quelques années, c’est une banque américaine (Goldmann Sachs) qui prédisait la première place de la Chine dans l’économie mondiale. Un autre l’aurait dit qu’on ne l’aurait pas cru. La réalité est que l’« empire chinois » étend ses tentacules, investissant, construisant partout où l’opportunité s’ouvre. Le paradoxe est qu’elle exporte pas seulement ses marchandises, sa matière grise et sa main-d’œuvre, elle est capable aussi, sans le vouloir, de distiller des virus au-delà de ses frontières. Quand le COVID-19 a commencé à sévir dans son territoire, le reste du monde a compati, envisageant même son probable effondrement économique, mais rares sont ceux qui ont osé fermer leurs frontières aux Chinois, de peur de voir leurs propres unités industrielles s’effondrer parce que largement dépendantes des produits chinois. Aujourd’hui que la Chine a fini de réduire à presque néant la propagation du virus, elle reprend sans tambours ni trompette sa conquête du monde, proposant son expertise et son aide aux autres, en envisageant sereinement la responsabilité qui lui incombera demain de venir au secours de l’économie mondiale ébranlée par le « virus chinois ». Que de paradoxes inépuisables même par l’analyse la plus sophistiquée!

  • Le déclin de l’hyperpuissance américaine face à un ennemi imprévisible

Ces dernières années, et ce depuis la fin des deux dernières guerres mondiales, il y a une course folle à l’armement. Les États les plus forts se sont dotés des armes de destruction et de dissuasion massive et se sont mis d’accord pour surveiller les autres pays les plus faibles afin d’éviter que ces derniers se dotent de l’arme nucléaire qui les mettrait sur le même piédestal que les plus forts, sans qu’on ne sache s’ils seraient assez responsables pour s’en servir avec des pincettes voire de ne jamais les utiliser. Les relations américano-iraniennes en sont le symbole parfait. La réalité aujourd’hui est que cet arsenal militaire si impressionnant est impuissant face au COVID-19.  Les milliards de dollars dépensés en armement, les sommes colossales investies dans l’intelligence sécuritaire, les stocks d’armes de dissuasion et de destruction, la masse d’argent et d’or cadenassée dans les fiducies et coffres forts de Wall-Steet, sont tous aujourd’hui inopérants pour faire face à la pandémie. Les scénarios les plus optimistes annoncent des centaines de milliers de morts probables et finissent par avoir un effet sur la façon dont évolue la sémantique du président dans ses commentaires quotidiens sur la crise. Le président américain ne parle plus avec une certaine arrogance du « virus chinois », son vocabulaire est choisi avec plus d’humilité, sans doute avisé par ses conseillers qu’il pourrait avoir recours demain à l’expertise médicale chinoise ou avoir à commander des masques de protection à l’ « ennemi chinois ». 

  • Santé versus économie : le nouveau pouvoir des experts dans un nouvel ordre mondial à réinventer.

Les États-Unis qui trônent au sommet des nations les plus militarisées est le pays le plus touché par la propagation du virus COVID-19. Le pays est devenu l’épicentre de l’épidémie du coronavirus. Mais, face à cet ennemi si puissant, les cerveaux et les stratèges les plus sollicités en termes de solutions probables ne sont pas les « génies » du Pentagone. Les plus sollicités sont les virologues et autres infectiologues qui tentent dans un langage ésotérique propre à la science d’expliquer à un président obsédé par l’hyperpuissance que la santé passe avant l’économie, et faute de ne s’être pas assez occupé de la première, ses faiblesses auront pour conséquence d’engloutir les avantages de la seconde. Lorsque le président prévoit d’assouplir les mesures de confinement ou de rouvrir les frontières pour ne pas acter le déclin inévitable de l’économie américaine, les médecins lui répondent : « nous ne sommes pas prêts de prendre soin de ce qui s’en vient…donc, pour le moment, nous avons besoin que les gens restent à la maison et nous devons aplanir cette courbe ». Le désir de puissance affirmé, la volonté de rester le « gendarme du monde » et le « poumon économique de la mondialisation libérale », tout cela passe comme menu fretin face à la vague déferlante d’un virus qui ne fait pas de discrimination entre riches et pauvres. La parole de l’expert au cœur du nouvel ordre mondial induit par la pandémie du COVID-19, nouvel avatar d’une mondialisation à rebours de son moteur principal, le capitalisme, c’est peut-être l’une des plus grandes leçons à tirer de façon provisoire de cette crise, elle porte la signature de l’épidémiologiste de la Connel School of Nursing  du Boston College, Nadia Abuelezam : « Les virus ne respectent pas les frontières. Les virus ne font pas de discrimination. Les virus veulent juste trouver un autre corps où ils peuvent se répliquer. Et je pense que c’est quelque chose à garder à l’esprit ».

Il serait toutefois naïf de penser que l’expertise médicale s’exprime d’une seule voix dans une parfaite convergence scientifique. Les plus iconoclastes comme le professeur Raoult de Marseille et les plus pragmatiques comme le docteur Seydi de l’hôpital Fann de Dakar prescriront l’usage de la chloroquine à leurs patients atteints du coronavirus, qu’importe pour eux les calculs intéressés sur les éventuelles retombées économiques néfastes de leurs positions présentes sur la future commercialisation d’un potentiel vaccin. Les autres plus nombreux, accusés d’être « prisonniers » ou « complices » du système en appelleront à la prudence sur l’usage de ce « médicament des pauvres » au plus grand plaisir des multinationales pharmaceutiques « battant pavillon » OMS ou labélisées OMC. Tant que les uns ne menacent pas de mort les autres, ça va pour la santé des esprits, de la liberté de penser et la qualité de la respiration du débat démocratique : « À chaque époque, écrivait Margueritte Yourcenar dans Archives du Nord, il est des gens qui ne pensent pas comme tout le monde, c’est-à-dire, qui ne pensent pas comme ceux qui ne pensent pas ».

Enfin, le confinement forcé nous amène à nous rendre compte qu’il y a plein de choses non essentielles que nous faisons tous les jours, qui nous prennent beaucoup de temps et dont on pourrait se passer sans conséquence. Sans compter les gains pour la qualité de l’air que nous respirons tous les jours et la consolidation du lien familial et social paradoxalement rendue possible par la distanciation sociale.

Ndiaga Loum (Ph.D), juriste-politologue, professeur titulaire, UQO

Titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie

Responsable du programme de doctorat en sciences sociales appliquées

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