La confusion régnait, jeudi 1er avril, en Guinée-Bissau après ce qui semble être une tentative de coup d’Etat. Le premier ministre, Carlos Gomes Junior, a été arrêté vers 8 heures par des soldats qui l’ont emmené vers un camp militaire. « Très tôt ce [jeudi] matin, des jeunes soldats sont sortis des casernes, principalement de l’état-major, pour procéder à l’arrestation du premier ministre », a déclaré une source militaire qui s’exprimait sous le couvert de l’anonymat.
Le sort de Carlos Gomes Junior restait encore très flou dans l’après-midi. Selon les agences AP et Reuters, il aurait été libéré vers 11 heures. « Le premier ministre a été libéré et s’entretient actuellement avec le président », a déclaré à Reuters le responsable du service de presse du chef du gouvernement. Mais selon l’AFP, il aurait été conduit dans sa résidence et placé sous surveillance militaire. Le calme régnait à Bissau, la capitale, où quelques banques et magasins ont cependant fermé.
De son côté, le chef d’état-major resterait toujours retenu par les mutins, tout comme quarante officiers. La radio nationale a interrompu ses programmes pour diffuser de la musique militaire, et des soldats étaient visibles jeudi matin autour des casernes. Le président Malam Bacai Sanha, qui a regagné son pays début février après un traitement médical en France, ne semble pas être concerné par ces incidents. Il a ainsi assuré que la situation était « calme » dans son pays, invoquant une « confusion entre militaires », selon la radio portugaise Antena 1.
Une version des faits reprise par le nouveau chef des forces armées, le général Antonio Indjai, à la tête des mutins. « Les forces armées bissau-guinéennes tiennent à informer l’opinion nationale et internationale que les événements survenus ce jeudi matin sont un problème purement militaire qui ne concerne donc pas le pouvoir civil en place », a affirmé le général Indjai dans un communiqué. « Toutefois, l’armée réitère son attachement et sa soumission au pouvoir politique. Les institutions militaires restent et resteront soumises aux pouvoir politique », conclut le texte, lu à la radio nationale.
Plus tôt dans la journée, le général Indjai avait menacé lors d’une conférence de presse de « tuer » le premier ministre si ces « attroupements » de sympathisants ne cessaient pas. Par la suite, il avait annoncé sa volonté de « juger » le premier ministre, comme un « criminel ».
Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées dans la matinée devant le siège du gouvernement à Bissau pour exiger la libération du premier ministre, surnommé « Kadogo ». « Libérez Kadogo, nous en avons assez des violences ! », scandaient les manifestants, pour la plupart des sympathisants du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (au pouvoir, ex-parti unique).
UN PAYS MARQUÉ PAR L’INSTABILITÉ POLITIQUE
Cette arrestation est intervenue peu après l’irruption dans le bureau des Nations unies d’un groupe de militaires venus libérer l’ancien chef de la marine nationale. Celui-ci avait trouvé refuge auprès de l’ONU en décembre 2009 après avoir été soupçonné de tentative de coup d’Etat en 2008. Les Nations unies et le gouvernement de Bissau avaient conclu en janvier un accord qui prévoyait que l’ancien chef de la marine serait remis aux autorités bissau-guinéennes, mais il était demeuré à l’intérieur de la représentation de l’ONU. Celui-ci est par ailleurs soupçonné d’être un des principaux soutiens des trafiquants de drogue qui gangrènent le pays.
La France, par la voix de Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, a dénoncé un « coup d’Etat ». « Ce n’est pas une bonne nouvelle, il y a eu un coup d’Etat – supplémentaire si je peux me permettre », a déclaré le ministre. « Nous sommes un peu inquiets de ce qui s’y passe. Pour le moment nous n’avons pas de nouvelles précises des gens qui y ont été arrêtés », a ajouté Bernard Kouchner, précisant qu' »apparemment, l’armée a pris le pouvoir ». Le Portugal a « condamné avec véhémence » les troubles et appelé au « retour immédiat » de l’ordre constitutionnel dans son ancienne colonie. La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a condamné des « tentatives de déstabilisation ».
L’ancienne colonie portugaise d’Afrique de l’Ouest, voisine du Sénégal, a été marquée par l’instabilité politique depuis son indépendance en 1974, avec une série de coups d’Etat. L’armée est très influente dans ce petit pays ravagé par une guerre civile à la fin des années 1990 et au centre de trafics de drogue. En mars 2009, le président Joao Bernardo Vieira, élu en 2005, a été tué par des militaires à Bissau, quelques heures après l’assassinat du chef d’état-major. L’actuel président bissau-guinéen, Malam Bacai Sanha, 62 ans, a été soigné pendant plusieurs semaines, notamment à Paris, à la fin de 2009.
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