«Le bon maçon se voit au pied du mur», a-t-on coutume de dire. Le bon démocrate se voit à l’épreuve du pouvoir, peut-on renchérir. Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, arrivé au pouvoir grâce à une envie de changement manifeste au sein de la jeunesse, est en passe d’écrire une page sombre de l’histoire de son pays.
Bénéficiaire de l’alternance au sommet de son pays, il s’érige aujourd’hui en bourreau de cette valeur démocratique éprouvée. On a souvenance du vieux sage qui ne manquait aucune occasion pour prodiguer des conseils, des recettes de démocratie et de bonne gouvernance. Aujourd’hui, on peine à reconnaître en Abdoulaye Wade cet homme qui, au plus fort des récentes crises ivoirienne et libyenne, s’est érigé en donneur de leçons.
En effet, il avait conseillé à l’ex-président Gbagbo, alors largement contesté, d’avoir l’élégance de l’ex-président Diouf en se retirant des affaires. Elégance pour élégance, Wade devrait en toute sagesse s’appliquer, à lui-même, ses propres conseils. Car, comme il l’avait si bien dit, droit dans les yeux, à Mouammar Kadhafi au moment du conflit libyen, on pourra retourner à Wade son invité:
«Plus tôt tu partiras, mieux ça vaudra».
Le président-candidat Wade doit comprendre que les conseils, surtout s’ils sont sages comme ceux qu’il avait prodigués à ses pairs en difficulté, ne sont pas faits que pour les autres. Les leçons de démocratie et d’alternance ne valent pas que pour ses pairs. Il devrait savoir donner l’exemple. A l’épreuve de la tentation du pouvoir, Wade a plus que jamais l’occasion d’appliquer ses préceptes, de démentir ceux qui l’ont, jusque-là, pris pour un rigolo.
La jeunesse se soulève
Il ne devra pas se réfugier derrière ce juridisme étroit si cher aux dirigeants sous nos cieux, juridisme qui ne s’embarrasse pas de désacraliser nos constitutions au gré de leurs humeurs. Du reste, le passé récent de certains pays africains confirme, si besoin en était encore, que ce qui est légal n’est pas forcément légitime. Ce qui doit prévaloir dans une loi, surtout quand son interprétation fait l’objet de contestations, c’est l’esprit qui la sous-tend. Cela est notoire.
Le juriste Wade le sait sans aucun doute. Il se souvient de ses leçons de droit comme probablement des engagements qu’il a pris devant les Sénégalais et qui sont restées lettre morte à l’instar de sa promesse de ne pas s’accrocher au pouvoir. De toute façon, la grandeur consiste aussi à pouvoir renoncer à des avantages même si on estime y avoir droit, si cela sème le trouble et la mort d’innocentes personnes.
En Afrique, vieillesse rime le plus souvent avec sagesse. Et on y croit volontiers, et, en paraphrasant Jean de la Fontaine, on peut dire qu’a beaucoup appris, quiconque a beaucoup vu. Mais tel ne semble pas le cas chez Gorgui.
En réponse à ses contempteurs et à tous ceux qui lui demandent d’une manière ou d’une autre de ne pas mettre à mal la démocratie de son pays, il n’hésite pas à brandir, entre autres, le fait d’avoir de nombreux partisans.
Comme si Kadhafi, Gbagbo et bien d’autres dirigeants qu’il n’a eu de cesse de décrier lui-même, n’en avaient pas eu. Triste aveuglement. A présent, le Sénégal tangue comme un bateau ivre, conséquence de l’attitude d’un donneur de leçons pris à défaut. Les jeunes qui avaient fait le succès de Wade en 2000 contestent pour une large part son envie de rempiler pour un autre mandat à la tête de l’Etat.
Le collectif «Y en a marre» en est le porte-drapeau. Le pays n’est pas habitué à ces violences de rue auxquelles on assiste. Les Sénégalais n’ont pas une culture politique violente et c’est l’un des rares motifs d’espoir face à cet engrenage dans lequel Wade et son camp ont poussé le pays.
Wade salit l’image du Sénégal
L’image de la démocratie sénégalaise, et partant du Sénégal, est écornée. En tout état de cause, ce qui se passe actuellement ne fait pas honneur à Wade, encore moins à son régime. Et pourtant, ce ne sont pas les modèles de sagesse qui lui manquent.
A l’autre bout du continent, Nelson Mandela, affectueusement appelé Madiba, a donné une leçon à l’humanité malgré tout le mal qu’il a enduré au plus fort de l’apartheid. Il aurait pu régner sur la République sud-africaine à vie. Il y a renoncé et ce faisant, il a ouvert largement le chemin de la démocratie et de la stabilité à son pays. C’est cela la sagesse au sens le plus noble du terme.
A l’intérieur même du Sénégal, Senghor a quitté le pouvoir à un moment où rien ne l’y obligeait et Diouf, n’eût été sa sagesse, aurait pu s’y accrocher. Avec la tension qui monte et la liste des morts qui s’allonge, on ne peut plus être serein sur l’avenir du pays.
Qu’il y ait élection ou pas, la quiétude n’est plus de mise. Quand on pense qu’il aurait suffi d’un brin de sagesse à ce donneur de leçons pour éviter tout cela… Virus du pouvoir, quand tu nous tiens!
avec Le Pays