Chaque jour que Dieu fait, nous est annoncée une nouvelle candidature à la prochaine élection présidentielle de février 2012. A se poser la question de savoir en quoi consiste cette maladie contagieuse qui s’est subitement abattue sur les Sénégalais, faisant croire à n’importe qui d’entre eux qu’il pourrait nourrir la prétention de diriger ses compatriotes. Il y a quelques mois, Daniel Cohn-Bendit, franco-allemand, iconoclaste icone soixante-huitarde à qui on demandait s’il comptait se présenter à la présidentielle française sous la bannière du mouvement écologiste dont il est un des leaders les plus emblématiques, a répondu : « il faut être fou pour prétendre être président de la République ». Il laissait ainsi entendre que lui, se situait en dehors de ce schéma, préférant se limiter à une militance au quotidien et à son amour pour le foot. N’est cependant pas Cohn-Bendit qui veut.
Sarkozy, Obama ont très tôt rêvé d’être président de leur pays. François Hollande aussi, dont la défunte maman racontait comment, jeune garçon, il lui confiait son désir de devenir président et qu’elle s’en amusait. Elle aurait changé d’avis en voyant que, porté par son culot, son fils est aujourd’hui en passe d’y arriver. Cette ambition ne semble pourtant pas avoir accompagné au Sénégal nombre de candidats à la présidentielle de 2012, tant on a l’impression d’avoir en face de soi une génération spontanée, prompte à se disputer un os à coups de : « Moi, moi, moi ». Comme dans les fameuses classes d’écoles primaires. Alors, de quoi cette banalisation soudaine de la fonction présidentielle est-elle le nom ?
A croire qu’elle a été rendue possible par un certain nombre d’actes posés sous l’ère de la première alternance politique : un chef d’Etat qui se compare à un entraineur de football après s’être autoproclamé « premier informel ». Ça ne court décidément pas les rues, un chef d’Etat aussi « spécial » qui nomme et dégomme une pléthore de ministres jusqu’à désintéresser ses compatriotes de les connaître ou qui se désole de ne pas pouvoir porter une de ses égéries au poste de Premier ministre du fait de son faible niveau d’études.
Sans compter que les médias rendent compte périodiquement des frasques de personnalités promues aux plus hautes fonctions. A l’instar de ces ministres devenus soudainement riches comme Crésus, disposant de « sacs d’argent » chez eux et s’en faisant piquer, à l’occasion, par une bande de malfaiteurs constitués de leurs propres enfants. D’un autre côté, pour avoir bénéficié du suffrage de ses compatriotes, le président de la République se targue régulièrement de donner de l’argent, en veux-tu en voilà, à qui il veut.
Cette générosité revendiquée fait mine d’oublier que les recettes de l’Etat proviennent pour l’essentiel des impôts et taxes versés par les citoyens. Qu’elles sont le fruit du travail des hommes et des femmes de toutes conditions qui, vaille que vaille, essaient de s’en sortir à la sueur de leur front. Aussi, l’Etat ne saurait-il fonctionner sans ces ressources financières qui lui donnent les moyens d’honorer ses charges. D’où l’obligation qui doit être faite aux gouvernants de rendre compte en se fixant comme mission de ne pas se livrer à la gabegie et au népotisme dans l’utilisation de l’argent public. La plus grande hérésie consiste par conséquent à penser que l’argent qui est mis à disposition, même reversé dans les fonds publics votés par l’Assemblée nationale, devient par on ne sait quelle alchimie, une propriété privée pouvant être utilisée comme bon lui semble par le président de la République. Et l’autorisant à clamer sous les tons avoir « donné » telle somme d’argent à une personne ou groupe de personnes. On ne donne pourtant que ce qui vous appartient parce que produit par vous. Est-ce de subodorer la possibilité d’un tel détournement d’objectifs qui attire nombre de prétendants ? En tout état de cause les courtisans ne s’en laissent pas compter.
On les voit déjà s’ébrouer, les narines fumantes, s’élançant en direction de l’élection présidentielle de 2012. Concentrés, ils essaient de se positionner dans le sens du vent, prêts à tourner casaque, se préparant ainsi à rejoindre ceux des candidats les mieux placés pour remporter la mise. Ils n’hésitent pas à valser à mille temps, transhumant avec armes et bagages, d’un parti à un autre pour se donner aux plus offrants.
La campagne électorale est bien lancée. Délaissées entre deux élections, les régions de l’intérieur, véritables réservoirs électoraux font l’objet de toutes les attentions. Les rutilantes 4X4 empruntent de nouveau leurs routes sablonneuses et cahoteuses pour leur proposer des lendemains qui chantent. Dans cette course qui verra l’argent couler à flots, une place spéciale sera réservée aux « marabouts mondains ». Intéressés par la rente, adeptes du « ndigueul périphérique » depuis que les khalifes généraux des grandes confréries se sont astreints à la neutralité politique, laissant à leurs talibés la liberté de choisir leur candidat, ils s’inquiètent des délices terrestres. Les porteurs de voix, les grands électeurs et autres souteneurs-quotataires ne seront pas oubliés. Des millions de francs Cfa, des sacs de riz, de l’huile, du sucre…leur seront gracieusement distribués. En réalité, comme l’ont fait remarquer Jean Michel Severino et Olivier Ray, cette « démocratie rentière a encore davantage tendance à pousser au clientélisme dispendieux et au népotisme gangrenant qu’un régime rentier de type autoritaire » (in Le Temps de l’Afrique).
C’est à mettre un terme à cette prédation qu’il sera possible de contenir cette course effrénée vers la magistrature suprême. Refonder les institutions, lutter pour la justice et l’équité, refuser l’impunité, voilà ce à quoi devra s’atteler le prochain président de la République.
Par Vieux SAVANE
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