Le président Macky Sall a bouclé son premier mois de gouvernance. Personne ne s’aventurerait à le juger en un laps de temps aussi court. Ce n’est en tout cas pas l’objet de cette contribution. Cependant, on peut d’ores et déjà se permettre d’apprécier les premières mesures qu’il a prises. Le proverbe wolof ne nous enseigne-t-il pas qu’avec les premiers effluves qui nous parviennent de la cuisine, nous pouvons nous faire une idée de la qualité du mets qui s’y prépare ?
Le président Sall a ainsi nommé un gouvernement de 25 membres, comme il s’y était engagé. Il ne s’en est malheureusement pas arrêté là et a nommé, en plus, deux ministres d’État et surtout de nombreux ministres conseillers spéciaux. N’est-il pas parti d’ailleurs, à ce rythme, pour égaler son prédécesseur ? Ce serait bien dommage ! En tous les cas, il a pris ou annoncé d’autres mesures : suppression de la classe affaire pour les membres du gouvernement et réduction de leurs voyages, remise en cause des redécoupages politiciens et électoralistes de certaines collectivités locales, baisse de certaines denrées de première nécessité, audit de la gestion de deniers publics à tous les niveaux où ils étaient gérés, baisse de l’impôt sur les salaires dès janvier 2013, augmentation de 10 % des pensions des retraités de l’Ipres, etc. Il convient de signaler aussi ses trois premiers voyages avec des délégations restreintes, sa discrétion par rapport à la télévision, sa volonté de redonner au palais de la République son lustre d’antan. Ces mesures doivent être encouragées et soutenues, même si le rythme de mise en œuvre de certaines d’entre elles peut paraître plus ou moins lent.
Il a présidé le Conseil des ministres du jeudi 26 avril 2012, qui a pris 52 mesures individuelles dont l’essentiel (46) touche l’administration territoriale. Á cet égard d’ailleurs, un quotidien a titré : « Macky corrige les impairs ». Je crois humblement qu’il faut relativiser : il s’est agi d’abord, en réalité, de remplacer des gouverneurs, préfets et sous-préfets admis à faire valoir leurs droits à une pension de retraite depuis plusieurs mois et de pourvoir à des postes vacants. De nombreuses autres mesures étaient simplement des redéploiements.
En particulier, certaines de ces mesures rappellent trop les pratiques de l’ancien régime. C’est notamment le cas quand des enseignants (instituteurs, professeurs), des agents techniques de l’agriculture, des eaux et forêts, de l’élevage, des infirmiers, etc, sont nommés adjoints de préfets, sous-préfets, adjoints de sous-préfets. Au cours de ce Conseil du 26 avril, le président de la République a même nommé Sous-préfet un maître d’éducation physique et sportive. Ces nominations ne devraient pas survivre à la gouvernance des Wade. L’enseignement a surtout besoin de ses instituteurs et professeurs expérimentés qui servent dans l’administration territoriale. La Section B de l’École nationale d’Administration peut former suffisamment de secrétaires d’administration, qui seraient mieux indiqués pour être nommés aux fonctions d’adjoints aux préfets, de sous-préfets et d’adjoints aux sous-préfets.
Deux autres nominations du Conseil du 26 avril ont retenu mon attention. Il s’agit d’abord de celle de Monsieur A. S. D., Commissaire aux Enquêtes économiques, en qualité de Directeur du Commerce intérieur. L’homme a bien le profil de l’emploi. Ce qui pose problème, c’est que cette nomination ne confirme pas exactement l’engagement du candidat Macky Sall à mettre en place une gouvernance sobre, vertueuse et efficace, ni sa volonté de réduire de façon drastique le train de vie de l’État. Dans cette perspective, un Directeur du Commerce ferait l’affaire. La direction comporterait deux divisions : une division du Commerce intérieur et une division du Commerce extérieur. Chaque division serait dotée de suffisamment de moyens matériels, humains, financiers et logistiques.
Nous devons rompre avec la pratique de « saucissonnage » des structures administratives de l’ancien régime, sous-tendu par la seule préoccupation de « récompenser », de donner des sinécures. C’est ainsi qu’au Ministère de l’Éducation nationale, la Direction des Constructions et de l’Équipement scolaires a été scindée en deux : une Direction des Constructions et une Direction de l’Équipement scolaires. On peut donner aussi l’exemple, parmi de nombreux autres, de quatre directions: Direction de l’Assainissement rural et Direction de l’Assainissement urbain, Direction de l’Hydraulique urbaine et Direction de l’Hydraulique rurale. Pour une raison d’efficacité et d’économie, elles pourraient être fondues en deux : Direction de l’Assainissement et Direction de l’Hydraulique.
