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Grand-Entretien avec le Pr Abdoulaye Bathily: « Le pouvoir utilise la fête de l’indépendance pour magnifier son régime »

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A chaque fois qu’on reçoit le professeur Abdoulaye Bathily, on est frappé par la pertinence de son argumentaire et son sens de l’humour. Exclu du Prytanée militaire pour fait de grève, il obtient son baccalauréat avec la mention bien en tant que candidat libre. On lui refuse la bourse, il s’inscrit à l’Université de Dakar où son engagement dans le mouvement étudiant lui a valu deux fois la prison et un service militaire obligatoire. Aujourd’hui, le professeur d’histoire fait partie des icones de la lutte pour la démocratie au Sénégal. Avec la rédaction de la Gazette, dans une ambiance décontractée, le secrétaire général de la Ligue démocratique revient, dans cette première partie de l’interview, sur le rôle de la gauche dans le processus démocratique des indépendances jusqu’à l’avènement de l’alternance au Sénégal. Malheureusement, l’alternance est dévoyée aujourd’hui par l’homme Abdoulaye Wade que Bathily considère comme « un cas typique de reniement de soi ». Par ailleurs, le leader de la Ld soutient que l’anniversaire des 50 ans d’indépendance devrait être un moment de réflexion pour aller de l’avant.

Quel bilan dressez-vous après cinquante ans d’indépendance ?

Malheureusement au niveau de l’Afrique, il n’y a pas de quoi pavoiser. On doit tout faire sauf fêter ce cinquantenaire. Au contraire ça doit être un moment pour engager une réflexion sereine et approfondie sur les conditions dans lesquelles nous sommes arrivés à l’indépendance, de revoir la trajectoire que nous avons suivie. Quand on regarde le bilan des pays africains on se rend compte que nous n’avons pas bougé. Pour le cas du Sénégal qui est le pays le plus aidé de l’Afrique du Sud du Sahara, nous avons été portés à bout de bras par la communauté internationale. Une sorte de prime à la démocratie, à la stabilité. Malgré tout, l’ensemble des paramètres de notre développement montre toujours une situation de dépendance. En substance on peut dire que les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs.

Vous avez pris part à plusieurs combats pour la démocratique. Etes-vous déçus par la situation actuelle du pays ?

Pour des gens de ma génération, nous ne pouvions pas nous attendre à un tel résultat cinquante ans après l’indépendance. Je suis arrivé au Prytanée militaire de Saint-Louis en septembre 1959. C’était une école multinationale recevant 200 élèves, les meilleurs de toute l’AOF. Il comptait une vingtaine de Sénégalais. J’ai vécu le mouvement pour l’indépendance avec nos camarades des autres colonies. J’ai défilé en tant qu’enfant de troupe, le 11 décembre 1959, jour où le Général De gaulle est arrivé à Saint-Louis, en temps que président du Conseil exécutif de la communauté franco-africaine. A cette occasion les présidents de conseil de gouvernement de tous les territoires se sont réunis à Saint-Louis. Ces événements nous les avons vécus intensément, parce que nous avions le sentiment de vivre une page historique des peuples d’Afrique. Ce fut un basculement de l’histoire.

