Pendant qu’on y pense, faudrait aussi demander aux futurs députés en campagne de songer à sauver l’école publique, si l’on veut conserver la République, non ? Le nouveau type de Sénégalais dont chacun se rengorge, il sortirait d’où, si ce n’est de l’école sénégalaise ?
Y’a déjà un bon début : le jardin d’enfants, rebaptisé Case des tout-petits par le père Wade, bastion traditionnel des gosses de riches pendant quatre décennies, est tombé dans l’escarcelle du peuple. Ça fait partie des injustices que le héros du 19 mars 2000 s’est chargé de réparer.
Courte joie pour le petit ilot de victoire dans l’océan du désastre scolaire. Disons-le tout net, les instits’ qu’on voit officier dans les écoles ne sont pas du meilleur cru. Y’a de la relâche, question culture générale. Certes, ce n’est pas en restant concentré toute la journée sur son ticket de Pmu que l’on apprend des choses qui vous nourrissent l’intelligence.
Encore moins à passer ses week-ends au grand-place du coin pour affronter à la belote les tailleurs, bijoutiers et mécaniciens des environs. Les nouveaux types d’instits, il faut pratiquement leur coller un pistolet sur la tempe pour leur faire lire un livre… Les quelques souvenirs troubles des contes d’Amadou Coumba qui leur restent, ils le doivent aux taloches du cruel «moussé» d’alors. Et leur quelques rudiments de sciences nat’, de géographie et d’histoire, ils les égarent régulièrement et s’obligent à garder le livre ouvert pendant le cours. Administrer trois femmes et quinze gosses avec un salaire d’enseignant, ça ne libère pas l’esprit…
Faible consolation, ils leur arrivent de se cultiver le week-end, lorsqu’ils se plongent dans les livres saints et vont à la recherche des wirds qui accélèrent les coups de chance.
Les bonnes femmes, elles, tiennent plutôt petit commerce de fataya ou de niambaan aux heures de pause, en semaine, et le week-end cotisent à des tuurs et organisent des leumbeuls jusque tard dans la nuit, histoire de montrer aux analphabètes du patelin l’étendues illimitée de leurs connaissances sur les questions centrales qui agitent la société sénégalaise : tiouraye-gongo, fèrr’ou laobé lumineuses, béthio et thiakhs. Les plus ambitieuses cherchent crédit dans les mutuelles d’épargne histoire de voir une fois Dubaï avant de rendre l’âme.
Au dessus de ces braves gens qui dispensent si consciencieusement le savoir à nos rejetons, se tient le syndicaliste de droit divin. Son art consommé de créer les emmerdes pour décréter la grève aux alentours des fêtes du premier semestre en fait un personnage central. Curieux hasard : jamais d’esclandre quand la tabaski est à quelques encablures. Sa vie tenant au fil de la corde du mouton de tabaski, lui-même tenu par sa femme, laquelle le tient par où vous savez, vous comprenez aisément que tous les conflits sociaux éclatent et se résolvent loin de ces périodes critiques qui peuvent remettre en question la paix des ménages qui repose sur le mouton de tabaski et le pèlerinage à la Mecque. Ben oui, ça fait aussi partie des avantages de la fonction : il flotte toujours un parfum de Pèlerinage à La Mecque et de tirage au sort dans les questions syndicales…
Sortis de là, avec ces braves contestataires désintéressés, ça enchaîne sur toute l’arithmétique des séminaires et panels où l’on refait l’école sénégalaise à grands coups de voyages d’études agrémentés de généreux per diem.
Ils peuvent s’estimer heureux : la fréquence avec laquelle les remaniements ministériels et les affectations fantaisistes bouleversent les résolutions fermes et les engagements des autorités, faut toujours tout reprendre à zéro. Séminaires, re-séminaires et re-re-séminaires, à propos de tout : les programmes, les manuels, le calendrier, les salaires… Quand ils en ont fini avec la grappe des ministères de tutelle, les députés prennent le relais. Et puisqu’il n’y a qu’à Saly qu’on réfléchit à l’aise, c’est reparti pour un tour les pieds dans l’eau de la piscine, en attendant que les sénateurs et les conseillers de la République s’en mêlent.
Ah, vous commencez à comprendre où passent les 40% du budget national, alors que votre petit génie, au fil des années scolaires, vous donne de plus en plus l’impression de se crétiniser ?
SENEGALAISERIES – Par Ibou FALL
Des brebis galeuses, il n’y en a pas seulement que chez les instits’. Et les journalistes que vous etes? Les enseignants méritent respect et reconnaissance pour le travail titanesque qu’ils abattent et avec des effectifs qui dépassent parfois 100 potaches par classe. Ah monsieur le journaliste, je vous signale que les enseignants sont généralement les anciens meilleurs élèves de leur classe.