A part un commerçant qui vous fourgue à crédit ses stocks d’invendus en souffrance, vous ne trouverez jamais de personnage plus sympathique qu’un candidat en campagne électorale. Ce n’est pas pour doucher votre enthousiasme, parce que des nouveaux potes célèbres, ça doit pleuvoir de tous côtés ces derniers temps.
Autant vous avertir quand même : méfiez-vous du numéro de portable qu’un politicien aux abois à une semaine du scrutin vous refile en public. Tant que vous n’avez pas voté, ça prend toujours votre appel. Même en réunion, il vous rappelle après, en vous précisant que c’est entre deux séances de travail qu’il prend sur lui pour vous parler. Bien entendu, comme tout bon Sénégalais, vous avez toujours un p’tit problème d’argent à lui soumettre en toute dernière minute. Ndoggal’ou Yallah, ça prévient peut-être les érudits, mais pas vous. Donc autant s’en remettre aux humains…
Et là, le bon moment pour présenter la facture, vous êtes en plein dedans : à une encablure du vote, son choix est mince… Ou il signe les yeux fermés (cas rare, sauf si vous avez à votre solde une liste d’électeurs interminable comme un jour de jeûne) ou alors il verse un acompte en promettant de solder après son élection. Autant vous prévenir : les dettes de campagne sont destinées à la colonne pertes et profits… Vous avez comme un doute ? Demandez au vulcanisateur de Tambacounda qui dépanne en toute confiance, en 2000, le candidat Wade dont le tacot en crevaison cahote sur ses treize ans selon les indiscrétions de Moustapha Niasse… La saga de cette facture pourrait inspirer un authentique roman maffieux : entre les intermédiaires qui promettent d’aider le mécano malchanceux à rencontrer le Pape du Sopi et ceux qui se chargent alors du recouvrement (en espèces de préférence), il y a sans doute ceux qui lui promettent le pèlerinage à La Mecque, et les autres, une décoration pour services inestimables rendus à la glorieuse première alternance de notre charmant pays.
Et ce n’est pas demain que ça risque de s’arranger avec Serigne Mboup qui vient de grossir les rangs des créanciers et Ousmane Ngom, l’avocat de la famille, qui tombe en syncope à la première question gênante.
Revenons à nos braves élus. Je vous le dis, un politicien en campagne, c’est un modèle d’humilité et de générosité. Avouez, vous ne reconnaissez plus votre voisin qui rêve d’entrer à l’Assemblée nationale quand il vous tombe dessus un dimanche matin en petit comité avec son sabador trop juste, ses marakiss du Maroc et son grand sourire. Vous avez beau vous frotter les yeux et vous pincer, c’est bien lui, le concitoyen qui n’a jamais le temps de dire bonjour. D’habitude, quand il passe en voiture, c’est curieux, mais il regarde toujours de l’autre côté ; quand par hasard vous vous croisez sur le même trottoir, il a à peine le temps de vous dire bonjour qu’il est reparti… Les affaires de la Nation ne peuvent pas attendre que vous soyez là, en pleine rue à raconter les misères que vous font vos rhumatismes ou la ménopause de votre aawo.
Là, miracle, il est là rien que pour vous toute la journée, histoire de vous apprendre combien il regrette ce rythme infernal qui le prive de la compagnie si agréable d’un voisin aussi charmant que vous. Louées soient votre courtoisie et votre probité. Preuve irréfutable : vous êtes des rares à prier régulièrement fadjar à la mosquée. Lui, malheureusement, il n’a jamais le temps : vous savez bien, la politique est une affaire si sérieuse qu’on en perdrait sa place au paradis. Dieu merci, il se rattrape le soir, une fois rentré vers minuit, et enchaîne non stop toutes ses prières avant d’égrener son chapelet jusqu’au cœur de la nuit. En garantie, il vous chuchote deux wirds imparables en aparté. Il vous envie votre foi et votre pureté, et vous cite même en exemple à ses collaborateurs. Lui, malheureusement, la politique l’a éloigné des chemins de droiture. Si c’était à refaire, il occuperait votre taudis tandis que vous vous vautreriez dans le stupre et le lucre qui hantent son modeste palais.
La petite délégation qui l’accompagne ne peut qu’opiner du chef à l’unisson. Y’a toujours dans le lot un griot (ou ce qui en tient lieu) qui en rajoute un morceau pour vous faire avaler la mayonnaise, façon Mbaye Pekh qui voit trois millions d’électeurs partout où le père Wade tient meeting. Votre nouvel ami tient au resserrement de vos liens. Pour mieux ferrer votre carte d’électeur (parce que c’est le but de la manœuvre) après avoir exigé de sa femme qu’elle organise le yendou derrière lequel toute la République court et que vous serez le seul à obtenir, là devant tout le monde, il vous refile son numéro de portable. Nous y voilà. C’est le petit plus qui fait la différence entre le politicien chevronné et l’amateur qui se ramassera un fiasco au prochain scrutin. L’amateur fait mine d’oublier de vous donner ses coordonnées et s’éclipse dans la confusion. Le pro vous refile un numéro de portable en vous précisant que c’est celui qu’il réserve à ses proches. Il est sur liste rouge.
Votre heure de gloire est arrivée et vous avez intérêt à en profiter jusqu’à cinq minutes du vote.
Avant le 1er juillet, il sera aux petits soins, et vos demandes seront des ordres : les ordonnances, les sacs de riz, vos keureudi téléphone, le kilo de pommes mélangées à des bananes, la facture de Sénélec ou même la corde du mouton de Tabaski, avec la promesse que la bête à cornes arrive dans la semaine qui suit… Dès le 02 juillet, autant vous faire une raison en même temps qu’une croix sur vos vœux en instance : il sera sur boîte vocale. Au moins jusqu’aux prochaines élections.