En 1960, les peuples africains ont pris leur indépendance. Nous sommes allés dans la Fédération du Mali qui s’est très vite écroulée. Première déception politique ! L’épisode Modibo Keïta – Senghor nous l’avons vécu directement au Prytanée militaire avec nos camarades soudanais. C’était la montée des micro-nationalismes. Puis, arrive la dissolution du Parti africain de l’indépendance (PAI) qui a pris une part importante à notre accession à l’indépendance. Cette dissolution du PAI est suivie d’une vague d’arrestation des militants et des tortures dont certains en garderont toujours des stigmates. Ensuite vient l’épisode Senghor –Dia en 1963, reflux de l’histoire. Là aussi nous l’avons vécu directement puisque Mamadou Dia avait été instituteur au Prytanée, appelé à l’époque école militaire préparatoire. C’est pourquoi, il était très attaché à cette école. Une semaine avant les événements de 63 il devait nous rendre visite. Donc nous étions très intéressés par le cours de ce bras de fer. Petit à petit la ferveur née de l’indépendance s’est estompée à la faveur de ces crises répétitives. L’indépendance n’a pas été un fleuve tranquille du point de vue des événements politiques. Ce à quoi nous avons assisté était une sorte de transfert de compétence entre le pouvoir colonial et une partie de l’élite sénégalaise qui s’est emparée du pouvoir sans disposer de cohérence interne et de projet politique très clair. A l’exception de Mamadou Dia, les autres dirigeants n’avaient pas de projets différents de celui des colons. La première décennie de l’indépendance a été l’expression d’une indépendance de façade avec le drapeau national, l’hymne national, mais dans la dépendance totale vis-à-vis de la colonisation. C’est pourquoi, Mai 68 a été pour nous un combat pour tenter de reprendre en main la lutte pour l’indépendance.

Les 50 ans de l’indépendance devraient être une bonne occasion pour réfléchir sur les fautes qui ont été commises et qui ne nous ont pas permis de manger à partir de notre production nationale. Notre industrie est en-deçà de ce qu’elle était avant 1960. Les statistiques montrent que les pauvres sont plus nombreux au Sénégal. Au lieu de célébrer les 50 ans d’indépendance par des festivités, on devait saisir l’occasion pour approfondir la réflexion. Cela n’a aucun sens d’organiser ces manifestations. Aujourd’hui, certains présidents africains veulent utiliser ces 50 ans d’indépendance pour détourner les budgets octroyés à ces célébrations afin de financer leur campagne électorale. Au Sénégal, le pouvoir en place utilise les festivités pour magnifier son régime : « Oui ! Avant, ça n’allait pas, mais maintenant ça va ! », disent-ils.

Est ce que le monument de la renaissancene marque – t-il pas une nouvelle étape dans le processus de développement de l’Afrique ?

Je disais que le monument de la Renaissance est celui de la régression africaine. Il symbolise tout ce que l’Afrique a fait de mauvais depuis 1960, en terme de pouvoir personnel, de détournement de deniers publics avec le montage financier qui a été fait pour construire ce projet, la démesure d’un homme, la soif d’éternité pour un pouvoir. Tous les aspects négatifs de la gouvernance africaine se retrouvent dans ce monument. C’est tout comme l’alternance, je ne vois pas ce qu’il y a à célébrer. En 2003, certain de nos camarades étaient encore dans le gouvernement, quand Abdoulaye Wade nous a conviés à célébrer le troisième anniversaire de l’alternance. La Ld s’y était opposée. J’avais dit à Wade que l’organisation de manifestations pour célébrer l’alternance n’avait pas de sens. Cet argent pouvait servir à aider les milliers de Sénégalais qui n’ont pas accès à l’eau potable. Les 100 millions qui vont servir à organiser un meeting peuvent construire un forage. Aujourd’hui, on annonce des milliards pour les festivités de l’indépendance. C’est toujours la même chose, on annonce des projets pour capturer les ressources financières de l’Etat afin d’en faire une autre utilisation.

D’aucun disent que la gauche est morte au Sénégal, est-ce votre sentiment ?

