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Mouhamadou Bamba Sall, président de la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal : «Abdoulaye Wade ne cessera de faire de la politique et de combattre que quand il sera mort et enterré»

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Entre espoir et inquiétude, Mouhamadou Bamba Sall estime que les députés religieux constituent un couteau à double tranchant. Entre autres questions, le responsable moral de l’association «Al Ouma» revient dans l’entretien qui suit sur les raisons qui l’ont poussé à combattre le régime de Wade et sur les attentes qu’il place en Macky Sall.

Que pensez-vous de la présence des religieux dans le champ politique ?
La présence des religieux dans le champ politique suscite aussi bien de l’espoir que de l’inquiétude. Je fais partie des premières personnes au Sénégal qui ont plaidé pour que les hommes religieux investissent le terrain politique; pour qu’ils ne se limitent pas à sermonner les gens et qu’ils s’impliquent dans la vie sociale et accompagnent les populations en vue de faire face aux problèmes de la société. C’est cela leur mission. Je défends une telle position depuis longtemps. Et quand je le faisais, d’aucuns disaient que j’étais contre les religieux, les marabouts. Mais je ne peux pas être contre les marabouts dans la mesure où j’en suis un. On ne peut pas sermonner les gens et les laisser seuls face aux difficultés qu’ils vivent sur le plan social.
Et quelle doit être la posture de ces hommes religieux à l’Assemblée nationale ?
La présence des religieux à l’Assemblée nationale suscite de l’espoir. Mais il faudrait qu’ils aient une posture d’hommes religieux véritables.
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire qu’il y a plusieurs sortes d’hommes religieux. Certains d’entre eux portent le boubou d’homme religieux, endossent le qualificatif d’homme religieux… mais dans la pratique, au vrai sens du terme, ils ne sont pas des hommes religieux : dans leur façon de parler, dans leur façon de guider les gens et de les manipuler, ils ne sont pas de véritables hommes religieux. Et si ce genre de religieux descend dans le terrain politique, nous avons de quoi nous inquiéter car ils ne véhiculeront aucune bonne leçon morale. Par contre, s’il s’agit de vrais hommes religieux, dont la dimension spirituelle et l’honnêteté sont reconnues, alors nous aurons des motifs d’espérance.

A votre avis quel type de religieux est à l’Assemblée nationale ?
Je ne peux pas tous les caractériser car je ne les connais pas tous. Mais je connais certains d’entre eux; et j’ai profondément confiance en eux. Je serais très surpris s’ils adoptaient des postures blâmables. L’imam Mbaye Niang par exemple est quelqu’un de très valable. Modou Kara a un concept intéressant qu’il véhicule, à savoir l’africanisme. Ce disant, je ne parle pas de choses religieuses. Je parle des affaires de l’Etat, et l’Etat englobe toutes les religions. L’Etat englobe même ceux qui n’ont pas de religion. Donc les hommes religieux présents à l’Assemblée nationale ne doivent pas parler que de questions religieuses. Ils doivent proposer des programmes qui peuvent améliorer le fonctionnement de l’Etat, de sorte que toutes les composantes de la nation s’y retrouvent.

D’aucuns disent que la présence de ces religieux à l’Assemblée est relative à la faillite des politiciens…
Ca c’est vrai. A mon avis, même les Abbés doivent s’engager dans le champ politique parce que le marché politique est pourri. La société n’a plus de repères ; elle a perdu confiance. Il y a une rupture totale entre les gouvernants et les gouvernés, une rupture de confiance.

Ne risque-t-on pas de tomber sous le dictat de la morale des religieux ?
Face aux conflits sociaux qui avaient cours dans les pays des grands lacs, on a vu que les Abbés étaient les interlocuteurs les plus crédibles. Et leur implication dans la résolution de ces conflits a été source de stabilité dans les régions en question. Il est primordial que les religions révélées s’impliquent partout où elles sont présentes pour remédier aux problèmes sociaux. L’implication des hommes religieux dans la politique est due au fait qu’au Sénégal, les écoles politiques n’ont pas de morale. Depuis l’indépendance, quels sont ceux qui détournent les deniers publics ? Quels sont ceux qui alimentent le crime organisé et la violence politique ? Quels sont ceux qui imposent la dictature ? Ce sont les politiciens. Cela dit, si l’individu a beaucoup de connaissances et qu’il est vide d’éducation spirituelle, si l’individu a le pouvoir sans avoir d’éducation spirituelle -musulmane ou chrétienne – alors cet individu finit par devenir un animal sauvage car il n’a rien pour le canaliser moralement. C’est pour cela que la religion est bénéfique à la marche des hommes. Donc si les religieux présents dans le champ politique sont en adéquation avec la religion, alors le peuple pourra espérer voir un nouveau type d’hommes politiques qui seront en phase avec les intérêts des populations, les droits de l’homme et la justice sociale. La justice est le premier aspect fondamental de toutes les religions révélées.

