Mamadou Dieng, Président du Mouvement Arc-en-ciel sur la défaite de Wade : « …le Président était perçu comme un « gaspilleur d’argent »

1. Le soir du 25 mars a été un coup de tonnerre pour le camp du Président Wade dont vous faîtes partie. Comment avez-vous vécu la défaite que vous n’attendiez pas ?

Mamadou Dieng : Moi je n’étais pas surpris par le résultat des urnes. Mais l’ampleur de la défaite, oui ! Rappelez-vous que c’est dans vos colonnes que j’avais annoncé « apocalypse now ». Si vous vous souvenez bien, j’avais déjà dit en janvier que « c’est le Pds qui allait tuer le Pds ». Mais plutôt que de m’écouter, les libéraux ont tenté de me sanctionner en m’excluant du comité électoral de Thiès. J’ai d’ailleurs dit à Farba Senghor lorsqu’il était venu au Sénat que les faits allaient dire qui a raison. Résultat des courses : Abdoulaye Wade 34%, Macky Sall 26%, Idrissa Seck 7%. Donc, si on ne s’était pas chamaillé, le Pds gagnait au premier tour avec 67%. C’est peut-être parce que j’avais raison avant tout le monde, que j’ai considéré la défaite comme une délivrance. Je sais moi, que j’ai fait honnêtement tout ce qui était en mon pouvoir pour faire gagner Wade, contrairement à ceux qui « mangeaient » son argent.

2. Mais qu’est ce qui n’a pas vraiment marché selon vous ?

Il y a eu d’abord beaucoup de comédie autour du candidat. D’abord cette histoire de « ma carte, ma caution » était de la pure arnaque parce que tout le monde savait que ce n’était pas les femmes qui achetaient les cartes. Il y a eu ensuite le rôle pernicieux de l’argent. En effet, le Président était perçu comme un « gaspilleur d’argent », avec les millions qu’il distribuait à tort et à travers alors que les populations se débattaient dans des problèmes de survie au quotidien. J’ai une fois assisté à une bagarre devant le Palais pour une histoire de « passe », cet argent que le Président donnait pour disait-on, rembourser le billet de transport. Tout ça donnait une image très négative de notre candidat. Il y a enfin que le Président s’était arrangé pour se taper tout le monde sur le dos : la presse, la classe politique, la société civile, même les rappeurs étaient contre lui. Maitre Wade avait ouvert beaucoup trop de fronts pour s’en sortir. Mais je crois que nous avons surtout perdu les élections le 23 juin quand le peuple est sorti comme jamais auparavant, pour faire reculer Wade sur cette histoire de vice-présidence qu’il préparait pour son fils Karim. Le 23, c’était le tournant mais il n’y avait personne pour comprendre.

3. Au lendemain de sa défaite, le Président Wade a dit avoir libéré tous ses alliés…

Ce n’était pas une parole très utile parce qu’il savait bien que ses alliés n’ont jamais servis à grand-chose au Pds. C’étaient souvent des coquilles vides que trainait le Professeur Iba Der Thiam sous le vocable de Cap 21. Mais ce qui intéressait le Pds, c’était de dire que « nous avons 98 Partis avec nous ». Abdoulaye Faye a même dit à Maître Wade qu’il y avait 925 mouvements de soutien avec lui et quand le Président leur a donné 100 millions selon plusieurs sources, il a remis 70 000 francs à chacun. Je peux vous dire que les gens étaient très fâchés et qu’aucun de ces mouvements n’a voté pour le candidat Wade ni au premier, ni au second tour. Donc si le Président Wade dit qu’il les a libérés, il faut qu’il comprenne que ceux qui sont représentatifs étaient déjà partis.

4. Le Pds traverse actuellement la pire crise de son existence avec les départs et les défections, qu’en pensez-vous ?

Le Pds va se décomposer si Maître Wade ne comprend pas qu’il a perdu le pouvoir et que son temps aussi est fini. Ces histoires de véhicules et de moyens qu’il promet ne serviront à rien. Ce Parti ne peut pas continuer à fonctionner comme avant, avec lui « comme seule constante ». Cette théorie ne marche plus. Wade a construit un grand Parti qui a pu conquérir le pouvoir et ça, l’histoire le retiendra toujours. Mais il l’a lui-même gangréné. Figurez-vous qu’au Pds tout le monde est chef, comme dans une armée mexicaine, comme le Député Abdoulaye Dramé lui avait dit en face. Le Pds a donc besoin de faire sa mue avec des hommes porteurs d’avenir, pour construire d’abord une discipline interne et se refaire ensuite auprès de l’opinion publique qui a une très mauvaise image du Parti.