On ne peut pas dire que la gauche est morte ! La gauche, c’est des idées, des principes et des valeurs. Il ne faut pas confondre les principes, les valeurs avec les organisations qui les portent. Ces organisations dites de gauche peuvent connaitre une ascension ou atteindre un déclin mais, fondamentalement, ces idéaux et ces valeurs de gauche sont bien présentes dans la politique. Au Sénégal, ces valeurs de la gauche sont portées par des forces politiques, des forces sociales et même par des individus. Maintenant, dans la trajectoire de l’histoire du Sénégal, il y a eu de multiples organisations qui ont porté ces idéaux de la gauche. Il y a eu le Parti de la renaissance africaine (Pra)-Sénégal à travers les Abdoulaye Ly, Assane Seck, Amadou Makhtar Mbow. Ensuite, il y a eu le mouvement Pai avec ses multiples ramifications qui, aujourd’hui, sur le plan politique ont donné naissance au Pit (parti de l’indépendance et du travail), à la Ligue démocratique (Ld) et à And Jef Pads (Parti africain pour la démocratie et le socialisme). Aussi, y a-t-il d’autres organisations qui sont porteuses d’un idéal et des valeurs de gauche et qui influencent de manière importante la trajectoire du peuple sénégalais. D’ailleurs, quand on parlera d’Alternance, vous verrez que ces organisations ont joué un rôle important. Et aujourd’hui, encore, nous essayons de pousser en avant.

Etes-vous d’accord, aujourd’hui, que la gauche en tant qu’entité ne porte plus les préoccupations sociales ? A-t-il laissé le combat social au profit du combat politique ?

Vous savez, au moment du parti unique, les organisations de gauche n’étaient pas autorisées à fonctionner politiquement. Nous avons vécu clandestinement mais avec l’avènement de la légalité, on donne l’impression de quelqu’un qui travaille plus politiquement que socialement. Mais, tous ceux qui ont travaillé et appartenu à la gauche participent toujours au mouvement social. Jusqu’à présent, vous les retrouvez dans le mouvement syndical, associatif et dans la société civile. Seulement, il y a une division des tâches dans les organisations politiques. Certains s’investissent sur le front social, d’autres sur les fronts culturel et civil. Tandis que d’autres occupent purement et simplement le combat politique.

Peut-on donc dire que la gauche a échoué ?

Non du tout, on n’a pas échoué ! L’échec, c’est quoi ? Par quoi mesurez-vous l’échec ?

Les partis de gauche n’ont jamais été au centre de la politique de façon décisive, la preuve, vous avez même élu un libéral en 2010… L’histoire du Sénégal est courte. De 1960 à nos jours, seuls deux partis sont arrivés au pouvoir : l’Union progressiste sénégalaise (Ups) devenu Parti socialiste et le Pds (Parti démocratique sénégalais) futur Pdsl (Parti démocratique sénégalais libéral) ! Le Sénégal n’a connu que trois présidents de la République. Il n’y en a pas eu dix, ni quinze. Donc, si vous jugez par cela, vous pouvez parler d’échec, mais l’échec c’est dans la durée qu’on l’évalue. Du point de vue de l’apport dans le processus démocratique, on ne peut pas parler d’échec.

L’Union progressiste sénégalaise (Ups) est venue au pouvoir par un processus de fusion et d’absorption, avec notamment le Pra-Sénégal qui a intégré l’Ups sans changer de sigle. Les éléments de la gauche, à un moment donné, suite à l’emprisonnement de certains d’entre eux, ont décidé de fusionner avec le pouvoir. Quand on évoque la lutte pour l’indépendance, ces forces-là ont joué un rôle essentiel que cela soit dans le mouvement syndical ou dans la lutte politique. Amadou Moctar Mbow a été le fondateur de la Fédération des étudiants d’Afrique noire et il fut son premier président en 1950. Cette Fédération a joué un rôle important dans le processus d’émancipation politique des peuples d’Afrique noire sous domination française. D’autres sur le front syndical, Abdoulaye Thiam, Madia Diop, Thierno Ba, etc.

Dans cette première période marquée par le parti unique, la gauche a lutté pour la démocratie. C’est pourquoi, je ne peux pas accepter qu’on dise que la gauche a échoué. Elle a porté tout le poids de la lutte pour le pluralisme politique et le pluralisme syndical. Pour cela, nous avons payé un prix très fort. La plupart des leaders de gauche ont fait la prison. Moi, j’ai fait sept fois la prison. D’autres ont eu des blessures physiques, des familles ont été disloquées, mais le prix de cela, c’est le multipartisme.

