Notre vieux politicien constitue vraiment un problème pour le pays. Un très grand problème au point que nombre d’observateurs et d’acteurs politiques envisagent tous les scénarii possibles, y compris pour lui trouver une porte de sortie honorable. C’est ainsi que le Pr Abdoulaye Bathily, invité de l’Émission « Le grand Jury » de la Rfm, a fait une proposition qui a suscité de nombreuses réactions. Il a déclaré exactement ceci : « Si Abdoulaye Wade dit solennellement qu’il est d’accord pour retirer sa candidature à l’élection du 26 février 2012, nous serons prêts à examiner les conditions pour lui permettre de partir en paix et en beauté. » Ce n’est pas la première fois d’ailleurs qu’une telle proposition est avancée.
Le Pr Bathily est l’un des Sénégalais qui connaissent le mieux Me Wade. Il sait parfaitement que le vieux président n’acceptera jamais une telle proposition et s’accrochera au pouvoir jusqu’à son dernier souffle. Il est surtout convaincu que le Sénégal, dans son écrasante majorité, n’acceptera jamais un deal qui devrait permettre au vieux politicien de quitter le pouvoir sans aucune égratignure. Il a dû certainement faire sa déclaration pour montrer à quel point la candidature du président sortant constitue une menace pour notre pays et mérite qu’on mette tout en œuvre pour la conjurer.
Le Pr Bathily sait en particulier, plus que tout le monde, qu’il est trop tard pour le vieux politicien de sortir par la grande porte. Il a accumulé tellement de forfaitures que même sortir par la plus petite des fenêtres serait un trop grand privilège pour lui. Passer l’éponge sur ces forfaitures relèverait d’une forfaiture plus grave encore. Ce serait un précédent particulièrement dangereux, une sorte de feu vert avant la lettre aux nouveaux gouvernants comme pour leur dire : « Dilapidez les fonds publics, enrichissez-vous autant que vous pouvez ! Á l’heure des comptes, il vous sera offert une sortie honorable ! » Ce serait surtout une prime insoutenable à l’impunité que nous passons le plus clair de notre temps à combattre.
Qui peut envisager, en effet, un seul instant, passer l’éponge sur la rocambolesque rénovation de l’avion présidentiel qui a englouti 10, 20, 30 milliards ou peut-être plus et dans la plus grande opacité ? Sommes-nous prêts à oublier ce gros mensonge d’État qui nous a fait croire que cette opération n’avait pas coûté un seul franc au contribuable sénégalais, et que c’est un ami qui préférait garder l’anonymat qui l’avait financée ? Nous savons, depuis le livre d’Abdou Latif Coulibaly (« Me Wade, un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ? ») et l’aveu même du vieux président, que l’opération en réalité a coûté au moins deux dizaines de milliards.
Nous n’allons pas, non plus, oublier facilement que l’opposant Wade était accusé d’avoir commandité l’assassinat de Me Seye, qu’il a été blanchi faute de preuves suffisantes et que, une fois au pouvoir, il s’est empressé de poser trois actes particulièrement suspects et troublants : la grâce accordée aux trois assassins, la scélérate Loi « Ezzan » qu’il a inspirée et qui les blanchissait comme des toor toor, le dédommagement en sourdine et à coup de centaines de millions de la famille du juge défunt, alors que l’État n’était en rien en cause. Par ces actes, il s’est comporté comme celui qu’on accuse de sorcellerie et qui se cure les dents avec des jambes de nourrissons. Qui peut se permettre d’assurer une sortie honorable à cet homme dont tout indique aujourd’hui qu’il est fortement impliqué dans l’assassinat du très pieux et très débonnaire juge Seye, s’il n’en a pas été carrément le commanditaire ?
