Dans ce quatrième et dernier jet de la saga des marchés publics gestion 2008, « L’As » revient sur le processus de cession de la troisième licence de téléphonie, les « instructions » du ministère du Tourisme à l’Anpt, les « déplacements » de la Crse, le Dg de l’Arenva qui s’est pris pour son ministre, le cas de l’Environnement sous Djibo Leyti Kâ…
Sudatel, une vache à lait pour la Banque Rothschild
Le processus ayant conduit à l’arrivée au Sénégal de Sudatel, le troisième opérateur de téléphonie, s’est invité dans le rapport d’audit de Bcs qui passait en revue les marchés 2008 de l’Agence de régulation des postes et des télécommunications (Artp). C’est ainsi que Bsc s’est intéressé à la Banque Rothschild, une banque d’affaires qui a accompagné l’Artp dans le processus de cession de la troisième licence globale. Selon le cabinet d’audit, sa sélection a été faite par entente directe non autorisée. Et mieux, la banque a facturé des honoraires estimés à 1.384.632.723 F CFA payés à hauteur de 999.999.886 F CFA au 31 décembre 2008. L’autre « vautour » est le cabinet d’avocats Clifford Chance. Ce cabinet d’avocats a également accompagné l’Artp dans le processus de cession de la troisième licence globale. Sa sélection a été faite par entente directe non autorisée. Les paiements effectués à son profit au cours de l’exercice 2008 se chiffrent à 437.304.885 F CFA. « L’Artp ne peut passer des marchés par entente directe qu’après autorisation préalable de la Direction Centrale des Marchés publics, et seulement dans les cas prévus par l’article 76 du Nouveau code des marchés publics », fait remarquer l’auditeur, pour dire que ces deux passations sont des cas flagrants de violations. Certains contrats passés par entente directe ont aussi intéressé l’auditeur. Les paiements effectués au titre des contrats par entente directe non autorisée sont estimés à 2.708.687.212 F CFA. Ainsi, l’Artp a signé avec Kys Group, un cabinet de conseil en communication, un contrat par entente directe non autorisée de 12 millions F CFA. Le cabinet d’avocats Me François Sarr et associés a reçu des paiements cumulés de 266.128.480 F CFA d’honoraires. Une partie de ces paiements est liée à l’accompagnement au cours du processus de cession de la troisième licence globale au groupe Sudatel, et les autres règlements sont relatifs au contrat annuel d’assistance et de conseil, chaque année renouvelé et facturé 20 millions F CFA par exercice. Le contrat d’accompagnement pour la cession de la troisième licence court pour la période allant du 10 juillet 2007 au 9 juillet 2008, moyennant des honoraires estimés à 20.000 euros par mois, soit 157.440.000 F CFA par an. Ces deux contrats sont conclus par ententes directes non autorisées. Pire, le cabinet fiscal Mls conseil a encaissé des paiements cumulés de 110.560.000 F CFA. Outre le contrat d’assistance fiscale annuel facturé 2 millions F CFA, un second contrat a été signé pour des honoraires estimés à 135.700.000 F CFA. Ledit contrat est relatif à une mission d’assistance fiscale consécutive à une notification, à l’Artp, d’un redressement fiscal sur la Tva, les Bnc et les retenues à la source. Le Directeur général de l’Artp a marqué son approbation en signant sous son nom dans la proposition de services qui a fait office de contrat. En fait, le chapitre V de la proposition de services intitulé « Formalité contractuelle » stipule que « l’acceptation de l’Artp se fera par la signature au bas de la proposition d’assistance au redressement, qui aura valeur contractuelle ». Il s’agit d’une entente directe non autorisée. Un premier paiement d’une avance de démarrage de 67.850.000 F CFA non couverte par une caution de restitution d’avance a été effectué le 21 mars 2008 ; un second paiement de 40.710.000 F CFA a été fait le 3 octobre 2008. Massa international n’a pas été en reste. Ce courtier en Assurances a reçu des paiements effectués en 2008 de 463.382.124 F CFA sur une facturation de 470.921.124 F CFA. Il s’agit d’un contrat relatif à la couverture d’assurance du personnel, à travers un package qui comprend la retraite complémentaire, l’indemnité de fin de carrière et l’assurance décès. Le contrat conclu avec le courtier a été fait par entente directe non autorisée. Pour finir, les prestations de gardiennage ont continué à être assurées par Bsi, alors que le contrat qui le liait à l’Artp était arrivé à son terme ; des avenants de régularisation ont été signés à deux reprises pour couvrir les périodes concernées. Bsi a travaillé pendant la période du 3 décembre 2007 au 2 février 2008 sans contrat ; par la suite, un avenant de régularisation a été signé le 18 juin 2007 pour la période du 1er avril 2007 au 31 mai 2008. Du 1er juin 2008 au 31 décembre 2008, Bsi a de nouveau continué à travailler sans contrat avant qu’un deuxième avenant de régularisation ne soit signé en janvier 2009 pour la période allant du 1er juin 2008 au 3 juillet 2009, soit 14 mois alors que le contrat stipule que sa durée est de 12 mois. Le contrat de base a été renouvelé deux fois, contrevenant aux dispositions de l’article 25 du nouveau code des marchés.