Maintenant, si vous entendez par succès le fait de porter quelqu’un au pouvoir, ce n’est pas encore arrivé. Mais, si on mesure le succès à l’aune des transformations que ce pays a connu depuis 1960, la gauche a joué un rôle essentiel. Dans mon ouvrage, Mai 68, la révolte universitaire et la démocratie, j’ai essayé de montrer la trajectoire qui a mené à cette crise et comment à partir de cette grande révolte contre le système du parti unique, le pouvoir s’est adapté. La pression continuant, il a été obligé de céder.

Si la gauche n’est pas morte, qu’est-ce qui en reste aujourd’hui ?

Aujourd’hui, on ne peut pas dire que la gauche est absente. Voyez le processus de l’alternance, peut-être que nous avons pris un candidat qui n’était pas de la gauche. Mais, on était devant un système bloqué pendant quarante ans. Contre ce système, nous avons consenti des sacrifices énormes, la gauche globalement et le Rnd de Cheikh Anta Diop. Tous, nous avons combattu un système quarantenaire et à un moment donné, nous avons mis en place une stratégie d’alliance pour faire partir ce système. Bien entendu, nous n’avons pas eu accès au processus politique légal très tôt. Ensuite, les partis de gauche ont une particularité, ils n’ont pas les moyens des autres partis. Quand le Président Senghor a décidé de faire le multipartisme sous la pression des luttes, il disait : « Je suis d’accord pour le multipartisme. J’ai constaté qu’au Sénégal, de manière ininterrompue, il y a trois courants de pensée : Il y a les social-démocrates, c’est moi, un courant gauche-marxiste, c’est le Pai de Mahmouth Diop, un courant libéral : Abdoulaye Wade. » Et à l’époque, ce sont ces deux partis qui se sont partagé la scène politique sénégalaise avec l’appui de l’extérieur. La fondation Frederick Neumann a soutenu le Pds et la fondation Frederick Hebert soutenait ouvertement le Ps, qui, avait aussi les moyens de l’Etat. Pendant les élections, le Ps avait comme faire valoir dans l’opposition le Pds, parce qu’il ne voulait pas que la gauche nationaliste représentait par le Rnd de Cheikh Anta Diop émerge. Ils ont combattu la gauche et Cheikh Anta et magnifié le Pds. Et cela nous a amené aux élections de 1978, 1983, 1988, 1993 où le Pds avait plus de voix que les autres partis à cause de ce passé électoraliste et des soutiens intérieur et extérieur. Donc, quand il fallait choisir un candidat en 1999, de manière objective, nous avons dit, après une analyse de la situation, qu’il fallait être dans une stratégie d’alliance politique pour déboulonner le système du Ps. Il fallait rassembler toutes les forces. C’est cela qui nous a amené à choisir le candidat libéral, Abdoulaye Wade.

Compagnon de Wade, pionnier de l’alternance qui fête ses 10 ans ce 19 mars, comment Wade a fait pour se débarrasser des ces alliées de 2000, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Moustapha Niass … ? Vous attendiez-vous à ce comportement ?

