Franco-sénégalais, ancien président de SOS Racisme, Fodé Sylla a été amené à côtoyer, tout au long de son parcours, le président sénégalais. Aujourd’hui, il l’appelle à retirer sa candidature et demande l’ouverture d’un dialogue national. Interview.
Fodé Sylla est franco-sénégalais. Ancien président de SOS Racisme, dont il dirige désormais la Fédération internationale, et ancien député européen, il est aujourd’hui en charge du Développement durable au sein d’Areva pour l’Afrique. Il conseille également la République sénégalaise pour les énergies renouvelables.
Dans votre livre « L’Enfant noir de la République » (éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2011), qui retrace votre parcours, vous racontez que vous avez été amené à côtoyer le président sénégalais Abdoulaye Wade. Quelle image de lui retenez-vous ?
– Lorsque Abdoulaye Wade et Landing Savané ont été emprisonnés en 1993 sous la présidence de mon ami Abdou Diouf, je suis intervenu avec d’autres militants des droits de l’homme pour demander leur libération. En tant que Sénégalais, engagé à gauche, j’ai vu évoluer Abdoulaye Wade dans l’opposition pendant 26 ans. J’ai vu comment, en se faisant élire, porté par son slogan « sopi », qui signifie « l’alternance » en wolof, il a fait entrer à grands pas le Sénégal dans la démocratie. Ceux de ma génération y ont cru et on n’a pas le droit de nous décevoir.
Enfin, en août dernier, il m’a demandé d’aider le Sénégal à se doter d’une centrale solaire. J’ai accepté cette mission, car elle rejoignait le travail que j’effectuais déjà au sein d’Areva et correspondait à mes préoccupations personnelles : le combat pour l’accès à l’eau et aux énergies renouvelables pour les populations du Sud. Mais, malgré la volonté du président, des cercles d’influence gravitant dans son entourage ont tout fait pour empêcher ce projet de voir le jour. C’est ainsi que j’ai pu mesurer l’érosion de son pouvoir. Ne leur en déplaise, je continuerai de me mettre à disposition des Sénégalais pour faire aboutir ce projet.
Quel regard portez-vous sur la crise politique que traverse le Sénégal ?
– Mon combat a toujours été en faveur des droits humains. Je ne peux qu’être indigné par les images qui nous proviennent du Sénégal. Elles sont inquiétantes, choquantes, elles font honte à la démocratie sénégalaise. On compte déjà quatre morts, dont un policier, depuis le début des manifestations, pourtant pacifiques et légitimes. La riposte des forces de l’ordre est totalement disproportionnée. A l’évidence, vu la façon dont ces élections sont engagées, la situation ne peut aller que de mal en pis.
Ce troisième mandat que brigue Abdoulaye Wade est celui de trop. On ne peut que douter de la légalité de cette candidature quand on voit que le Conseil constitutionnel non seulement l’a validée alors que 10 constitutionnalistes sur 11 l’avaient jugée illégitime, mais qu’il a en outre rejeté la candidature de Youssou Ndour, sur le prétexte qu’il n’aurait pas recueilli les 10.000 signatures de soutien nécessaires. C’est difficile à croire pour un chanteur aussi célèbre, capable à chaque concert de rassembler des milliers de personnes. Ce troisième mandat est contesté aussi par le Mouvement du 23 juin, dont c’était le rôle de surveiller la validité du processus, et, surtout, par la population.
Mais cette candidature pose également une question d’ordre éthique. Abdoulaye Wade aurait aujourd’hui 88 ans [officiellement, il aurait 86 ans, NDLR] et on voit mal comment on pourrait lui donner un autre septennat. Le Sénégal est plein de jeunes talentueux qui peuvent lui insuffler un nouveau dynamisme. Il faut qu’il y ait un renouvellement générationnel. Ce pays, qui compte tant de jeunes, ne saurait avoir à sa tête le président le plus âgé du monde. Abdoulaye Wade est un homme qui a plein de qualités. Il n’empêche, il est arrivé à l’heure où il faut savoir se retirer.
Vous pensez qu’il est encore temps pour lui de renoncer ?
– S’il se retirait maintenant, il pourrait même sortir par la grande porte. J’ai pu constater, lors de mes allers-retours sur ma terre natale, tout ce qu’il a réalisé en 12 ans de pouvoir. Ce qu’il a accompli pourrait rester dans les mémoires s’il partait aujourd’hui. Il pourrait apparaître comme le garant d’élections libres, transparentes et démocratiques. La grande maturité des opposants sénégalais rend ce scénario possible.
Au lieu de prendre le risque de voir son propre parti, le PDS, s’éroder (ce qui n’est pas exclu, comme le montre le cas de son ministre d’Etat Abdou Fall, qui a quitté le parti), et de préparer la défaite de son camp, Wade pourrait présenter un autre candidat et renouveler ainsi les générations. Cela permettrait d’ouvrir un véritable dialogue national, que j’appelle de mes vœux.
Ce dialogue est d’autant plus nécessaire que prendre, comme c’est le cas aujourd’hui, la population en étau entre des manifestations légitimes et un président qui s’accroche au pouvoir conduit à la paralysie du pays. Pire, il risque d’embraser le Sénégal. Et ceux qui vont en pâtir ce seront les Sénégalais.
Propos recueillis le jeudi 2 février 2012
Nouvelobs