« Ce ne sont pas par ses discours et ses gesticulations, mais par le silence et le sérieux que le sage se distingue dans une assemblée. »
Ahmadou Kourouma
L’Assemblée nationale de rupture a-t-elle des chances de naître au soir des législatives du 1er juillet ? Le double d’une chambre assoupie, quand elle n’était pas tirée de son sommeil par des salves d’applaudissement pour saluer la matérialisation d’une volonté du chef de l’Etat, comme au terme d’une représentation théâtrale réussie, ne rode t-il pas aux abords de la Place Soweto ? Si le nombre faisait la démocratie, on aurait pu répondre qu’avec vingt-quatre listes en compétition, le Sénégal est dans le temps du pluralisme et dans le cercle des pays fermés à toute forme de césarisme. Il n’en est rien.
Pour l’essentiel, les listes en question sont constituées sur la base de coalitions de formations politiques pour la plupart sans envergure. Sur le mode opératoire du «Yobaléma» -prends-moi par la main – elles vivent en apnée dans le microcosme. Le Parti démocratique sénégalais (Pds) dont le leader a été défait par Macky Sall peut, sans s’encombrer d’alliés, espérer une représentation à la Chambre basse du parlement. Ses principaux animateurs, sans doute pour rassurer leurs militants encore sous le choc, après la Berezina du 25 mars, annoncent une cohabitation avec la majorité présidentielle.
Si, pour beaucoup, ce qui relève du rêve éveillé des caciques libéraux devenait réalité, il est peu probable que l’Assemblée nationale change de registre, s’appuie sur d’autres paradigmes pour faire ce qu’elle aurait du être au matin de la première alternance à la tête des principales institutions de la République.
Si on peut être dubitatif sur la volonté de changement manifestée par les libéraux retournés dans l’opposition et comme dopés après une bonne cure de jouvence, quid de la gauche, celle des barricades de mai 1968, du bolchévisme et du maoïsme, de la faucille, du marteau, du «Momsarew-Boksarew-Defarsarew» ? Certains de ses représentants sont dans les tranchées de «Benno Bok Yakaar» avec des libéraux-centristes, sociaux-démocrates, fédéralistes…
Pas grand-chose à attendre de cette galaxie éclatée ne rêvant même plus d’un grand Soir. Après avoir tant donné à ce pays, mené ou accompagné toutes les grandes conquêtes sur le front de la démocratie et des libertés, la voilà réduite à cheminer avec ses contempteurs d’hier, dans le rôle de conseillers du Prince ou de ceux aspirant à l’être.
La générosité, le patriotisme ardent et le sacerdoce du service public qui les habitent trouvent du mal à se déployer dans ce compagnonnage renvoyant à l’image du cavalier et du cheval.
Tout n’est cependant pas perdu. Ces valeurs, ringardes pour les nouveaux maîtres, trouvent preneurs dans la société civile. Le surgissement de «Y’en a marre», du Mouvement du 23 juin, des listes citoyennes, le déploiement de la société civile dans ses diverses strates laissent espérer que la Chambre basse du Parlement sera sous contrôle. Dans l’hémicycle, si les suffrages des Sénégalais en rupture avec les politiques se portent sur eux, hors de l’Assemblée s’ils n’y siègent pas. Cet espace public avec tout le symbolisme qui s’attache à son investissement le 23 juin 2011, ne peut être déserté si les «honorables représentants» posent des actes n’allant pas dans le sens de l’intérêt national.
Dans la quête d’une Assemblée nationale autre que celles ayant jalonné le cours politique du pays, à des coûts sans commune mesure avec le service attendu, l’institution de la parité intégrale ne manque pas aussi de pertinence. Elle ne doit toutefois pas se limiter à la question Genre. La représentation équitable des femmes et des hommes n’aura de sens et de portée, que si elle intègre la compétence, les capacités, le sens de l’initiative et des responsabilités. L’engagement de figures emblématiques de la religion, des arts, est aussi un indicateur de la volonté de penser autrement le rôle du représentant du peuple dans l’hémicycle de la Place Soweto avec un dire et un faire conformes aux préoccupations de leurs mandants.
La prise de parole des imams de Guédiawaye, hors des mosquées, et au plus fort des délestages dans la fourniture de l’électricité , était annonciatrice de cette tendance qu’il convient d’encourager pour installer le pays dans la modernité.
Il est loin le temps où le religieux n’était sollicité que pour ses prières et le ndigël, les femmes pour le décor et les effets d’ambiance. La République postule la solidarité, bannit les exclusions et ne peut prospérer que si les citoyens l’incarnent dans leur vécu quotidien et le confortent dans le respect des institutions dans lesquelles ils se retrouvent.