Rien ne pouvait nous permettre de penser qu’une fois au pouvoir Abdoulaye Wade allait se comporter de cette manière. Justement, quand on parle de gauche, il y a des valeurs. Et parmi ces valeurs, il y a le sens du respect des engagements que l’on prend. La fidélité à la parole donnée est très importante. J’ai fait la campagne électorale de 2000 avec Wade en tant que membre de la Ca 2000. Et si vous regardez les images de la campagne, nous avons parcouru 5000 kilomètres ensemble. On était seul dans la voiture avec son chauffeur Diané et son garde du corps et neveu, Lamine Faye. De Dakar à Saint Louis, de Saint Louis à Podor, Matam, Bakel, de Kédougou jusqu’à Bignona, on était ensemble nuit et jour. On préparait tous les discours à partir des revendications des populations. Je revois en images tout cela. Entre les étapes, on parlait de tout et de rien. On critiquait le régime socialiste, ses travers ses manquements à la démocratie, on prenait l’engagement de redresser ceci et cela. Je ne pouvais pas imaginer qu’Abdoulaye Wade ferait mille fois moins que le Ps. C’est un cas typique de reniement ! Vous me direz que l’être humain est ainsi. C’est une grande leçon sur la nature de l’être humain que j’en ai tirée. Je pouvais comprendre qu’on ait des difficultés politiques et que certains quittent le gouvernement. Je m’y attendais. Mais, je ne pouvais imaginer que lui fasse tout le contraire de ceux sur quoi, lui-même s’était engagé.

Est-ce à dire que vous étiez tellement fixé sur votre souhait de faire quitter le Ps du pouvoir que vous ne vous êtes pas attardé sur la nature de l’homme Wade. Lui trouvez-vous des qualités ?

(Sur un ton ironique) Les qualités politiques de Wade ? C’est un manœuvrier, si on peut considérer cela comme une qualité. Les gens pensent que manœuvrer est une qualité. La manœuvre politique, c’est quelqu’un qui te regarde en face et te ment. C’est quelqu’un qui te parle mais pense le contraire.

Ses défauts ? C’est vrai, il y avait des indices parce qu’on est ensemble depuis 1985 quand on a lancé l’Alliance démocratique sénégalaise avec Abdoulaye Ly. On s’était engagé dans un certain nombre de choses. Pendant quinze ans, j’ai eu des relations très étroites avec Abdoulaye Wade. A chaque fois qu’il avait des difficultés, il se confiait à moi. Je me rappelle, en 1986, quand Serigne Diop a voulu faire sa dissidence, considérant qu’Abdoulaye Wade a dévié de la ligne du Pds et qu’en s’alliant à la gauche communiste, le Pds allait être phagocyté. Il a fait sa dissidence, certainement, avec l’appui du pouvoir en place. La nuit où Serigne Diop a publié sa fameuse déclaration intitulée non à la tactique du bord du gouffre, Wade est venu me réveiller vers 23H comme à chaque fois qu’il est embêté. Il tape à ma porte, à l’époque il avait une voiture 504 break, et me demande de le suivre. Une fois dans sa voiture, il allume une torche, caressant sa tête comme il sait le faire quand il est dans l’embarras (il sourit et mime le geste), et me montre la déclaration de Serigne Diop. Je lui demande, mais qu’est-ce qui se passe ? Il me répond : « Serigne Diop est en collision avec l’adversaire, c’est un traitre ! » Je lui dis : « Calme toi, cela ne va pas prospérer, ça ne sert à rien de s’inquiéter, cette dissidence va à contre courant de l’histoire ». Le matin, à 7h30, il me rappelle et je le trouve avec feu Boubacar Sall, devant sa piscine et il me demande : « qu’est ce qu’on va faire maintenant ? » Je lui dis qu’il n’y avait pas de raison de s’agiter. Boubacar Sall pensait aussi que cette dissidence n’allait pas réussir. Il disait que Sérigne Diop ne pèse rien et qu’il allait en faire une bouchée à Thiès. Effectivement, le mouvement a fait long feu, il n’a rien donné.

