Doudou Ndiaye Rose : un homme de conviction qui rehaussait de sa baguette magique la fête de l’indépendance du Sénégal
(Texte extrait de Doudou Ndiaye Rose, le Grand tambour-major du Sénégal – Auteur Tafsir Ndické Diéye CIGA EDITIONS Avril 2005)
« Entendez-vous le vent ?
Entendez-vous l’océan ?
Entendez-vous le bois,
De la table qui craque ?
Et les arbres, les feuilles…
Tout cela, c’est la musique du monde
A nous de nous laisser porter
Par le chant de la terre
Et de nous y insérer,
D’y apporter notre petite partition. »
Doudou Ndiaye Rose
Doudou Ndiaye Rose est né le 28 juillet 1930 au quartier Plateau Kaye Findive à Dakar, actuelle capitale du Sénégal. Sa ville natale est l’une des quatre communes du Sénégal, une ancienne colonie française, dont les habitants jouirent du droit de vote et du statut de citoyen français dès les années 1871-1880. Dakar, comme on le sait, est une ville qui connut, dès 1857, un développement remarquable qui fit d’elle un carrefour économique et culturel sous régional. Issu d’une famille de l’ethnie wolof et de caste griotte, il a très tôt refusé l’appellation de griot synonyme, selon lui, de quémandeur : « Je ne me considère pas comme griot parce que les vrais griots sont des quémandeurs, ils dépendent des autres, et ce n’est pas ma nature. Je ne dépends que de Dieu. » Martèle-il.
Cet homme de conviction et de foi, baigné dans la douceur de l’air marin et le panorama paradisiaque des mamelles de la presqu’île du Cap-Vert, fit ses débuts à l’école française avant de la quitter pour se lancer dans l’apprentissage de la plomberie, un métier qu’il exercera jusqu’en 1960.
« Donnez-vous comme tâche de découvrir ce pourquoi vous êtes fait et consacrez-vous avec passion à le faire. » Cette parole de Martin Luther King a trouvé, chez le jeune prodige une réponse positive, une oreille attentive.
Le maître-tambour nous dit :
« Mon maître savait que j’allais disparaître dès qu’il entendait le son du tam-tam. On m’a donc confié à mon oncle pour me faire entendre raison. Mon grand-père ne pouvait pas frapper son petit-fils et il ne savait pas comment me tenir. Mon oncle a commencé à me flanquer de terribles volées dès que je n’allais pas à l’école. Un jour, il m’a même cassé la clavicule. Faut dire que j’étais resté vingt jours sans aller à l’école… Mais, il y a été tellement fort qu’après, il a eu des remords, et il a finalement compris que je ne voulais faire rien d’autre. Il m’a laissé tranquille, et même si j’ai appris le métier de plombier que j’ai exercé jusqu’à l’indépendance, je n’ai plus jamais cessé de jouer du tam-tam, me renseignant sans arrêt pour connaître la signification de tous rythmes. »
Malgré le désaccord de ses parents, il se familiarise très tôt, dès l’âge de sept ans, avec cet héritage de ses arrière-grands-pères. Son grand-père ne battait pas le tam-tam. Son père, El Hadji Ibrahima Ndiaye comptable, voulait qu’il ait un « métier ». Son oncle le battait. Mais il se battait farouchement pour asseoir son art. « J’allais sérieusement à l’école, mais quelque chose m’en empêchait. A l’époque, à Dakar, il y avait chaque jour des cérémonies de mariage, de baptême, de circoncision, de tatouage. Sur le chemin, j’entendais le tam-tam… c’était fini pour moi ; je suivais les sons portés dans tous les sens par le vent, je courais, je cherchais jusqu’à trouver la maison où il y avait la fête. En grandissant, la famille a fini par me laisser tranquille. »
El Hadji Mada Seck, un comptable, animateur de radio et grand batteur roulant en voiture, une chose rare à l’époque où seule une trentaine de personnes en disposait, le découvre et s’occupe de son encadrement. Ils partageaient, tous les deux, l’amour de la création de nouveaux rythmes contrairement aux grands maîtres de l’époque qui étaient plutôt conservateurs. « Il venait me chercher le weekend, m’expliquait parfois les rythmes en mangeant. Quand j’ai eu trente ans, il m’a dit : « Maintenant à toi de jouer, je n’ai plus rien à apprendre… » Il me remit une baguette, son Senghor (un gris-gris pour la protection mystique et une batterie constituée de cinq tambours. » Dit-il.
