De l’usage de la télé en temps de crise

A quoi sert un média aussi stratégique que la télévision lorsqu’un pays fait face à une crise ? Quelle devrait être l’attitude de nos chaînes de télé quand le Sénégal est confronté à des inondations sans précédent consécutives aux fortes pluies d’hier ? Nous nous sommes posés la question tout au long de la journée d’hier. En suivant les différentes télévisions, nous avons constaté, avec amertume, que, hormis « Sen Tv », toutes les autres avaient des programmes tout à fait ordinaires. On avait l’impression que rien ne se passait au Sénégal, que tout s’y déroulait comme dans le meilleur des mondes. Des programmes, tout ce qu’il y a de plus ordinaire : une émission de divertissement intitulée « Mission 24″ sur la « Tfm », un match de foot du championnat national (Diambars – Niarry Tally) en direct sur la « Rts », clips musicaux et « Oscars des vacances » sur « 2sTv », de la lutte sur « Canal Infos », du championnat d’Europe de foot sur « Rdv », un film américain sur « Africa 7 », des chants religieux « khassaïdes » sur « Lamp Fall Tv », de la musique rap made in Us sur « Saint-Louis Télévision », un film arabe sur « Touba Tv »… Seule « Sen Tv », la dernière née des chaînes privées sénégalaises, faisait exception en diffusant en direct des images de quartiers inondés, des reportages, des témoignages de sinistrés et des interventions d’autorités.
Pourtant, au moment où la plupart de ces chaînes diffusaient de la musique, du sport, des talk-shows, des téléréalités et des films, des milliers de Sénégalais étaient confrontés à d’énormes difficultés, luttant contre les eaux et pataugeant au milieu de maisons et de quartiers inondés. Il est vrai que ces télévisions ont essayé de se rattraper dans leurs journaux de la mi-journée ou du soir, mais ne devraient-elles pas rameuter tous leurs reporters et organiser des « éditions spéciales » pour informer sur cette catastrophe qui a fait des morts, des blessés, des sans-abris et d’importants dégâts matériels ? Pour moins que cela, certaines de ces chaînes avaient déployé d’importants moyens afin d’assurer le direct d’un meeting politique, d’une soirée de gala, d’un chant religieux, d’un combat de lutte ou d’un simple « sabar » nocturne (séance de tam-tam et de danse). Malheureusement, pour les milliers de sinistrés d’hier, les sponsors, si prompts à financer ce genre de manifestations citées plus haut, ne se bousculent pas quand il s’agit de braquer les caméras sur de pauvres diables en train de lutter pour leur survie.
Ce qui désole dans la politique des responsables des chaînes sénégalaises, c’est la marchandisation à outrance de l’outil télévisuel. Tout est prétexte pour gagner des sous, rafler le jackpot et s’en mettre plein les poches. Ils ne savent pas (ou ne veulent pas savoir) que la télé peut servir à autre chose qu’à seulement faire des affaires. Une télé peut devenir un extraordinaire outil de sensibilisation en des moments de crise, comme celle que nous avons vécus hier et qui, selon les prévisions de la météo, risque fort bien de se reproduire dans les jours ou les semaines à venir. Une leçon à méditer…