En 1988, au plus chaud des événements, un matin, Wade m’appelle très tôt. Il n’est pas courageux malgré ses bravades. Dès qu’il est devant l’adversité, il est désemparé. A l’époque, Ameth Khalifa Niass avait été envoyé par Jean Collin pour nous dissuader d’organiser la grande manifestation qu’on avait projetée de faire. Ameth Khalifa lui avait dit que Collin allait régler ses (à Wade) problèmes s’il mettait fin à l’évènement. Il était ébranlé par la démarche, il voulait avoir mon opinion. Au fond, il voulait que j’aille dans le sens de ce qu’il pensait. Je lui ai dit que cela n’avait pas de sens. On avait programmé l’évènement pour l’après-midi, comment pouvions-nous l’annuler ? On avait pris toutes les dispositions avec Ousmane Badiane et Abdoulaye Faye, tout l’itinéraire était tracé. Il n’était donc pas question de renoncer. Quand Wade s’est rendu compte que je n’étais pas convaincu de l’annulation, il a fait sortir la personne qui était assise dans le salon pour me montrer un papier. C’était, en fait, un commandement d’huissier de la Sgbs. En réalité, jusqu’en 2000, sa maison du Point E était sous hypothèque à la Sgbs. Il devait de l’argent à la banque et chaque fois, qu’une action vigoureuse était enclenchée contre le régime, la Sgbs manipulée par le pouvoir, lui envoyait un commandement d’huissier pour le sortir de sa maison. Il était dans tous ses états quand il m’a montré le papier. Je lui dis que c’est rien et qu’il fallait voir le président du Conseil d’administration, le vieux Seydi (Ndlr : il s’agit de l’homme d’affaire Idrissa Seydi) qui était quelqu’un de très humain et qui a finalement demandé aux autres d’arrêter le chantage. Certes, Wade leur devait de l’argent et c’est vrai aussi qu’il ne payait pas.

Wade avait ses problèmes financiers. Et je me disais que quand on arrivera au pouvoir, on aura quelques soucis, mais il va pouvoir les régler. Et pour le reste, il va travailler pour le pays. Je ne pouvais pas imaginer une seul instant cette boulimie de quelqu’un qui était sous la dèche. En étant Président, même si les fonds politiques ne sont pas officiellement importants, ils auraient pu lui permettre de régler ses problèmes, récupérer sa maison et celle de son épouse. La preuve, il a immédiatement réglé ses problèmes avec la société générale. Ils ont immédiatement réglé la maison familiale de la dame. Ils ont apparemment dédommagé le frère et ils ont rasé la maison et reconstruit en hauteur après 2000.

Vous avez soulevé le cas Idrissa Seydi, qui venait souvent en aide à l’opposant Wade. Pourtant une fois au pouvoir il n’a pas hésité à bloquer la construction de son immeuble.

J’ai rencontré le vieux Seydi lors de la réception organisée à l’occasion du départ de l’ambassadeur du Canada. Le vieux Seydi m’a fait part de ses inquiétudes concernant son immeuble en construction et que le pouvoir avait bloqué. Je lui ai demandé ce qui se passait, il m’a rapporté que depuis des semaines, il cherche à rencontrer Me Wade, mais il lui refuse une audience. Cela m’a surpris. Je connaissais ses relations avec Wade et tout ce qu’il a fait pour l’aider quand il était dans l’opposition. C’était en 2002 et je n’étais plus dans le gouvernement, j’étais à l’Assemblée nationale. Au sortir de la réception, vers 22h, je téléphone Wade au Palais. Je lui dis Monsieur le président, j’ai rencontré le Vieux Seydi et il se plaint. Il a demandé une audience mais n’arrive pas à vous joindre. Il me répond : « Ce vieux Seydi veut tordre le coup à la loi. Il y a une loi qui interdit les constructions à une certaine hauteur dans Dakar Plateau, surtout dans le périmètre de sécurité du Palais présidentiel ». C’était une loi, en fait, qui stipulait qu’aucun bâtiment ne devait surplomber le Palais, pour des raisons de sécurité mais aussi pour des règles d’urbanisme dans le Plateau. Je lui ai dit que tout ceci était vrai mais il fallait qu’il recoive le vieux Seydi, ne serait-ce que pour ce qu’il avait fait pour lui. Par la suite, il a accepté de le recevoir. Mais après son audience, Seydi m’a encore appelé pour me dire que l’affaire était réglée. Il m’a expliqué que le chef de l’Etat voulait qu’il donne un appartement à ses enfants, dans son immeuble en construction (actuel immeuble Tamaro). C’est la seule condition pour que la restriction soit levée. Je lui ai demandé alors qu’est-ce qu’il allait faire ? Il m’a répondu qu’il n’avait pas le choix : « Cet immeuble est mon dernier projet et je ne voudrais pas mourir en laissant au cœur de Dakar un immeuble inachevé. Je dois accepter », m’a-t-il confessé. Et effectivement les travaux ont repris, ils (les fils de Wade) ont eu leur appartement, l’ont transformé et ont loué à l’Anoci.
Si quelqu’un me l’avait raconté, je n’allais peut être pas y croire, mais j’ai été témoin, à mon corps défendant, et même acteur en tant qu’intermédiaire.

