Elles sont belges ou françaises et se revendiquent soit comme prostituées, soit comme libertines. Elles sont dix et leur point commun est d’avoir entretenu des relations sexuelles tarifées avec Dominique Strauss-Kahn lorsqu’il était encore à la tête du Fonds monétaire international. Elles s’appellent Jade, Florence, Marie-Anne, Aurélie, Mounia…
C’est à partir du téléphone portable de l’entrepreneur béthunois, Fabrice Paszkowski, utilisé par l’ancien patron du FMI depuis Washington que les policiers ont pu recenser ces filles. Toutes n’ont pas encore été identifiées et interrogées. Le grand ami nordiste de DSK, interpellé et mis en examen pour « proxénétisme aggravé en bande organisée », avait remis ce téléphone aux policiers. Égaré par Fabrice Paszkowski lors d’une rencontre galante qu’il avait organisée pour son ami Dominique avec quatre femmes à l’hôtel Murano, à Paris, en février 2011, ce téléphone fut ramassé sur place par DSK, qui l’utilisera pendant trois mois pour joindre Fabrice Paszkowski et organiser ses escapades, certes légales, mais dont il paraît toutefois n’avoir assumé aucun des frais financiers. Un point auquel s’intéressent les deux juges d’instruction chargés de l’affaire. Proxénétisme, recel d’abus de biens sociaux…, les deux magistrats essaient de réunir sur ces deux points le maximum d’éléments avant l’audition de l’ancien patron du FMI, qui pourrait avoir lieu, selon nos informations, sous le régime de la garde à vue, et non sous celle de l’audition directe. Prévue en décembre puis déplacée en janvier, l’audition de DSK pourrait être de nouveau reportée.
Tenue par les poignets
En effet, les policiers de la PJ de Lille chargés de démêler les entrelacs du « réseau lillois » soupçonné de fournir en prostituées DSK, mais aussi certains notables du Nord, doivent désormais vérifier s’il n’existe pas des réseaux satellitaires. Maîtres Sorin Margulis et Pierre Mainville sont les avocats de Dominique Alderweireld, alias Dodo la Saumure, le tonitruant patron de maisons closes belges, qui a été libéré mardi dernier. Ils assurent depuis des mois que leur client n’a aucun rapport avec l’affaire du Carlton, même si le parquet de Lille comme celui de Courtrai confirment qu’un lien existe entre les volets belge et français. À ce titre, une coopération d’enquête a été mise en place entre les services de police des deux pays. Néanmoins, il apparaît aujourd’hui que seules deux ou trois prostituées fréquentant les établissements de Dodo la Saumure semblent avoir eu des relations tarifées avec DSK à Paris ou à Washington. Les autres faisaient-elles partie d’un autre « réseau » ? Étaient-elles des électrons libres ? C’est ce que les policiers cherchent à savoir.
Début décembre, une certaine Anne-Marie S., une escort girl belge récemment identifiée, a fait part de ses états d’âme sur P-V aux policiers belges et français. La prostituée qui a participé à une partie fine tarifée à l’hôtel W de Washington, début 2010, s’est plainte d’avoir subi une relation sexuelle brutale avec DSK alors que David Roquet, co-organisateur du voyage et directeur d’une filiale de l’entreprise de BTP Eiffage, lui tenait les poignets. Une prestation pour laquelle l’escort girl aurait dit ne pas être consentante et qui se serait déroulée, selon elle, sous les yeux du commissaire divisionnaire Jean-Christophe Lagarde, l’ancien patron de la sûreté urbaine de Lille, mis en examen dans l’affaire du Carlton pour « proxénétisme aggravé en bande organisée et recel d’abus de biens sociaux ». « J’ai été payée pour venir, mais pas pour subir ça. L’escorting pour moi, ce n’est pas ça. J’ai toujours eu affaire à des gentlemen », a-t-elle confié aux enquêteurs. Déjà auditionnée comme témoin, le 14 novembre, Anne-Marie S. était réentendue par les enquêteurs pour obtenir « des précisions sur le rôle des policiers dans le cadre de l’affaire ». Elle a notamment mentionné qu’une autre escort girl belge, Aurélie D., également présente dans la chambre, avait interpellé les trois hommes en leur disant que Marie-Anne ne faisait pas ce genre de prestation et qu’il manquait un accessoire. Accessoire que l’un des protagonistes se serait empressé d’aller chercher.