Une autre mesure qui surprend, qui me surprend, c’est la nomination de la dame T. D. F., sociologue de son état, semble-t-il, en qualité de Directrice générale l’Agence nationale de la Petite Enfance et de la Case des Tout Petits (ANPECTP). C’est d’abord l’existence même de cette agence qui pose problème. Comme nombre d’autres agences, elle constitue presque une coquille vide. Elle n’est pas viable, elle n’a pas sa raison d’être. Elle devrait être purement et simplement fondue dans la Direction de l’Éducation préscolaire du Ministère de l’Éducation nationale qui prend en charge la petite enfance (les enfants âgés de 0 à 5 ans) dans les écoles maternelles. Cette Agence a été créée, pour la première fois, pour trouver un strapontin à Mme Ndèye Khady Diop, qui venait d’être virée du gouvernement. Il fallait la contenir, puisqu’elle était considérée comme une pánk, une terrible battante. Pour illustrer encore à quel point cette agence est une grosse farce, rappelons qu’à l’occasion du remaniement-réaménagement ministériel du 10 mai 2011 (décret n° 2011-618), Mme Ndeye Khady Diop, redevenue entre temps ministre, a été sévèrement rétrogradée pour se retrouver avec un squelettique Ministère : celui de la « Petite Enfance ». Un des six décrets signés par le vieux président politicien entre le 10 et le 16 mai 2011, et qui dépouillaient les uns et renforçaient les autres, lui ajoutait « l’Enfance ». Ministre de « l’Enfance » et de la «Petite Enfance » ! Quelle cocasserie ! La «Petite Enfance » est quand même partie intégrante de « l’Enfance » ! Une autre cocasserie, c’est que ce ministère squelettique allait cohabiter avec l’Agence nationale de la Petite Enfance et de la Case des Tout Petits, en même temps que la Direction de l’Éducation préscolaire du Ministère de l’Éducation nationale.
Voilà les incohérences que le président Macky Sall et son gouvernement devront éviter, s’ils ne veulent pas nous donner l’impression de prolonger les tares de leurs prédécesseurs. L’ANPECTP est, avec les bassins de rétention, l’une des plus vastes escroqueries de la gouvernance de l’ancien vieux président. Ce dernier se proposait, en 2000, de construire 44000 cases des tout petits dans les villes comme dans les villages les plus reculés. Selon son dernier décompte, il en était à 220, dont quelques-unes, dotées de salles de jeux et d’ordinateurs, servaient à abuser ses hôtes étrangers. C’est à la tête de l’Agence qui « gère » ces 220 maigres cases des tout petits que le Conseil des Ministres du 26 avril a nommé une directrice générale, que la presse présente comme « la coordonnatrice des élèves et étudiants de l’Alliance pour la République », « l’inconditionnelle » de Macky Sall. Elle en serait donc à sa première fonction. De quelle expérience se prévaut-elle pour être bombardée – c’est le mot utilisé par un quotidien – à cette fonction ? En quoi la toute jeune promue pourra-t-elle faire avancer le système éducatif ? Combien va-t-elle coûter au contribuable sénégalais, avec ses collaborateurs et les locaux qui abritent la fameuse agence ?
Ces questions méritent d’être posées, sur cette agence comme sur de nombreuses autres qui n’ont été créées que pour trouver des sinécures à une clientèle politique. On en compterait plus de 50 aujourd’hui, dont certaines frisent carrément le ridicule. C’est notamment le cas de l’Agence nationale des nouveaux chemins de fer – quels nouveaux chemins de fer ? – et de l’Agence nationale de la Maison de l’Outil. « Mais, c’est quoi au juste la Maison de l’Outil, Maître ? », s’était demandé avec raison, « Le Populaire » du vendredi 9 juillet 2010. Le plus insoutenable encore, c’est que, à la tête de ces agences budgétivores qui n’apportent aucune plus value au développement du pays, le vieux président nommait, non pas des directeurs, mais des directeurs généraux. Un directeur général est normalement assisté d’un ou de plusieurs directeurs. Ces agences bénéficiaient, en plus, de l’autonomie dans la gestion de leur budget. Parents, amis, militantes et militants libéraux, recommandés de chefs religieux, etc, y percevaient des salaires sans commune mesure avec leur maigre profil. Dans toutes ces structures, c’était donc la bamboula et leurs actes de mauvaise gestion étaient étalés au quotidien dans la presse écrite et orale. Pour permettre au lecteur de se faire une idée sur les nominations à la tête de ces agences, je lui propose ces quelques mesures individuelles prises lors du Conseil des Ministres du jeudi 4 novembre 2010 :
• Monsieur A. S., Enseignant-chercheur, est nommé Directeur général de l’Agence nationale des Écovillages au Ministère des Écovillages, des Bassins de rétention, des Lacs artificiels et de la Pisciculture, en remplacement de Monsieur A. L. ;
• Monsieur M. D., Enseignant-chercheur, est nommé Directeur général de l’Agence nationale de l’Aquaculture au Ministère des Écovillages, des Bassins de rétention, des Lacs artificiels et de la Pisciculture en remplacement de Monsieur A. W. ;
• Monsieur Y. L., Ingénieur des Eaux et Forêts, est nommé Directeur général des Bassins de rétention et des Lacs artificiels au Ministère des Écovillages, des Bassins de rétention, des Lacs artificiels et de la Pisciculture en remplacement de Monsieur M. T.