Enrichi par cette collaboration, Doudou va inaugurer l’air des innovations dans le domaine du rythme. Il s’intéressa d’abord à ce qu’il y avait avant le tambour. Ses recherches vont l’orienter vers la calebasse, le mortier et le pilon. « Piler le mil dans un mortier est un travail très long et très fatigant. C’est pourquoi, en faisant ce travail, on chantait et on dansait et c’est le pilon qui scandait les différents rythmes de cette cérémonie. » Confie-t-il. Il initie ainsi, dans ses spectacles, parfois, une partie consacrée à tous ces rythmes.
Mais la première grande innovation de l’artiste reste la reconstitution du groupe traditionnel de tambours formé de quatre musiciens : un joueur de Lambe, tambour le plus grave qui produit les basses, un joueur de Goron, plus médium, deux joueurs de Sabar dont un soliste. Il eut l’idée de « doubler les instruments pour donner plus corps au son et l’adapter aux exigences des grands publics pouvant aller jusqu’à cinquante mille spectateurs ». Il donna son premier concert avec ce type de formation en 1955, année de son premier voyage en France à Jean Beaurrain, devant un public acquis à sa cause, complètement conquis. « Tous les batteurs disaient : « celui-là, il fait le malin. On ne peut pas coordonner sept tambours ensemble… » Ils venaient se moquer. Mais quand ils ont vu que non seulement ça fonctionnait musicalement, mais qu’en plus j’avais du succès, ça s’est gâté. J’ai été menacé, attaqué, blessé… On a même payé des gens pour m’agresser. Heureusement, l’une des personnes présentes était dans mon groupe et m’a prévenu. » Dit-il.
Son humilité naturelle et sa soif de connaissance du rythme le poussent à prendre le temps d’écouter les maîtres traditionnels du tambour très célèbres au début du siècle tels que Médoune Yassine Ndiaye, Doudou Faye, Bouna Bass Gueye, Aly Gueye Seck. Il veut être un grand batteur de tam-tam doublé d’un chef d’orchestre, et, pour cela, il lui faut connaître « tous les rythmes ». C’est ainsi qu’il entama un long voyage à l’intérieur du pays pour : « poser des questions, écouter la forêt, les rythmes des animaux… Chaque animal a un rythme qui lui appartient. C’est comme les êtres humains. Les gens m’expliquaient… Même si on ne parlait pas la même langue, on se comprenait avec le tambour ». Dit-il.
Sa deuxième grande innovation est la création du premier groupe de percussionnistes femmes d’Afrique en 1981. Il commença par initier sa fille Rose qui porte le prénom de sa mère, Coumba Rose Niang, d’où le nom de « Les Rosettes » donné à la section féminine de son orchestre. Le virtuose du tambour explique : « Ca faisait longtemps que j’avais envie d’ouvrir le tambour aux femmes. Elles étaient bien avocates, inspecteurs de police ou conductrices de bus, alors pourquoi pas batteuses ? Comme le ciel m’avait donné quatorze filles et neuf belles-filles, j’ai décidé de leur enseigner le rythme. Quand j’ai réussi à les faire jouer pendant trente minutes, j’ai invité une équipe de la télévision pour filmer l’événement. Ca à créer une surprise totale. Le lendemain, le nom des « Rosettes » était dans toutes les bouches des habitants de la capitale. »
Ce génie du tambour ne s’arrêtera pas en si bon chemin dans le domaine des innovations. Quelques années après l’accession de son pays à l’indépendance, le président poète Léopold Sédar Senghor lui pose le problème des majorettes, ces filles en uniforme de fantaisie paradant dans les défilés, dans le cadre de sa politique d’africanisation de certaines fêtes dont celle de l’indépendance. « Senghor voulait bien conserver les défilés mais en les africanisant. Aussitôt dit, aussitôt fait ; on a supprimé les casquettes à plumes et les uniformes rouges et on a habillé les filles avec des pagnes courts et des foulards de tête. On a juste gardé les bottes blanches parce que c’était pratique et joli. Quant à la musique… c’est moi qui en ai été chargé… » Dit ce révolutionnaire du rythme qui anime, depuis 1978, la fête de l’indépendance de son pays le 04 Avril.
