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Obama l’Africain

Les Etats-Unis bâtissent une « Otan africaine ». Un projet de l’administration Bush que Barack Obama a su reprendre à son compte.

 

 

 

 

PAR MICHEL GURFINKIEL.

 

La bannière étoilée a flotté cet été sur la base militaire de Thies, à soixante-dix kilomètres à l’est de Dakar. Les exercices Western Accord 2012 y ont réuni six cents Américains (Marines, réservistes de la Garde nationale), près de six cents Africains (Sénégalais, Burkinabés, Guinéens, Gambiens) et quelques Français, pour faire bonne mesure. But officiel : « développer la compréhension et l’interopérabilité » entre pays africains, en vue d’actions de « maintien de la paix ». Sur le blog du commandement américain en Afrique (Africom), on peut cependant lire cependant lire qu’il s’agissait aussi de « promouvoir et soutenir les intérêts nationaux des Etats-Unis ».

 

Thies n’est qu’un élément dans un dispositif beaucoup plus large. Au total, l’Africom a organisé quatorze exercices militaires en Afrique pour le printemps et l’été  2012 : du Maroc à l’Afrique du Sud, du golfe de Guinée au littoral de l’océan Indien. Tous les cas de figure ont été abordés : combats terrestres, navals et aériens, logistique,« sécurisation » d’un territoire, aide médicale et humanitaire (corollaire inévitable d’éventuels affrontements). Les personnels apprennent à travailler ensemble, en dépit des différences culturelles ou linguistiques. Ils sont initiés aux armements les plus modernes, à la gestion informatisée du champ de bataille. Et à penser « stratégiquement ».

 

Un exemple. Au Mali, l’un de ces exercices – Atlas Accord, portant sur la planification logistique et le ravitaillement par voie des airs – s’est déroulé au moment même où les rebelles touaregs du MNLA puis les islamistes d’Ansar Dine s’emparaient de l’Azawad : 40 % du territoire national. Il n’a pas été question de le suspendre, de le reporter, ni a fortiori d’utiliser les hommes ou les matériels disponibles pour engager immédiatement une contre-offensive contre les rebelles. Penser stratégiquement, en l’occurrence, consistait à distinguer entre le court et le long terme.

 

Jusqu’aux dernières années du XXe siècle, les Etats-Unis se félicitaient du maintien d’une présence française en Afrique : dans les anciens territoires français, mais aussi les anciens domaines belge ou portugais. Cela les dispensaient de s’engager eux-mêmes directement sur un cinquième théâtre extérieur : après l’Europe, la région Caraïbes et Amérique latine, le Proche-Orient et l’Extrême-Orient.

 

Mais dans les années 2000, un chassé croisé se produit : alors que Paris réduit ses engagements africains, pour des considérations à la fois politiques – fin de la« Françafrique » –  et budgétaires, Washington renforce les siens. L’administration républicaine George W. Bush, dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », met sur pied un commandement régional africain, d’abord sous l’égide du commandement américain en Europe, puis en tant que commandement à part entière. Le secrétaire à la Défense Robert Gates annonce officiellement la création de l’Africom en février 2007 ; la mise en service est effective un an et demi plus tard, le 1er octobre 2008.

 

Interface africaine : la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao en français, Ecowas en anglais). Cette organisation créée en 1975, qui réunit quinze Etats, tant francophones qu’anglophones et lusophones, a d’abord été conçue comme une réplique africaine de l’ancienne Communauté économique européenne (CEE). Mais depuis une quinzaine d’années, elle assume également des fonctions politiques. Ou militaires : avec une organisation parallèle connue sous son acronyme anglais d’Ecomog. Créée en 1999, celle-ci était chargée à l’origine de fournir des contingents  de « casques blancs » africains afin de gérer d’éventuelles situations de crise. A travers son partenariat américain, elle fait figure d’embryon d’armée confédérale africaine, susceptible non seulement de « surveiller » mais aussi d’ « intervenir ». Détail révélateur : deux Etats anglophones extérieurs à la Cedeao, l’Ouganda et la Tanzanie, en font partie.

 

En novembre 2008, Barack Obama est élu président des Etats-Unis. En tant que leader de l’aile gauche démocrate, il s’était constamment opposé à la politique étrangère et de défense des républicains : en 2003, il avait notamment refusé de soutenir l’intervention militaire en Irak. Mais une fois élu, il se comporte de façon bipartisane : il maintient Gates dans ses fonctions et entérine la plupart des choix de ses prédécesseurs. Notamment en Afrique. C’est sous son administration que l’Africom a véritablement pris son essor.

 

Ce qu’il faut bien appeler la « doctrine Bush-Obama sur l’Afrique » repose sur quatre idées forces :

 

° La nouvelle ruée sur l’Afrique : le continent noir possède 30 % des réserves mondiales prouvées en minéraux. Elle détient 9 % des réserves prouvées de pétrole. En ce qui concerne le gaz naturel, elle pourrait passer de 5 % des réserves prouvées à 10 %, si les dimensions d’un nouveau gisement découvert début 2012 sur les côtes de l’océan Indien (dans la zone Kénya-Tanzanie-Mozambique-Seychelles) sont confirmées.

