L’islam confrérique du Sénégal est l’une des causes de stabilité de notre pays. En fait, les guides religieux à la tête de nos confréries sont considérés comme des régulateurs sociaux ou même des directeurs de conscience. L’affiliation de la majorité des musulmans du Sénégal à une confrérie soufie et l’acclimatation du soufisme en Afrique de l’ouest a donné naissance à une pléiade de concepts qui méritent des explications. Parmi ces concepts nous pouvons citer le diebeulou ou diâyanté (acte d’allégeance), la tarbiya (éducation spirituelle) et le ndigël (consigne) L’actualité politico-socio-religieuse de ces dernières semaines nous incite à apporter quelques éclaircissements sur ces mots et ce en toute humilité.
Le ndigël : c’est une consigne donnée par un guide spirituel à un adepte. L’adepte est celui qui fait acte d’allégeance auprès d’un homme de Dieu pour que celui-ci lui assure une ascension spirituelle. C’est la tarbiya. Mais à qui doit-on faire acte d’allégeance ? C’est quoi la tarbiya et qu’est-ce qu’un ndigël ? L’acte d’allégeance (diâyanté ou diebeulou en wolof et selon les confréries) est la réplique de la démarche des compagnons envers le Prophète (Psl). En fait, en l’an neuf (09) de l’ère musulmane, le Prophète Muhammad (Psl) a voulu faire le pèlerinage à la Mecque comme le prescrit la religion qu’il prône. Mais les dignitaires de la Mecque ne comprenant pas les motifs de ce voyage qu’ils jugent inopportun, lui interdirent l’accès dans la ville.
En tant que responsable, le Prophète demande à Seydina Oumar ibn Khatab d’aller négocier avec les Mecquois. Oumar, en fin connaisseur de la culture arabe, dit au prophète d’envoyer Seydina Ousmane Ibn Afan car celui-ci est plus conciliateur que lui. Ainsi, Seydina Ousmane ibn afân fut envoyé pour négocier avec les Mecquois et leur expliquer l’objet de la visite du Prophète à savoir faire son pèlerinage et retourner paisiblement à Médine. Des esprits malsains (certains exégèses disent que c’est Satan) ont profité de la longueur des négociations et le stress dû à l’attente pour divulguer une fausse information : «Les Mecquois ont retenu Ousmane Ibn Afan comme prisonnier de guerre.» C’est alors que le Prophète s’est levé et a dit en substance : «De deux choses l’une : soit Ousmane revient ici sain et sauf ou nous combattrons les Mecquois jusqu’au dernier d’entre eux.» Et les compagnons de venir lui témoigner leur allégeance.
Cet épisode de l’histoire de l’islam est relaté dans le Coran quand Allah (Swt) dit dans la sourate al Fath au verset 10 et 16 : «Ceux qui ont fait acte d’allégeance envers toi, ils le font certainement envers Allah. La «main» d’Allah est au-dessus des leurs …… » «Certes Allah agrée l’engagement que vous avez fait sous l’arbre, Il sait ce qui est dans vos cœurs et vous en accorde la quiétude… » Dans un hadith rapporté par Al’Aqîlî, le prophète Psl dit : «Les érudits de la religion sont les +dépositaires+ de la science des prophètes. Ainsi nous voyons que l’acte d’allégeance ne doit se faire en islam qu’en faveur d’un érudit respectueux des recommandations du coran et de la souna.»
La tarbiya, c’est le fait pour un guide religieux de dispenser une éducation spirituelle à ses disciples afin de purifier l’âme (le «nafs») des travers dissipant les ténèbres qui l’environnent. Le maître spirituel doit donner à ses disciples des leçons correspondant à leur état spirituel du moment en faisant tout pour préserver leur santé physique ou mentale. Ces états spirituels sont, entre autres, la richesse, la pauvreté, la bonne santé, la maladie, à demeure, en voyage, la joie ou la tristesse. L’éducation spirituelle est composée de deux formes : une éducation conventionnelle et une éducation par le dessein (himma) et l’état (hal).
L’éducation conventionnelle :
Elle consiste à faire entrer le disciple en retraite spirituelle appelée «khalwa», lui faire invoquer Allah et lui demander d’être frugal. Ces consignes observées, tout l’esprit du disciple demeure tourné vers Allah (Swt) et vers Son Envoyé (Psl).
L’éducation par le dessein et l’état :
Elle consiste à la conformation à la Sunna, le renoncement au monde et à tout ce qui lui ressemble, tel que le prestige et l’amour de la préséance, afin de préparer l’âme en vue de l’Au-delà et préparer le cœur à ne rien vouloir à côté de la volonté d’Allah. Le vrai soufi est celui qui dépasse les hommes par la grandeur de l’âme et par la droiture (istiqâma) et qui a perçu la quintessence de la religion en plus de ce qu’en sait le commun des mortels. Pour cette forme de Tarbiya, la retraite spirituelle n’est pas obligatoire.
Le ndigël est alors donné par un guide qui en mérite l’appellation. Serigne Mansour Sy, actuel Khalife général des Tidjanes, a pour habitude de rappeler aux adeptes lors des ziaras que la consigne (ndiguel) peut être interprétée selon ces trois termes : le ndigël, le ndigâlé et le ndouguel. Le ndigël, dit-il est la consigne que le guide donne à son adepte sans en attendre une contrepartie. L’adepte récolte entièrement les bénéfices de ses actes. Il donne souvent l’exemple de la recommandation à faire les actes de dévotion liés à la religion tel que la prière, le jeûne les zikr, etc. Selon Serigne Mansour l’exécution du ndigël est obligatoire : «Bôô manèè defal bôô manoul defal» (Si tu peux le faire fais-le ; si tu ne peux pas essaye)
Le ndigâlé est une consigne que le guide donne à un adepte et dont le fruit de l’accomplissement peut être partagé entre le donneur d’ordre et l’exécutant. Pour exemple ici on cite souvent le fait de cultiver les terres de son guide pour avoir de la baraka. Selon Sergine Mansour, l’exécution d’un ndigâlé n’est pas obligatoire : «Bôô manèè defal bôô manoul bayil» (si tu peux le faire fais-le ; si tu ne peux pas, laisse tomber)
Le ndougal, quant à lui, est une consigne dont l’exécution ne comporte que des méfaits pour l’exécutant. Sergine Mansour Sy dit que pour cette consigne «Bôô manèè boul def ; bôô manoul boul def» (si tu peux le faire ne le fais pas ; si tu ne peux pas n’essaye même pas) En ces temps où des personnes se proclament guides religieux à tout bout de champ, il me paraît nécessaire pour tous les croyants et en particulier les jeunes, de bien mesurer la portée des actes qu’ils posent. Nous devons nous remémorer les propos de Abd Rahman Al Akhdari qui dit : «Il ne peut être licite pour un croyant de poser un acte sans en connaitre le statut juridique (huqmou lahi fîîhi).»
Nous devons tous nous soucier de la fiabilité voire de la validité de nos actes d’allégeance («diebeulou » ou «Diâyanté») si nous le faisons. Ensuite conformons-nous en tant que croyant au premier propos du Coran à savoir : «LIS» (verbe lire à l’impératif). Cela nous permettra de savoir si l’éducation spirituelle (tarbiya) que nous sommes censés recevoir de nos guides repose sur les piliers de l’islam ou sur leur bon vouloir. Enfin est ce qu’en cours de Tarbiya, les consignes ndigël que nous recevons sont bien fondées.
Ibrahima DIOUF,