Vous avez cheminé avec Abdoulaye Wade pendant quelques années. A quel moment avez pris conscience que ce n’était plus l’homme de la situation pour que vous décidiez à quitter le navire ?

Très tôt ! Il y a eu toute une série d’événements qui se sont succédé crescendo et en moins de deux ans c’était terminé. On voyait très nettement que ce n’était plus des accidents de parcours et des erreurs, mais une tendance lourde dans son comportement. C’est pourquoi si vous regardez bien, dans l’histoire de l’alternance je me suis démarqué à travers mes prises de position publiques, depuis 2001.

(A suivre)

La Rédaction

lagazette.sn

1 COMMENTAIRE

  1. JE SUIS TOUJOURS EMERVEILLE PAR LE PROFESSEUR QUI EST CONSTANT DANS SA DEMARCHE .IL EST L’HOMME QU’IL NOUS FAUT AU SENEGAL.JE DEMANDE A BENNO ET TOUTES LES FORCES VIVES DE LE CHOISIR COMME CANDIDAT EN 2012.
    WADE SAIT QUE DEVANT BATHILY IL PARTIRA JE LE JURE.IL EST CREDIBLE IL DIT LA VERITE .SUR L’IMMEUBLE TAMAROW DE SEYDI IL A PARFAITEMENT RAISON LES DEUX DERNIERS ETAGES APPARTIENNENT AUX DEUX ENFANTS DE WADE.C’EST TOUT A FAIT VRAI.UN HOMME QUI NE MENT PAS A SON PEUPLE C’EST CE QU’IL NOUS FAUT ET BATHILY EN EST UN.
    JE PRIE LES LATIF COULIBALY,MBODJ DU FORUM CIVIL ET AUTRES DE FAIRE PASSER CE MESSAGE AUPRES DES POPULATIONS CAR ON A PLUS CONFIANCE EN BATHILY QU’AUX AUTRES ET SEUL LUI PEUT FAIRE L’UNANIMITE .JE LE JURE ET L’HISTOIRE RETIENDRA CE QUE JE VIENS DE DIRE.MOI JE FERAIS TOUT POUR LE RENCONTRER ET LUI PARLER DE CE PROJET.WADE A LE COMPLEXE DES HOMMES JUSTES ET SERIEUX QUI NE SONT QUE POUR LA DEFENSE DES INTERETS DE LEUR POPULATIONS.QUAND WADE L’AVAIT RECU AU PALAIS QUAND IL RECEVAIT LES LIDEURS DE L’OPPPOSITION UN A UN IL Y A QUE BATHILY QUI AVAIT DIT TOUT CE QUE LE PEUPLE PENSAIT ET VOULAIT DEVANT LES CAMERAS DE LA TELE RTS1.
    ON ETAIT EMERVEILLE PAR LA CLARTE DE L’ANALYSE.QUE LES AUTRES LIDEURS ACCEPTENT POUR L’INTERET SUPERIEUR DE LA NATION.MERCI PROFESSEUR.

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