(…) Plusieurs rangs de jeunes filles joviales, coiffées à l’africaine, de foulards, habillées de tissus-pagnes à la couleur tropicale, de bottes blanches, exécutent des pas de danse chaloupés et bien synchronisés, attirent les regards de la majeure partie d’une population émue et émerveillée.
Doudou accompagne ce régal en dirigeant, avec une main de maître, ses dizaines de batteurs de tam-tam hommes et femmes. Avec des pas de danse tantôt lents, tantôt endiablés, le maître gesticule, saute, jette des coups d’œil par-ci par-là pour orienter ses « rosettes » et ses autres batteurs aux habits multicolores.
Et l’ensemble défile sous un soleil éclatant. Le public, possédé par le rythme et la chorégraphie de ce grand seigneur de la baguette, donne toujours raison, en de pareils moments, à Joséphine Baker qui, en 1959 déjà, disait à ce dernier ; « Toi, tu seras un grand batteur ». Ce grand batteur et ancien scout (dans les années 40) va offrir ses services à sa nation en devenant, grâce à la politique culturelle du président poète Léopold Sédar Senghor, professeur de rythme à l’Institut National des Arts de Dakar et Chef Tambour-major des ballets nationaux. C’est ainsi qu’il sera remarqué par Maurice Béjart qui fit de lui le batteur de Mudra Afrique. Il effectua, avec lui, son premier tour du monde.
(…) La symphonie époustouflante issue de la symbiose des superpositions de rythmes offerts par un groupe de trente, cinquante ou cent batteurs lui permet d’accomplir sa mission d’ambassadeur de son pays partout dans le monde. Mais, d’où tire-t-il cette force qui lui permet de donner satisfaction à son public à chaque spectacle ? Sa réponse tombe et rassure : « Le tam-tam donne la force, apaise la douleur, éloigne les mauvais esprits… »
Déjà, en 1984, Béatrice Soulé et Éric Millot réalisent un film documentaire de 53 minutes sur lui, un film enregistré par Éric Serra, le compositeur fétiche de Luc Besson et bassiste de Jacques Higelin. Ce film lança l’artiste sur la scène internationale.
C’est ainsi que, depuis le Festival de jazz de Nancy en 1986 à nos jours, l’homme noir, sec et de petite taille, au regard doux et magique, ne cesse d’étonner le monde entier, animant avec Jean Paul Goude, entre autres prouesses à son actif, le Bicentenaire de la Révolution française, et, partageant les plus grandes scènes musicales du monde avec des artistes comme Jacques Higelin, France Gal, les Rolling Stones, Peter Gabriel, Miles Devis, Mory Kanté, Dizzy Gillespie, Youssou Ndour, Rokia Traoré … en Europe, en Afrique, aux États-Unis d’Amérique, en Asie etc.
Doudou, soucieux de partager les richesses de sa culture, anime des ateliers de percutions dans le monde entier et visite les écoles des banlieues pour propager son amour du rythme et de la musique. Pour assurer sa relève, il forme sa descendance et crée même les « Roseaux » ; un groupe de quarante enfants de quatre à douze ans qui ont déjà fait leurs preuves au niveau national et international. « Ces enfants ont émerveillé le public en Belgique au Festival Couleur Café en 1996 aux côtés d’autres groupes d’enfants percussionnistes venus de la Guinée, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Burkina Faso… Ils ont eu à jouer dans les Caraïbes, au Brésil, en France, trois fois au Japon etc. » Précise le maître.