5. …Mais ces hommes porteurs d’avenir, c’est qui ?

Je mets en tête Pape Diop qui est l’héritier naturel par son parcours et par la considération que lui valent les libéraux. Vous savez, j’ai été pendant plusieurs année à côté de cet homme, je sais qu’il a beaucoup fait pour les militants du Pds. Apparemment le Président Wade pense à quelqu’un d’autre, mais je crois que c’est une erreur. Il y aura des départs importants et successifs.

6. Vous pensez que les libéraux « fâchés »transhumeront à l’Apr…

Mais la famille naturelle de Macky Sall c’est le Pds, même s’il peut ruminer encore des colères légitimes contre certains de ses « frères ». Que les responsables de l’Apr ne se fassent pas d’illusion, ils n’ont pas encore de majorité. Leur potentiel, c’est le score du premier tour. Le raz de marée du second tour est une sanction contre Abdoulaye Wade. Moi je leur conseille en toute amitié, que quand tout se tassera, « d’aller faire leur marché » au Pds. C’est la première cible. « Benno Book Yakaar » n’était qu’un instrument de conquête du pouvoir, mais on gouverne avec ses amis.

7. Quel sera l’avenir du Mouvement « Arc-en-ciel », après avoir cheminé plusieurs années avec le Parti Démocratique Sénégalais ?

« Arc en ciel » de toute façon ne peut plus rien construire avec le Pds. Pour nous, c’est une page tournée. Nous avons tenu une Assemblée générale et nous avions décidé de geler nos activités politiques et nous recentrer dans les activités citoyennes, mais je signale que nous sommes actuellement très sollicités par différents Partis pour constituer une coalition pour les législatives. Ces sollicitations m’ont énormément fait plaisir parce cela montre que notre travail a été reconnu par la classe politique. Suivez bien, il y aura des développements ces jours-ci. 8. Donc vous vous allez aux élections législatives ? Nous irons aux législatives mais nous ne pouvons pas le faire sous la bannière de « Arc en ciel ». Nous sommes une Association certes reconnue avec un récépissé, mais pour des élections, il faut un Parti politique et 20 millions de francs. C’est pourquoi nous pensons aller en Alliance avec quelqu’un qui a un Parti et les moyens. D’ailleurs si Macky Sall pouvait porter la caution à 5 millions, ce serait bien.

9. Après avoir servi Wade, Mamadou Dieng est-il prêt à soutenir la politique de Macky Sall à la tête du Sénégal ?

Je pense qu’il faut d’abord laisser le Président Macky Sall et ses partisans savourer une victoire qu’ils ont bien méritée et mettre en place leur équipe. Je l’ai d’ailleurs félicité pour sa brillante élection. De toute façon, je connais très bien le nouveau Président parce qu’il a présidé pendant plusieurs années la Cellule initiatives et stratégies du Pds dont j’étais membre actif. J’ai été son proche collaborateur et je pense que nous nous apprécions bien, même s’il y a eu quelques incompréhensions entre nous du fait de NDiogou Wack Seck. Le journaliste avait d’ailleurs finalement reconnu ses erreurs de jugement sur ma personne quand je l’avais rencontré dans son local des Hlm Nimzatt. Aujourd’hui Macky Sall est Chef d’Etat, je peux donc bien me mettre à son service mais à condition qu’il me le demande. Je vous révèle d’ailleurs que Pape Diop me dit toujours « ton ami », quand il me parle de Macky Sall.

10. Sur les premiers pas du Gouvernement : les audits, les caisses de l’Etat vides…

Les audits, il n’y a rien de plus normal quand on prend un Etat en charge, avec toutes ces rumeurs sur l’argent qu’on donne à des lutteurs, des Marabouts, etc… Il n’y a donc que ceux qui ont des cadavres dans des placards qui ont des soucis à se faire. Je pense qu’il faut attendre encore que les choses soient en place pour juger. En tout cas moi, je jugerai le Gouvernement de Macky Sall sur des faits et non sur des préjugés.

Source : Direct Info