Les Sénégalais, dans leur écrasante majorité, sont restés chez eux dimanche passé, estimant que les élections législatives qui viennent de rendre leur verdict ne méritent pas de se gâcher le repos dominical.
On épiloguera encore longtemps sur la conscience citoyenne de nos compatriotes, l’inégalité de traitement entre la présidentielle et les autres, etc.
En fait, ce que l’on ne dit pas, c’est que la mise au placard du père Wade depuis le 25 mars passé a le malheur de couper le sifflet à tous les acteurs politiques : ses détracteurs n’ont plus la tête de turc fantasque qui vous met les rieurs et les indignés de leur côté, tandis que ses thuriféraires ont les méninges qui tournent à vide parce qu’ils n’ont plus personne à défendre. Un vide que des projets de société cohérents ne viendront pas combler parce que n’existant pas dans les programmes des candidats. La campagne commence bien par un vent de dé-wadisation, avec des audits et des menaces d’emprisonnements, des déclarations intempestives avec effets de manches, pour tout dire, une théâtralisation très …wadienne qui lasse vite tout le monde.
Pour dire le vrai, la scène politique ne se remet pas encore de la disparition du père Wade, lequel depuis près de vingt-quatre ans, nous obstrue l’horizon. Les candidats aux législatives, habitués depuis un quart de siècle à un sujet facile (le père Wade) se retrouvent sans thème et ne savent donc pas plus que ça retenir l’attention des électeurs…
Rappel historique : c’est en 1988, avec le raz-de-marée sopiste, que le père Wade se pose en leader incontestable de l’opposition, et même de la scène politique. Il nous apporte cette manière folle de faire de la politique-spectacle, avec ses coups de bluff, ses reniements. Il nous apportera cette immoralité sans fard qui va parsemer son long chemin vers le sommet de toutes les abominations et de tous les héroïsmes. Abdou Diouf, tout président de la République qu’il est, se cantonne souvent à contenir les assauts et parfois riposter aux attaques de ce diable d’ennemi qu’il préfère jeter en prison histoire de le calmer et le contraindre au dialogue. Si le père Wade est inusable, le pouvoir socialiste, lui, s’érode avec le temps jusqu’à l’effondrement du 19 mars 2000.
Douze années durant, depuis son palais, le héros de la première alternance fabrique l’actualité et donne à l’institution qu’il incarne cette odeur de soufre qui le rend si obsédant. Il fait et défait les règles, les carrières et surtout les adversités avec cette manière bien à lui d’allier le panache et l’irrationnel. Et toute l’actualité se résume alors à la position de chacun dans l’espace politique, par rapport au père Wade. Résultat des courses, depuis une décennie, le discours politique qui tourne à la guerre des égos adopte son ton et se résume à des considérations triviales qui volent bas. Il faudra sans doute du temps, et l’émergence d’une nouvelle vague d’acteurs politiques pour que les discours retrouvent une authenticité et une âme. Ah, elle est bien morne, la vie sans le Père Wade, lequel emporte avec lui quelques vieilleries que l’abstention vient de balancer à la corbeille : Djibo Kâ, Abdourahim Agne, Mbaye-Jacques Diop…
L’autre événement de cette élection, la première de l’après-Wade, c’est bien la percée des marabouts annoncés provisoirement au Parlement : Mansour Sy Diamil, Modou Kara, Mbaye Niang et Khadim Thioune. A mon sens, c’est la première salve qui avertit de la faillite de l’école républicaine. En même temps que le père Wade arrive comme le personnage central de la politique, en 1988, l’école sénégalaise enregistre sa première année blanche.
Déjà, à l’époque, dans la hiérarchie sociale, les intellectuels commencent à chuter. Les fonctionnaires ne sont plus les seuls Sénégalais dignes de respect et de considération. La crise économique et les ajustements structurels qui ferment les internats et dispensent de l’enseignement bas de gamme feront le reste pendant que, dans les familles, les parents baissent les bras. Les gourous enturbannés seront assiégés par des jeunes que leurs repères auront trahis. Ces marabouts avec plus ou moins de bonheur recycleront les déchets scolaires et les rebuts familiaux depuis lors… C’est cette base sociale qui vient de produire un électorat capable d’envoyer leurs sauveurs à l’Assemblée.
Que dire des purs produits de cette école publique, républicaine et laïque, incarnés sur la scène politique par des acteurs du genre de Me El Hadj Diouf, Djibo Kâ ou Iba Der Thiam ? En assurant un spectacle qui alterne le pittoresque et le pitoyable, ils nous confortent dans l’idée que l’école sénégalaise est en train de faillir dans sa mission qui est de produire des élites. Le 23 juin 2011 est sans doute le jour où les derniers vestiges de considération leur sont enlevés.
Là, un coup de semonce vient d’être tiré, qui rappelle que l’urgence pour la République afin de perpétuer son esprit et son âme, est de restaurer l’égalité des chances. Sinon, demain, des écoles confessionnelles pleines d’arrière-pensées se substitueront à cette école et nous fabriqueront des élites dans leurs moules à eux. Pour dire le vrai, nous ne sommes pas loin d’être à leur merci…
SENEGALAISERIES – Par Ibou FALL