 

Naguère encore, une dizaine de pays anciennement industrialisés se partageaient 70 % de ces ressources. Et parmi ces bénéficiaires, les Etats-Unis et leurs partenaires occidentaux étaient les plus importants. Mais aujourd’hui, la demande « explose ». Selon l’OCDE, la production mondiale de métaux devrait quasiment doubler entre 2002 et 2020, de 5,8 milliards de tonnes à 11,2 milliards. Et la production mondiale de minéraux non-métalliques devrait croître, pendant la même période, de 50 % : de 22,9 milliards de tonnes à 35,1 milliards. Si la répartition de la demande reste stable en ce qui concerne les premiers (un tiers pour les pays de l’OCDE, un tiers pour les BRIICS ou pays émergents, un tiers pour le reste du monde), elle se modifie nettement pour les seconds : la part de l’OCDE chute de 55 % à 43 %, celle des BRIICS passe de 26 % à 36 %.

 

Cette demande accrue fait monter les prix. Elle a également des incidences stratégiques. Avoir accès aux ressources naturelles, c’est faire tourner son industrie et son commerce. Contrôler cet accès, c’est être en mesure  – en dernier ressort – de faire la guerre.« L’engagement américain en Afrique ? », notait dès 2007 Stephanie Hanson, une analyste du Council on Foreign Relations (CFR), « C’est d’abord une riposte à la pénétration chinoise ». Une logique analogue s’applique aux ressources agricoles et halieutiques africaines. Là aussi, la demande mondiale s’accroît – et le contrôle de la production ou de la commercialisation peut revêtir des aspects stratégiques. Les deux guerres mondiales ont été gagnées par les belligérants les mieux nourris.

 

° L’Afrique est l’un des paramètres démographiques du XXIe siècle. Sa population devrait passer de 900 millions d’habitants au début des années 2000 à 1,2 milliard d’ici la fin des années 2010, et continuer à croître jusqu’aux années 2050 au moins. Elle a passé le seuil du milliard en 2010. Elle est plus peuplée, à elle seule, que l’Europe et l’Amérique du Nord réunies. Et cette population est en majorité jeune (moins de vingt-cinq ans), tandis que les populations occidentales mais aussi asiatiques seront en majorité vieilles (plus de quarante-cinq ans).

 

Première conséquence : une forte émigration, qui devrait se diriger en priorité vers les pays occidentaux, avec lesquelles les pays africains ont vécu en symbiose depuis près de deux siècles. Corollaire : une influence africaine accrue sur les politiques intérieure et extérieure des pays occidentaux : les immigrés récents ne faisant que renforcer des communautés afro-européennes ou afro-américaines installées de longue date. L’entrée de ministres d’origine africaine dans le gouvernement français en 2007, l’élection d’un président afro-américain aux Etats-Unis en 2008, sont des signes. De même que l’africanisation du clergé dans les pays catholiques européens.

 

Deuxième conséquence : dans une économie mondialisée, l’Afrique du XXIe siècle devrait être à la fois un bassin de main d’œuvre et un marché. Donc, pour les autres régions du monde, un facteur de croissance, comme l’Asie l’a été depuis les années 1980.

 

° Mais politiquement et géopolitiquement, l’Afrique est un « ventre mou ». Plus d’un demi-siècle après la décolonisation, les Etats africains sont fragiles. Certains ont cessé de fonctionner en tant que tels. D’autres ne contrôlent qu’une partie du territoire que leur attribue les conventions internationales. La plupart ont été ravagés par des guerres civiles, interétatiques (d’Etat à Etat) ou transétatiques (affectant des régions géographiquement ou ethniquement proches, mais qui relèvent théoriquement d’Etats distincts).

 

La conclusion s’impose d’elle-même, à Obama comme au reste de la classe politique de Washington : si l’Amérique veut « garder » l’Afrique, elle doit la sécuriser. De même qu’il lui avait fallu, autrefois, sécuriser l’Europe à travers l’Otan et l’Asie à travers  divers réseaux d’alliance.

 

© Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2012

2 Commentaires

  1. c’est vraiment dommage que les intellectuels africains n’informent pas sur de tels points positifs que comportent notre continent pour galvaniser sa jeunesse dans l’elan du travail, de l’excellence, de la competitivite. Les nations se font d’elles meme. l’Afrique secoue toi!

  2. Vous parlez d’ « intellectuels africains « . Vous me faites rire. Des pantouflards oui, a la remorque de politiciens aussi mediocres les uns que les autres. A part trois pelees et deux tondues, il n’a pas d’intellectuels, au vrai sens du mot, en Afrique. Je suis desole.

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