« Rapports brutaux »
Une version contestée par Aurélie D. qui a affirmé sur P-V qu’Anne-Marie S. avait le choix de refuser cette prestation et de quitter la chambre. Aurélie a par ailleurs affirmé que l’ancien patron appréciait les rapports virils sans pour autant violenter les filles. Une version confirmée par Jade, une autre prostituée belge en goguette à Washington. Toujours est-il qu’Anne-Marie S. n’a pas souhaité déposer de plainte malgré la sollicitation des policiers. Quant au juge d’instruction, Stéphanie Ausbart, elle aurait estimé qu’il n’y avait pas matière à poursuite. Anne-Marie, qui travaillait par téléphone ou Internet, a expliqué qu’elle avait été présentée à DSK par David Roquet, l’ancien salarié d’Eiffage mis en examen pour « proxénétisme aggravé ».
Dans l’affaire du Carlton, Anne-Marie S. n’est pas la première prostituée à évoquer une relation sexuelle brutale avec DSK. Avant elle, Mounia, une ex-prostituée française de 37 ans ayant participé à une partie fine avec DSK au printemps 2010, à l’hôtel Murano, à Paris, avait déjà décrit des « rapports brutaux », précisant : « Il ne m’a pas violentée, mais on sentait qu’il aimait les rapports de force. » Une autre prostituée, la propre compagne de Dodo la Saumure, s’était également plainte d’un rapport brutal dans les toilettes de L’Aventure, un restaurant chic du 16e arrondissement de Paris. Ce qu’a confirmé Dodo la Saumure lors de son audition en décembre dernier. « Elle m’a juste confié après l’avoir rencontré que ça s’est mal passé », a-t-il dit. Pour autant, aucune des trois prostituées n’a déposé de plainte contre l’ancien patron du FMI.
« Petites sauteries »
A contrario, dans le dossier, d’autres escort girls, comme Aurélie, Jade ou Florence, contestent toute brutalité de la part de l’ancien patron du FMI. Ainsi, Florence, 30 ans, qui aurait rencontré DSK, il y a six ans, par l’intermédiaire de Fabrice Paszkowski, évoque de « petites sauteries qui sont des moments agréables qui payent bien ». La « libertine » en a comptabilisé onze au total, sur six ans. « J’ai compris qu’ils (Paszkowski et DSK) faisaient d’autres après-midi où je n’étais pas conviée. J’ai conclu qu’ils voulaient des filles différentes régulièrement », a-t-elle raconté aux policiers. « Dans ces soirées, toutes les filles passaient par DSK », poursuit-elle, précisant que celui-ci se montrait « surtout intéressé par les nouvelles venues ».
Devenue escort girl par nécessité financière, cette « libertine » aurait ainsi partagé 2 400 euros avec une amie pour trois jours passés à Washington en mai 2010 et 1 600 euros pour les après-midi à Paris. Des rencontres toujours payées en liquide. DSK savait-il que Florence et les autres étaient rémunérées pour leurs prestations ? Non, ont répondu David Roquet et Fabrice Paszkowski. « Une seule fois, je me suis aperçue, à Bruxelles, qu’il (Fabrice Paszkowski, NDLR) parlait aux autres de ma rémunération », a reconnu Florence. Me Henri Leclerc, l’avocat de Dominique Strauss-Kahn, avait affirmé que son client « pouvait parfaitement ignorer » que les femmes rencontrées lors de soirées libertines étaient des prostituées, ajoutant que rien ne venait prouver sa « culpabilité » dans l’affaire du Carlton.
Selon le conseil de DSK, « dans ces soirées, on n’est pas forcément habillé. Et je vous défie de distinguer une prostituée nue d’une femme du monde nue », avait déclaré Me Henri Leclerc.
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