L’ancien président du Conseil, Mamadou Dia, est décédé le 25 janvier 2009 à l’âge de 98 ans. Ancien directeur de cabinet du président Mamadou Dia, Roland Colin revient sur la crise de 62 entre les leaders Senghor et Dia, dans son livre intitulé : Sénégal notre pirogue au soleil de la liberté. Et c’est pour lever le voile sur les conditions qui ont pourri les rapports entre ces deux anciens amis politiques. Roland Colin n’est pas n’importe qui. Tout comme Cheikh Hamidou Kane, sinon davantage, il avait la haute estime et la profonde amitié des deux hommes d’Etat.
Quels sont donc les mauvais génies, briseurs d’amitié politique, qui ont élu domicile au palais de la République ? A l’évidence, on peut raisonnablement s’accorder à reconnaître que l’ancien palais de Messmer, actuel palais présidentiel, s’accommode mal avec les amitiés tissées sur le champ politique. Avant les couples Wade-Idrissa Seck, Wade-Niasse (sont-ils amis ?), Abdou Diouf-Habib Thiam, il y a eu Senghor-Dia.
Les premières fissures entre le président Senghor et son compagnon de longue date, Mamadou Dia, ancien président du Conseil, sont, en effet, apparues lorsque le premier a installé ses quartiers au palais. C’est la lecture de l’ancien directeur de cabinet du président Dia, le Pr Roland Colin, lui qui dit avoir recueilli 40 heures de bandes magnétiques de l’ex-détenu de la « forteresse » de Kédougou. Il animait, l’an dernier, un certain lundi 17 décembre, à l’Ucad II, une conférence sur son livre intitulé : Sénégal notre pirogue au soleil de la liberté. Un bouquin qui place la crise politique au sommet de l’Etat intervenue en 1962 au centre du récit en raison du statut de l’auteur, « sans doute plus acteur que témoin », disait le Pr Alassane Ndaw, ancien doyen de la faculté des Lettres de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Face à un public modeste, mais religieusement attentif et calé à son siège jusqu’au bout, le Pr Colin évoque les premiers instants du président Senghor au palais, avec les rigueurs du protocole. Même pour Mamadou Dia, l’ami des heures de combat ! « Et moi, j’ai vu au jour le jour Mamadou Dia se désespérer de ne pas pouvoir accéder au palais en dehors des audiences pour débattre des problèmes infiniment complexes qui se posaient », se souvient l’écrivain historien. Des difficultés, il y en avait déjà, même si le Sénégal venait d’accéder à l’indépendance. Premier des défis, les conséquences liées au démantèlement de l’économie de Traite. Mais, comme installé dans une tour, le président Senghor creuse le fossé entre lui et son collaborateur. Le climat autour des deux hommes en est affecté.
« Au cabinet, nous étions quelques-uns à faire tout ce qu’on pouvait, on n’a pas réussi », explique Colin. Les rapports s’étaient détériorés et les hommes « s’invectivaient par-dessus le boulevard de la République », lâche Cheikh Hamidou Kane, alors tout nouveau ministre du Plan. « Personnage d’ombres et de lumières », comme le qualifie le Pr Colin, Senghor avait, sans doute, scellé le sort de son vieux compagnon. Sans s’en ouvrir, apparemment, à personne. Cheikh Hamidou Kane, reçu au palais, s’entendra dire du président-poète qu’il était opposé à l’initiative des députés. « Je tiens à te dire que je suis opposé à la motion de censure. Je suis en phase avec Dia : avant la motion, le parti doit se prononcer », témoigne l’auteur de L’aventure ambiguë. Seulement, au moment où le maître du palais faisait ce « serment », ordre avait, semble-t-il, été donné au capitaine Preira de procéder à l’arrestation du président Dia. C’était l’aboutissement d’une amitié contre-nature. Senghor, séparé de son terroir, très tôt était devenu plutôt un Toubab.
Lui qui a appris le latin et le grec, lu Sénèque et autres, comme le dira un intervenant, ne pouvait cheminer avec le fils du peuple, Mamadou Dia. En témoigne son geste désinvolte sur le pont Faidherbe à Saint-Louis, où il était en service. Dia avait, en compagnie d’Abdoulaye Sadji, jeté son casque colonial dans le fleuve protestant ainsi, sans doute, contre l’ordre colonial et ses valeurs. Ce qui lui a valu d’être muté à Fissel, à Fatick. La question de l’indépendance les divise également. « Senghor dit dans 20 ans, Dia propose deux ans. Senghor réduit le délai à 15 ans, Dia dégringole à trois ans. Finalement, ils sont tombés d’accord à cinq ans », révèle-t-il ajoutant que ces discussions entre les deux hommes étaient méconnues de leurs camarades.
Senghor opposait à Dia le caractère aléatoire de l’indépendance lui disant que « nous allons perdre notre âme, notre culture, la culture française qui nous a tant donné ! » L’un avait le regard sur la France, l’autre « sur Modibo Keïta et Sékou Touré », comme l’a souligné le leader du Pit, Amath Dansokho plaçant le casus belli aux visites de Dia dans les pays socialistes et à la vague de pudibonderie déclenchée par le président du Conseil décidé à « nettoyer » les Champs de course de ses prostituées.
Hamidou SAGNA
LAGAZETTE.SN