Dlk, as du fractionnement
Le ministère de l’Environnement alors dirigé par Djibo Leyti Kâ n’a pas été en reste. Selon Bsc, en 2008, le nettoiement des villes religieuses a donné lieu, pendant la même période du 10 janvier 2008, au lancement d’un appel d’offres ouvert attribué à Graphi Print pour un montant de 130.140.000 F CFA TTC, et à une Demande de Renseignements et de Prix attribuée à Senserp Gie pour un montant de 24.570.000 F CFA TTC, en violation des dispositions de l’article 53 du nouveau code des marchés publics relatif aux seuils de passation des marchés. Les services relatifs à l’appel d’offres ont été entièrement exécutés avant l’approbation du marché par l’autorité compétente qui a ainsi entériné une opération de régularisation, en violation des dispositions de l’article 44 du Code des Obligations de l’administration. Pire, certaines dispositions du cahier des charges relatif à l’appel d’offres N° 2 portant sur la fourniture de casquettes et de tee-shirts ne sont pas conformes au nouveau code des marchés. Ces non conformités, portent d’une part, sur l’imprécision du montant de l’attestation de capacité financière exigée aux soumissionnaires (article 4 du cahier des charges) ce qui a eu pour effet l’élimination d’un candidat moins disant que l’attributaire, d’autre part, sur la constitution de la garantie de bonne exécution qui doit intervenir dans les 30 jours suivant la notification (article 7 du cahier des charges), contrevenant aux dispositions de l’article 113 du nouveau code des marchés qui exige la constitution de ladite garantie au moment de la signature du contrat. Dans le cadre du processus d’attribution de ce marché, la Commission des Marchés a éliminé, au stade de l’ouverture des plis, un candidat ayant scanné sa garantie de soumission, outrepassant ses prérogatives, puisque seule l’absence de garantie de soumission est cause d’élimination à l’ouverture. Mieux, l’appel d’offres N° 3 portant sur la fourniture de matériel d’assainissement a également donné lieu à l’élimination, à l’ouverture des plis, de deux soumissionnaires dont la durée de validité des garanties de soumission a été jugée non conforme, alors qu’à ce stade, la Commission des Marchés aurait dû se limiter à recueillir les garanties de soumission et à consigner leurs durées de validité dans le procès-verbal d’ouverture des plis, sans apprécier leur conformité ou non, rôle qui est dévolu à la Commission d’Evaluation. Aussi, le dossier de passation ne comporte pas les procès verbaux de réception prouvant l’exécution effective de la prestation. Encore que l’appel d’offres N° 4 relatif à la fourniture d’effets, d’habillements militaires et d’accessoires a donné lieu à l’élimination d’un candidat qui n’a pas fourni l’attestation de capacité financière exigée dans l’article 4 du cahier des charges, alors que cette même attestation fournie par l’attributaire n’est pas conforme aux exigences du cahier des charges qui fixe son montant à une fois et demie le montant de la soumission (soumission de l’attributaire 123.850.000 F CFA, montant de l’ACF 150 millions F CFA au lieu de 185.775.000 F CFA). Il s’agit d’une rupture manifeste du principe d’égalité des soumissionnaires. Le procès-verbal d’attribution fait état d’une vérification des compléments de dossiers administratifs de deux soumissionnaires, alors que le procès-verbal d’ouverture des plis, qui ne leur a pas été transmis, ne mentionne nullement qu’un délai leur avait été accordé pour fournir lesdites pièces manquantes. Enfin, ce marché a été exécuté à hauteur de 37.999.500 F CFA TTC, en raison d’une insuffisance des crédits qui ont subi une ponction. Des clauses discriminatoires et abusives ont été introduites dans les dossiers d’appel d’offres relatifs d’une part à la réalisation, et d’autre part à l’entretien et la maintenance des bassins de rétention qui ont pour effet d’entraver le libre accès à la commande publique. La pratique du fractionnement des marchés a été constatée sur plusieurs types d’acquisitions (entretien et réparation de véhicules, maintenance informatique, consommables informatiques) avec une démultiplication de Demandes de renseignements de prix qui, en valeurs cumulées, dépassent le seuil de passation des marchés par appel d’offres.