Sans doute, l’homme constitue-t-il un vrai problème et une grosse menace pour notre pays. Pour autant, faut-il fermer les yeux sur la gestion calamiteuse de ses fonds spéciaux abondamment alimentés par des fonds diplomatiques et autres aides budgétaires qu’il ramenait de ses nombreux voyages ? Nous avons beau être amnésiques comme le pensent l’homme et son fils héritier, nous n’allons quand même pas oublier aussi facilement que, avant le 19 mars 2000, les fonds spéciaux (comprenant les fonds politiques, les fonds secrets et le fonds d’aide à l’Unité africaine) votés par la Loi de Finances se situaient autour de 640-650 millions de francs Cfa alors que, les seuls fonds secrets de notre vieux politicien sont passés, grâce à une loi rectificative votée en juin 2010 (voir « L’AS » du 4 juin 2010), de 9,895 milliards à 16, 895 milliards soit, d’un coup, une hausse de 7 milliards ! Qu’a-t-il fait de tous ces milliards et des nombreux autres qui ont transité par ses fonds spéciaux ? Lui et son ancien Ministre d’État, Directeur de cabinet de l’époque qui en assurait la gestion, nous doivent une réponse claire à cette question-là, et à bien d’autres d’ailleurs.
On peut se poser la même question concernant les centaines de milliards d’autres qui ont été gérés dans la plus grande discrétion et dans la plus grande opacité au Projet de Construction d’Immeubles administratifs et de Réhabilitation du Patrimoine bâti de l’État (Pcrpe) domicilié à la présidence de la République pendant neuf ans, et que le vieux « pouvoiriste » s’est empressé de dissoudre pour effacer toutes traces compromettantes (voir décret n° 2009-1253 du 11 novembre 2009). Le 29 décembre de la même année, il met en place sa propre commission de liquidation.
Qui ose prendre la lourde responsabilité d’aménager une porte de sortie honorable, une seule porte de sortie à ce président dont tout indique qu’il a détourné les 15 millions de dollars de Taïwan, pourtant destinés à la réalisation de projets sociaux au Sénégal ? Ce même président qui a fait « don » au gouvernement sénégalais de 7 milliards de francs Cfa, qu’il aurait encore reçus des mêmes amis qui « préfèrent garder l’anonymat » ! Il s’agit bien des fameux 7 milliards qui auraient été distribués à des ministres triés sur le volet. Nous avons quand même le droit d’exiger de l’homme qu’il nous dise enfin qui sont ces généreux amis, quels sont les ministres bénéficiaires du généreux « dons » et quels projets ils ont réalisés avec les sommes reçues !
Nous savons aussi que le vieux politicien est d’une injustice flagrante et qu’il n’a d’yeux et d’oreilles que pour les hommes et les femmes de son camp, ainsi que pour les compatriotes qui sont susceptibles, par leurs fonctions, de l’aider à garder le pouvoir le plus longtemps possible et, le moment venu, à le laisser à son fils chéri. Par sa générosité déferlante, sélective, politicienne et électoraliste, il trahit tous les jours le serment qu’il a prêté devant Dieu et devant les hommes au moment de son installation officielle comme président de la République. Il incarne tout sauf l’unité nationale. Il est tout sauf le Père de la Nation. Comment peut-il octroyer à une catégorie de fonctionnaires une indemnité qui double, triple, voire quadruple le salaire d’autres fonctionnaires de la même catégorie, de la même hiérarchie, qui ont fait exactement le même nombre d’années après le baccalauréat ? C’est cette injustice flagrante, ce penchant morbide à accorder des avantages exorbitants sur la base du simple yaa ma neex, c’est-à-dire à la tête du client, qui explique les grèves cycliques de revendications d’avantages matériels qui secouent tous les secteurs de la vie nationale.
Qui ose pardonner à l’homme sa gestion catastrophique de nos terres, de « ses » terres ? Il a distribué sans état d’âme toutes nos réserves foncières, tout le domaine maritime, à des compatriotes déjà fort nantis, dont nombre d’entre eux ont déjà plusieurs maisons et plusieurs parcelles de terrains : officiers supérieurs et généraux des Forces de Sécurité, magistrats, chefs religieux, ministres, députés, sénateurs, membres de sa propre famille, etc. Certains des bénéficiaires vendent immédiatement leurs parcelles, au prix de dizaines de millions de francs Cfa.
L’un des aspects les plus nocifs de sa gestion de nos terres, de sa boulimie foncière à nulle autre pareille, c’est le monstrueux montage financier de son monument dit de la Renaissance africaine. Il devra nous expliquer un jour où sont passés les dizaines de milliards de reliquat de la vente des 30 hectares, qu’il a mis gracieusement à la disposition de ce transhumant qui fait partie de ceux et de celles qui ont le plus bénéficié de l’alternance. Nous avons aussi le droit savoir à quel titre et dans quelles conditions il a octroyé une autre partie importante des terrains de l’Aéroport international de Dakar, à cet autre compatriote qui y a érigé des villas somptueuses, dont le prix est hors de portée de l’écrasante majorité des Sénégalaises et des Sénégalais.