(…) Cet artiste polymorphe, musicien, chorégraphe, chef d’orchestre, peintre, choreute, alimente son art à la source de diverses cultures par le biais de ses innombrables participations à des rencontres, des échanges, de véritables métissages culturels à travers le monde depuis plusieurs décennies de travail et de succès grâce à sa collaboration avec d’éminents impresarios tels que Gérard Sayeret, Yorrick Bonoist, et Béatrice Soulé. Cette dernière, l’ayant un jour invité à déjeuner au lendemain de la célébration du Bicentenaire de la révolution française, lui passa le président François Mitterrand qui, par le biais de son ministre de la culture Jacques Land, l’élève en 1989 au rang de Chevalier des Arts et des Lettres de la République française. Dans son pays, le président Abdou Diouf va l’élever au même titre ; Abdoulaye Elimane Kane, ministre de la Culture sera chargé de lui remettre sa distinction.
A la mort de son ami Douta Seck, il disait à qui voulait l’entendre, avec son franc parler qui le caractérise : « L’hommage à titre posthume n’est pas fait pour nous autres africains ». Une idée que partage parfaitement son Excellence Maître Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal qui l’éleva en 2003 au rang de Chevalier dans l’Ordre National du Lion et Grande Croix de la Légion d’Honneur en 2004. Auparavant, l’artiste avait déjà reçu les Clés de la Ville d’Angoulême, de la ville de Tokyo etc. les honneurs de la Guadeloupe, d’Haïti …
(…) Liste d’albums réalisés avec la participation de Doudou Ndiaye Rose :
Seigneur de guerre, Voleur de feu avec Lavilliers, Mixe avec l’orchestre Clavier de Lyon, Babacar avec France Galle (le clip a été enregistré chez Doudou Ndiaye Rose), Lac Rose avec Percussions Orchestre du Japon, L’Affiche Militaire avec Julien Jougat, Jaboot avec Julien Jougat, Album avec Bagdad Men Ha Tan.
Texte extrait de Doudou Ndiaye Rose, le Grand tambour-major du Sénégal – Auteur Tafsir Ndické Diéye
Ouvrage édité à l’occasion de le deuxième édition du Gala de la Reconnaissance dédié à Doudou Ndiaye Rose organisé du 14 au 16 avril 2005 sur l’initiative de Ndiawar Touré (vice-président de la Conférence Mondiale des Maires, président de la Commission de l’Economie générale, des Finances et du Plan à l’Assemblée nationale, ancien ministre du Tourisme) qui disait : « Parler de Doudou Ndiaye Rose, porter un témoignage sur l’homme n’est guère chose aisée tellement l’homme a marqué son époque et l’histoire culturelle du Sénégal. Doudou Ndiaye n’est pas simplement un tambour-major comme il en compte par centaines dans notre pays où le tam-tam reste l’instrument de musique de base et le symbole du rythme local.
Il a élevé son art à une hauteur jusqu’ici jamais atteinte. Son sens inné du rythme, sa volonté farouche de se hisser au sommet ont rencontré la clairvoyance d’un homme qui a su tout de suite déceler un génie et le faire éclore : Léopold Sédar Senghor. Ce dernier l’a présenté au monde ; il a su faire le reste c’est-à-dire s’imposer sur la scène internationale et au point d’être un véritable patrimoine de l’humanité. C’est cet homme exceptionnel aux multiples facettes que nous avons voulu, à notre tour, honorer cette année à travers le Gala de Reconnaissance qui, chaque année, discrimine et fête un des fils émérites de ce pays. (…)
Par Tafsir Ndické DIEYE
Auteur de polars et de poésie dont :
Sacrifice satanique – Polar, Editions Edilivre novembre 2015
Pèlerinage au temple de l’amour – Editions Edilivre février 2016
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