Aminata Lô Dieng « pompe » l’Anpt
Le moins que l’on puisse dire est que l’Agence nationale de la promotion touristique (Anpt) a « subi » les factures de son ministère de tutelle en 2008. En effet, l’examen du journal de trésorerie de l’Anpt a permis d’identifier, sur la base d’un sondage, certaines transactions non consignées dans le tableau récapitulatif des acquisitions pour lesquelles les principes de transparence n’ont pas été respectés. C’est le cas de l’avis de règlement N° 009/07 du 09 juillet 2008 d’un montant de 4.818.000 F CFA H Tva. Ce paiement est relatif à l’achat de billets d’avion à l’agence de voyage Soda Travel Service, « sur instruction du Ministre des Sénégalais de l’Extérieur et du Tourisme », selon l’auditeur qui ajoute qu’aucune justification n’est fournie dans le dossier sur l’effectivité de ces prestations et le cadre dans lequel ces déplacements ont été effectués. Idem pour l’avis de règlement N° 17/08 d’un montant de 20 millions F CFA H Tva. Ce chèque N° 4761219 tiré sur le Crédit Agricole a été libellé au nom de Djiby Diakhaté, Dage du ministère, sur « instruction du Ministre des Sénégalais de l’Extérieur et du Tourisme (lettre 01663/MSET/DAGE) ». Là non plus, aucune justification de la destination et de l’utilisation de cette « subvention » n’a été fournie. Pour les cas insolites, on peut citer l’avis de règlement N° 19/09 du 12 septembre 2008 d’un montant de 4.672.800 F CFA H Tva. Ce paiement effectué au profit de Darmanco est relatif à l’achat de cadeaux promotionnels pour le Top Resa 2008. Les lettres de saisine (N° 1278 à 1281) des quatre entreprises consultées datent du 10 septembre 2008. Les quatre offres versées au dossier sont toutes datées du 11 septembre 2009 et sont présentées de la même façon, laissant entrevoir une collusion entre Safaci Sarl, les Ets Ababacar Sy Cissé et le Gie Fk.
Le Dg de l’Anreva se prend pour son ministre
Au niveau de l’Agence pour le retour vers l’Agriculture (Anreva), le marché de véhicules de 56.280.959 Fr CFA a été approuvé par le Directeur Général de la structure, en lieu et place de l’autorité contractante compétente : le ministre de l’Agriculture. Pire, le registre de présence des candidats à l’ouverture des plis est inexistant. La commission des marchés instituée par l’autorité contractante compétente n’a pas établi, pour la gestion 2008, un rapport annuel, comme l’y invite le code des marchés publics. La cellule de passation des marchés instituée par la même autorité contractante n’a produit aucun rapport trimestriel. La commission des marchés et la cellule de passation du ministère ont été tardivement mises en place (juin 2008), soit six mois après l’entrée en vigueur du Nouveau Code des Marchés Publics, Les Demandes de renseignements de prix (Drp) relatives à l’achat de 800.000 plants de choux (fournitures) pour un montant initial 25.960.000 Fr CFA, et à l’Assurance maladie (Services) pour un montant initial de 24.678.800 FCFA auraient dû faire l’objet d’un Appel d’offres, conformément aux seuils fixés par le code des marchés. Cette Drp n’a été adressée qu’à quatre fournisseurs au lieu de cinq.
49.342.790 FCFA rien que pour des voyages à la Crse
La gestion 2008 de la Commission de régulation du secteur de l’électricité (Crse), sous Ibrahima Thiam, a intéressé les auditeurs. La mission a porté, outre la revue de l’organisation institutionnelle de l’Autorité Contractante, sur un montant total des marchés de F CFA 62.245.725, soit 100 % des marchés passés au titre de la gestion 2008 par la Crse. Au plan institutionnel, la Crse s’est conformée tardivement (au dernier trimestre de la gestion 2008) aux dispositions du nouveau Code des Marchés, en ce qui concerne la mise en place de la Commission des Marchés et de la Cellule de Passation des Marchés. Par ailleurs, ni la Cellule de Passation des Marchés ni la Commission des Marchés n’ont produit respectivement les rapports trimestriels et le rapport Annuel sur les marchés passés au titre de la gestion 2008. Au plan de la passation des marchés, les violations aux dispositions du Code des Marchés les plus significatives ont été celles relatives à l’information des soumissionnaires et des tiers ; il a été constaté la non-transmission des procès-verbaux d’ouverture des plis aux soumissionnaires et la non-publication, dans la majorité des cas, de l’attribution provisoire. En outre, l’auditeur a identifié des montants de dépenses au titre des voyages et déplacements et du carburant qui, compte tenu de leur consistance (soit respectivement de F CFA 49.342.790 et F CFA 25.707.420), auraient dû faire l’objet d’appels d’offre ou de demandes de renseignements et de prix. « Ces dépenses ont été exécutées sans appel à la concurrence, ce qui n’a pas permis à la Crse de bénéficier d’éventuelles économies ou de meilleures modalités de paiement », dit l’auditeur.
La Direction de l’administration pénitentiaire en flagrant délit d’incohérences
Au ministère de la Justice, l’auditeur a constaté une incohérence sur les procédures de passation de certaines Demandes de renseignement de prix (Drpe), relativement aux différentes étapes. C’est le cas par exemple à la Direction de l’administration pénitentiaire. Pour le cocktail à l’occasion de la première promotion des inspecteurs de l’administration pénitentiaire, un marché de 5.994.400 FCFA a été octroyé au Gie Keur Astou Lô. L’auditeur souligne que dans ce marché, la date limite de dépôt des offres est fixée au 16 Juillet 2008 à 10 heures, alors que l’ouverture des plis est fixée au 3 Juillet 2008 sur la lettre d’invitation, soit… 13 jours avant ! C’est aussi le cas du repas à l’occasion de la cérémonie de la fête de l’indépendance. Un marché de 8.998.000 FCFA a été octroyé au Gie Mbery Meïssa Teind Mbemet. L’auditeur souligne que la Drp a fait l’objet d’un contrat entre le Gie Mbery Meïssa Teind Mbemet et la Direction de l’administration pénitentiaire, daté du 2 Juin 2008, pour les festivités de la fête de l’indépendance prévues les 2, 3, 4 avril 2008. Il découle de ce qui précède qu’il s’agit d’une régularisation. L’auditeur a constaté le même numéro de Ninea sur les factures pro-forma de fournisseurs dans une même Drp de la Direction de l’administration pénitentiaire. Pour ensuite noter la présence d’un même gérant (constaté dans les contrats signés) soumissionnant par l’intermédiaire de deux sociétés différentes, dans la même Drp passée par la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces.
La mairie de Kaolack se noie dans le carburant
Au niveau de la mairie de Kaolack, gestion 2008, l’auditeur a identifié des montants de dépenses au titre du carburant et des tickets de perception qui, compte tenu de leur consistance (soit respectivement de F. CFA 109.759.066 et F. CFA 14.790.400), auraient dû faire l’objet d’un appel d’offres (carburant) et de demandes de renseignements et de prix (tickets de perception) ; ces dépenses ont été exécutées sans appel à la concurrence.
Mactar Ndiaye de l’Anams brouille un avenant
Au niveau de l’Agence nationale de la météorologie Sénégalaise (Anams), la Drp n’est pas toujours suffisamment détaillée pour permettre des offres homogènes (ex : location bus, achat fax, mission d’audit organisationnel, mission d’inventaire et d’assistance comptable et financière). Des violations flagrantes des règles et procédures de passation des marchés publics (ex : la mise en place du personnel temporaire d’opération d’un montant initial de 23.042.757 a fait l’objet d’un avenant dont le montant est supérieur de plus de 30% à celui du contrat initial , portant le montant global à 38.354.595 au delà du seuil autorisé pour les marchés ; prestations intellectuelles : la sélection a porté sur 3 candidats au lieu de 5). Toutes choses qui font que, selon le cabinet Mamina Camara, l’Anams n’a pas respecté les procédures de passation en 2008.
C. M. G
Pape Diop n’a pas reçu le pré rapport pourtant transmis à la Ville de Dakar…
À la suite de la publication par L’As du rapport d’audit de la ville de Dakar, le président du Sénat a soutenu sur les ondes qu’il n’a jamais reçu le rapport provisoire du cabinet Bsc. Pourtant, lors d’une conférence de presse, le président du comité de règlement des différends dans les marchés publics a soutenu qu’un pré-rapport avait été effectivement envoyé à la mairie Dakar avant d’ajouter : « Nous ne travaillons pas avec des personnes physiques mais avec des institutions. Qui a raison ? Le président du Sénat a raison, tout comme Youssouf Sakho. En vérité, la faute incombe à la…ville de Dakar. Par lettre en date du 9 décembre 2009, Bsc avait communiqué à « Monsieur le maire de la ville de Dakar », en ce moment Khalifa Sall, le pré-rapport reçu et enregistré sous le numéro arrivé 10882. Ibra Guèye, associé à Bsc, écrivait dans la missive : « Objet : transmission du rapport provisoire de la mission de revue indépendante de la conformité de la passation des autorités contractantes au titre de la gestion 2008. Monsieur le maire, veuillez trouver ci-joint, pour examen et observations, la version provisoire du rapport de la mission en objet. Nous vous prions de bien vouloir faire parvenir vos commentaires pour nous permettre de finaliser ce document. Nous demeurons à votre disposition pour toute information complémentaire ». La question : pourquoi après avoir reçu le pré rapport, la nouvelle équipe municipale ne l’a pas transmis à Pape Diop, d’autant que c’est la gestion de ce dernier qui était concernée par l’audit ?
C.M.G
lasquotidien.com