La présence des religieux à l’Assemblée servirait, selon-vous à influencer positivement les hommes politiques qui y siègent ?
Oui. Parce que si on doit voter des lois qui ne sont pas en phase avec les intérêts des populations, et qui vont à l’encontre de la morale, les hommes religieux s’y opposeront. Et ces religieux ont leurs canaux pour communiquer avec les populations. Nul doute que le peuple saura ce qui se passe à l’Assemblée et sera prêt à faire face s’il s’y passe n’importe quoi. Cela permettra de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’abus ou de déséquilibre des pouvoirs. Mais les religieux ne devront pas se limiter à sermonner les uns et les autres. Ils devront proposer des solutions. Ne croyons pas que seuls ceux qui ont une culture française ou occidentale en générale, peuvent nous proposer des solutions. Les religieux sont à l’Assemblée nationale pour sermonner, encadrer moralement les élus, mais aussi pour proposer des solutions en vue d’améliorer le sort des populations. Par contre, si les religieux font comme les hommes politiques qu’ils ont trouvés à l’Assemblée, alors la perdition sera grande car elle englobera le politique et le religieux. Les hommes religieux présents à l’Assemblée nationale ont de lourdes responsabilités. Deux fois plus que celle des politiciens. Toutefois, la situation conflictuelle qui prévaut au Mali pourrait inciter les gens à croire que la religion pourrait être source de catastrophe. Ce qui se passe au Nigéria au nom de la religion est dramatique ; qu’on tue des centaines de personnes par semaine et qu’on les traque partout, même dans leur église, c’est déplorable. Ces crimes sont perpétrés au nom de la politique ou d’autres intérêts, mais certainement pas au nom de la religion contrairement à ce que l’on veut nous faire croire. La religion, c’est la tolérance. Au Nord Mali, les profanent des tombeaux, des mosquées, des églises et créent une violence et une anarchie extraordinaires ; cette situation effraie la sous-région. Actuellement Al Qaida recrute jusqu’au Sénégal ; une telle situation est préoccupante à plus d’un titre.

Qu’attendez-vous de l’élection de Macky Sall ?
Je fais partie de ceux qui ont élu Macky Sall. J’ai combattu Abdoulaye Wade pendant dix ans. Il n’y a pas une injustice qu’il ne m’a pas infligée. Mais, paradoxalement, je reconnais qu’il avait de l’affection à mon endroit. Malgré nos divergences d’opinion, Wade a toujours été disposé à me recevoir à chaque fois que j’ai eu besoin de lui. Donc c’est une forme de considération, de respect. J’en témoigne. Mais nous avions des divergences d’un point de vue politique. Je n’ai rien contre lui en personne mais j’étais contre la manière dont il s’était organisé de sorte que l’Etat fonctionne dans l’impunité. C’est pour cela que je l’ai combattu jusqu’à son départ. Mais il faut reconnaître qu’Abdoulaye Wade a deux qualités : c’est un bâtisseur et un guerrier par nature. Ce qu’il a commis comme injustices simplement fait de l’ombre à ses réalisations. Maintenant, Macky est élu. Je fais partie de ceux qui l’ont élu, dans tous les registres. Je demande à ceux qui me sont proches d’assister son régime. D’ailleurs, au vu des résultats des élections législatives où il a obtenu presque 120 députés, on peut affirmer qu’il suscite de l’espoir auprès des Sénégalais.
Pensez-vous qu’il ira jusqu’au bout des audits ?
Je ne peux pas être catégorique à ce propos. Je n’ai jamais parlé avec lui de la question relative aux audits. Et je ne forge pas mes opinions sur la base de ce que j’entends à la radio, dans les journaux ou sur la base de ce que disent les analystes. Un projet de société comporte deux faces. Une face rendue publique et une phase tenue confidentielle. Macky Sall a affirmé qu’il ira jusqu’au bout des audits, je le crois. Cependant, il lui faut comprendre que les audits de sont pas un programme de société ; il lui faut réfléchir au moyen de répondre aux attentes multiformes des populations. Il doit aussi être un bâtisseur…

Comme Wade… Justement, que pensez-vous de l’attitude de ce dernier avec ses sorties et ses déclarations intempestives ?
Il est important de prendre en considération le tempérament et la nature de l’homme avant de juger. Senghor n’était pas un homme politique, c’était un homme de Culture. Et pour cette raison, il s’est désintéressé de la politique quand il a quitté le pouvoir. Il n’avait pas la politique dans le sang. Abdou Diouf est un administrateur. Il est formé pour administrer mais pas pour être un homme d’Etat ou un président de la République. Il a une formation d’administrateur et non une formation de politicien. Il n’a pas la politique dans le sang, il n’a pas un sang de guerrier. Quant à Abdoulaye Wade, il a reçu une formation politique. C’est un homme politique. Abdoulaye Wade est un combattant, et un combattant ne baisse jamais les bras. Abdoulaye Wade a un sang de combattant, comme les grands guerriers qui meurent l’arme au poing. Abdoulaye Wade ne cessera de faire de la politique et de combattre que quand il sera mort et enterré. C’est lui qui doit raisonner et savoir qu’il y a une heure et une manière de mener chaque combat. S’il fait des déclarations intempestives et s’il cherche à être au devant de la scène, il va perdre sa dignité et la considération que lui vouent les Sénégalais. En tant qu’homme d’Etat et ancien président de la République qui a contribué à bâtir sa nation, il ne doit pas perdre sa dignité. Cependant, il faut reconnaître qu’Abdoulaye Wade est un homme courageux. Abdou Diouf a jeté le Parti socialiste et est parti en Europe dès qu’il a perdu le pouvoir. S’il avait accompagné le Ps, les socialistes n’en seraient pas là aujourd’hui. Abdou Diouf a fui ses responsabilités et il a abandonné les socialistes. C’est un acte grave. Quant à Abdoulaye Wade, il est resté secrétaire général du Pds et il va encadrer son parti et l’accompagner avant de tirer sa révérence. C’est un acte que je salue. Tout le monde sait que si Abdoulaye Wade avait cessé de faire de la politique après avoir perdu le pouvoir, le Pds n’aurait même pas deux députés à l’heure actuelle. Abdoulaye Wade est courageux, mais il doit être civilisé et accompagner son parti, tout en restant digne.

Source : La tribune

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