Ces grands directeurs généraux (dont j’ai préféré ne pas décliner carrément les noms et prénoms) ont été donc nommés au niveau du curieux « Ministère des Écovillages, des Bassins de rétention, des Lacs artificiels et de la Pisciculture ». Où sont les bassins de rétention, les lacs artificiels et les activités de Pisciculture qui justifient autant d’agences ridicules et de nominations de directeurs généraux ? On constate les mêmes nominations à la tête de conseils d’administration taillés sur mesure. La nomination la plus cocasse à ce niveau, c’est sans conteste celle de ce président des « jeunes wadistes » (Mamadou Mansaly), à la tête du Conseil d’administration de la Société des Infrastructures de réparations navales (Sirn). L’homme, exclu dès la 4ème de l’Enseignement moyen, a fait sans succès la 3ème dans un collège privé.
De nombreux autres exemples se bousculent dans ma tête. Je terminerai par les nominations au poste de Secrétaire général de ministère. Ce très haut fonctionnaire, l’un des plus gradés, des plus compétents et des expérimentés de sa hiérarchie, est nommé à ce poste stratégique pour de longues années : il est la mémoire du ministère dont il assure la permanence et la continuité des services. Quand le département change de titulaire, il accompagne le nouveau ministre tout le temps nécessaire pour le familiariser avec ses nouveaux dossiers. Il est surtout, il convient de le rappeler, caractérisé par sa stabilité. Ce haut fonctionnaire ne devrait pas être n’importe quel agent qu’on affecte à tout bout de champ et à la moindre incartade. On ne devrait pas non plus en rencontrer dans tous les ministères, y compris des plus insignifiants et surtout à durée de vie très limitée. Ce qui était souvent le cas avec la gouvernance des Wade qui en ont usé et abusé.
Au moment où les Socialistes quittaient le pouvoir le 19 mars 2000, seuls trois ministères en étaient dotés : le Ministère des Affaires étrangères, le Ministère de l’Éducation nationale et le Ministère de l’Économie et des Finances. Aujourd’hui, cette importante fonction est galvaudée. Chaque nouveau ministre s’empresse de nommer un Secrétaire général, sans se soucier le moins du monde de son profil. Pendant tout le magistère du vieux président, nous avons assisté régulièrement à des valses de Secrétaires généraux, dont la majorité trouverait difficilement un poste de conseiller technique dans un gouvernement normal.
Cette modeste réflexion à laquelle je viens de me livrer, ne saurait être considérée comme une levée de boucliers contre toutes les nominations du président Macky Sall. Le 25 mars 2012, il a été démocratiquement élu. La Constitution lui reconnaît le pouvoir de nommer à tous les emplois civils et militaires. Cependant, en tant que citoyens, nous avons, nous aussi, un droit de regard sur la manière dont il conduit les affaires publiques de notre pays, et d’apprécier ses actes par rapport à ses engagements. Il s’est engagé, en particulier, à restructurer l’administration sénégalaise et, notamment, à diminuer de façon drastique le nombre des agences nationales. Certaines nominations à la tête de ces structures me semblent inopportunes et prématurées.
Sans doute, est-il l’objet de multiples sollicitations. Sans doute, pourrait-il être tenté de « récompenser » les premiers compagnons. Malheureusement, tous les prétendants à des postes ne peuvent pas être servis. Le président Sall n’a surtout pas été élu pour « récompenser » des compatriotes en particulier, même si on peut comprendre qu’il trouve des « stations » à certains d’entre eux. Tous les hommes et toutes les femmes qui ont contribué à son élection méritent une récompense. Le seul moyen – juste et démocratique – dont il dispose pour satisfaire presque tout le monde, c’est de gouverner conformément à ses engagements, c’est-à-dire dans la sobriété, la vertu, la transparence, l’efficacité et la justice.
Dakar, le 2 mai 2012
Mody Niang, e-mail : [email protected]
Restructurer et rationaliser d’abord, nommer ensuite. Par Mody Niang
Date: