C’est à Joal, sur la Petite côte, que Yakhya Diop Yékini a vécu son enfance, privé d’un père, mais entouré d’un amour maternel sans faille. Le roi des arènes s’est forgé pendant ces années de privation et s’est sans doute appuyé sur son passé pour construire son présent doré. A moins d’une semaine de son grand combat contre Balla Gaye 2, EnQuête est retourné sur les pas de Yakhya Diop.
Joal, une chaleur accablante règne en cette matinée d’avril. Cette petite commune de la côte, où les bâtisses sont pratiquement toutes à l’ancienne, offre un cadre accueillant et très familial. Un cadre idéal qui a vu naître et grandir Yakhya Diop. Aujourd’hui, la mauvaise nouvelle circule en quatre roues ; une voiture klaxonne à travers le village pour annoncer le décès d’un ancien lutteur de Joal. Robert Diouf, ancienne gloire et conseiller spécial de Yékini, est aux obsèques. L’absence de l’homme très respecté par Yékini annonce que la chasse aux infos sur l’enfance du roi ne sera une partie de plaisir. Tout, ou presque, est verrouillé autour de l’empereur des arènes. Cap chez Philomène Ndiaye, la fille de Robert Diouf. C’est une jeune femme au physique impressionnant, teint noir, et à la joie de vivre débordante. Philomène et Yékini jouaient ensemble, quand ils n’étaient que de jeunes enfants innocents, ignorants tout de la vie. »Si je vous dis quoi que ce soit, il me tue, dit Philomène dans un éclat de rire contagieux. Yakhya venait souvent à la maison jouer avec mes frères et moi, sous la supervision de ma mère Hélène. Enfant déjà, il avait du caractère à revendre et ce qui me marque le plus chez lui, c’est que malgré tout le succès qu’il a, il n’a changé en rien. À chaque fois qu’il nous voit, c’est la même chose, on s’amuse, on se taquine, on rigole ensemble ». Robert Diouf, croisé le lendemain, confirme : »Yakhya venait jouer chez moi jusqu’à très tard dans la nuit, avant de rentrer retrouver sa mère. Il revenait toujours le lendemain et il arrivait qu’il lutte avec mes fils, c’était un de leur jeu favori ».
Fils de Daba Diouf
Les parents de Yékini sont nés à Bassoul, derrière Fadhiouth, mais pour des raisons professionnelles, ils se sont installés à Joal. C’est là-bas que sont nés tous leurs enfants. Le père de Yakhya Diop, Mamadou, était un homme respecté, il était un grand maître d’école coranique. Quand il est décédé, Yékini savait tenir à peine sur ses deux pieds. Il n’avait que deux ans, et n’a pas eu le temps de le connaître. Tout ce qu’il sait de lui, ce sont ses archives, des photos, des bagages qu’il avait laissé, et les gens à qui son père à tout enseigné de la vie. Ils sont nombreux. Oustaz Diop les a éduqués, leur a appris la vie, et leur a même cherché des épouses, et aidés à construire des maisons. C’est mère Daba Diouf qui s’est chargée donc de jouer le rôle d’une mère et d’un père pour Yékini. Elle a pris en charge et soutenu ses enfants quand son mari a quitté ce monde. Tout ce que le père a appris à ses enfants, Daba Diouf s’est évertuée à l’apprendre à Yékini. Elle a tenue coûte que coûte à ce que Yékini maîtrise le Coran, c’était le vœu le plus cher de son père avant qu’il ne meurt. Par la volonté de sa mère une Fata fata (une lignée maternelle réputée très mystique), Yékini a pu ainsi acquérir une culture de la vie. Yékini a démarré l’apprentissage du Coran à Joal, dans l’école coranique de Oustaz Guèye, où il a pu décrocher son certificat arabe, en compagnie de quatre autres élèves seulement. C’est ainsi qu’il quitte Joal pour aller continuer ses études à Médina Baye, à Kaolack. Il y est resté jusqu’en classe de première, avant de quitter Kaolack, pour aller faire la Terminale à Dakar. Premier tournant de sa vie. Lorsque sa famille traverse d’énormes difficultés financières, Yakhaya est obligé d’arrêter ses études pour revenir au village aider sa mère à joindre les deux bouts. C’est ainsi qu’il devient pêcheur et passe toutes ses journées à la mer.
Libero
Avant d’être assidu à la lutte, Yakhya Diop a été un fan du ballon rond. Il était le libero de l’équipe de navétane Thiossane de Joal. »Au sein même de notre groupe de jeunes, on avait une équipe qui s’appelait »Nélaw door » (gagner même en dormant). On collectionnait des pots de lait qu’on gagnait dans les partie de foot », raconte Pape Cissé, ami d’enfance de Yékini et notre guide dans la recherche d’informations sur l’enfance du roi des arènes. »On pensait qu’il allait réussir dans le foot et aller en Europe jouer dans les clubs les plus huppés », raconte toujours un Pape Cissé nostalgique. Yakhya était un très bon footballeur, et croyait en faire un métier. C’est d’ailleurs à cause de cela qu’on l’a surnommé Yékini, en hommage à Rachid Yékini, joueur de football emblématique du Nigéria. »Même quand on jouait un match de foot entre quartiers à Joal, il prenait les choses tellement au sérieux et tellement à cœur que cela rendait la tâche difficile pour ses coéquipiers. C’est cela sa nature, il n’aime pas tricher, et n’aime pas perdre. Il a toujours été rigoureux, sérieux et réglo. Il recadrait tout et tout le monde et à toujours était un fédérateur. Il est toujours comme cela. Il est resté lui même malgré le succès. Quand il est à Jaol, il continue de manger avec ses amis d’enfance, de jouer avec eux. Il est véridique et sait où il va, l’argent ne lui est pas monté à la tête et ne l’a pas changé.
Lutteur comme son oncle
Par le plus pur des hasards Yékini est devenu lutteur. Un jour où il débarque à Bassoul pour rendre visite à ses grands parents. Sur place, il assiste à un tournoi de lutte. Un étranger s’amusait à terrasser tous les champions du village. N’en pouvant plus de voir cet inconnu battre les siens un à un, Yékini lui lance un défi à la surprise générale, alors qu’il n’était encore qu’un frêle jeune homme, qui n’avait jamais pratiqué la lutte. Il terrasse pourtant l’étranger d’une manière spectaculaire. Les anciens y voient un signe et lui conseillent de suivre cette voie, comme son oncle lutteur qui n’a jamais connu de défaite de toute sa carrière. Il commence alors à fréquenter les tournois de lutte simple organisés à Joal, et par la suite dans tous les villages environnants. Il lui arrivait de se lever à l’aube et de marcher des kilomètres pour aller participer à un tournoi de lutte simple, par faute de moyens pour payer le billet de transport. La lutte devient alors une passion pour Yékini. Il oublie ses ambitions de devenir un professionnel du foot européen. Il ne vivait plus que pour la lutte.
Un autre caractère de Yékini, nous renseigne Pape Cissé, »c’est qu’il ne tend jamais la main pour demander quoi que ce soit à qui que ce soit, il préférait marcher des kilomètres. Arrivant dans les villages fatigué, il dormait avant le début des compétitions ». Tout ce qu’il gagnait dans ces tournois, Yékini le partageait avec ses compagnons et sa mère. C’est ainsi que Yakhya remporte plusieurs drapeaux, dans plusieurs coins du pays (une soixantaine,) ainsi que beaucoup de tête de bétail. Il construit sa première maison à Joal, une magnifique demeure qu’il offre à sa maman. Yékini remporte le premier tournoi de Ndef Leng et participe à plusieurs tournois prestigieux comme le drapeau du chef de l’État. Il intègre l’équipe nationale de lutte du Sénégal en 1997 et en fût capitaine en 1999. Deux médailles d’or plus tard et un trophée du meilleur lutteur en 2001 au tournoi de lutte traditionnelle de la CEDEAO de Niamey (Niger), il claque la porte de la sélection. Cette énième distinction en terre africaine signe en effet la fin de l’aventure de Yékini en équipe nationale, par manque de considération et de reconnaissance des autorités sénégalaises à l’endroit des combattants nationaux. Par la suite, il se consacre uniquement à sa carrière en lutte avec frappe. Les débuts furent difficiles, car les lutteurs le fuyaient. Il lui est même arrivé de demander à ce qu’on lui paie un cachet inférieur. Mais aujourd’hui, c’est lui qui définit ses cachets et ses adversaires. La rançon du champion.
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