Des dizaines d’autres milliards nous sont passés par le nez. Ce sont notamment ceux qui seraient dépensés à l’occasion du Festival mondial des Arts nègres (Fesman) dont il nous assurait – encore –, qu’il ne nous coûterait pas beaucoup d’argent, puisque les participants se prendraient en charge. Á l’arrivée, il nous aurait coûté au moins 40 milliards, auxquels l’État a du mal à faire face. Ce Fesman a été surtout pour lui une aubaine, l’occasion inespérée de viabiliser son grand terrain de Ngor, au frais du contribuable. Pour trois milliards, avancent certains observateurs. Bien plus, affirment d’autres. Là aussi, nous avons le droit de savoir.
Allons-nous enfin faire table rase de la déclaration gravissime que notre politicien pur et dur a faite à Touba, à deux jours du Grand Magal de 2012 ? Sous d’autres cieux, cette déclaration aurait peut-être provoqué des affrontements sanglants entre confréries. Heureusement que chez nous, les chefs de confréries sont à la hauteur de leurs missions. Ils savent que ce qui les unit est bien plus important que ce qui pourrait les diviser, qu’ils constituent une même famille. Grâce doit être rendue à leur sang froid et à leur sens élevé des responsabilités.
Ces forfaitures que nous venons de passer en revue ne sont qu’une goutte d’eau dans l’immense océan des scandales de l’infecte gouvernance des Wade. Ce que nous en savons est infime par rapport à ce que nous en ignorons. J’en ai rappelé un certain nombre, des plus significatifs, dans mon dernier livre. Les Wade sont d’ailleurs si conscients de la gravité de leurs forfaits que, s’il leur était donné de choisir entre la mort et la perte du pouvoir, ils opteraient sûrement pour la mort. Il faudrait donc plus que la croix et la bannière, plus que des piques et des pelles pour les jeter par la fenêtre. Il nous incombe le devoir de faire montre d’une grande détermination, pour faire face à toutes les stratégies diaboliques qu’ils sont en train de mettre en œuvre pour prolonger leur détestable gouvernance. Nous n’avons aucun autre choix que de nous serrer les coudes et de nous battre pour que le vieux politicien ne se présente pas, de nous battre avec la dernière énergie pour le vaincre si, d’aventure, les membres du Conseil constitutionnel prenaient la lourde responsabilité de valider sa candidature inédite.
Ce serait, par contre, une forfaiture, une capitulation que de lui aménager une porte de sortie de quelque façon que ce soit. En douze ans de pouvoir sans partage, l’homme nous a fait mal, très mal. Il a dilapidé sans état d’âme nos maigres ressources nationales, abîmé nos institutions et piétiné nos valeurs. Il doit payer pour ses forfaits. Si, malgré son âge avancé, l’audit de sa gestion confirme ce que nous savons et révèle ce qui est caché, il doit être puni à la hauteur de ses fautes. La prison n’est pas faite pour les hommes ou les femmes, pour les jeunes ou pour les vieux, pour les riches ou pour les pauvres. Elle est faite pour les délinquants, quels que soient par ailleurs leurs sexes, leurs statuts, leurs âges, etc. Le président Jacques Chirac est vieillissant et malade. Malgré tout, le Tribunal correctionnel de Paris l’a sévèrement condamné, pour des fautes qui sont une peccadille, comparées aux forfaitures de notre vieux politicien.
Nos différents candidats à l’élection présidentielle du 26 février 2012 doivent se définir clairement par rapport au sort qui sera réservé aux délinquants que l’audit de la gestion des Wade et de leur clan ne manquera sûrement pas épingler. J’en entends qui prennent souvent la précaution d’avancer qu’ils ne feront pas la chasse aux sorcières, qu’ils ne règleront pas des comptes. Il ne faut pas avoir peur des mots. Si des audits mettent en évidence des délits graves, des crimes, il faut punir sévèrement les délinquants. S’il se trouve qu’il existe parmi nous des sorcières, il ne faut pas hésiter à les débusquer et à les brûler vives. Dans une société civilisée et démocratique, il n’y a pas de place pour des sorcières.
Mody Niang, e-mail : [email protected]