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Pression foncière autour des casernes militaires : L’Armée étouffe à Dakar

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La boulimie foncière qui refuse de s’estomper à Dakar ne laisse rien sur son passage, même pas la quiétude des forces Armées. En effet, il n’existe plus une caserne militaire dont la sécurité et la discrétion ne sont pas aujourd’hui remise en cause par les immeubles qui naissent autour du domaine militaire à défaut de l’empiéter. Le comble a été atteint avec le régime libéral qui a érigé le Monument de la Renaissance africaine au dessus du camp des Mamelles. Il se pose ainsi un sérieux problème de sécurité civil et militaire lié à la sensibilité des outils militaires. A Ouakam, à Liberté VI et à Thiaroye, la grande muette dénonce un envahissement civil qui la fait déménager vers d’au­tres secteurs plus discrets et moins exposants aux périls.
«Domaine militaire, zone interdite !» Ce mot d’ordre qui affiche ses lumières devant les cantonnements de l’Armée ne déroute plus les promoteurs immobiliers. Les grues rodent tout autour. Les lotissements deviennent de plus en plus envahissants. L’opération non planifiée «zéro réserve foncière à Dakar» n’épargne pas les bases militaires. Leurs dépendances sont déjà domptées et morcelées. La mort du temple des Armées la plus sublime est celle du bataillon de l’artillerie basé au camp des Mamelles. Il a souffert d’un hôte envahissant, le Monument de la Renaissance africaine. Toucher du doigt, ce massif de bronze relève d’un parcours de combattant. Il faut avoir du jus dans les jambes. C’est le prix à payer pour jouir d’une vue en plongée panoramique sur la capitale sénégalaise. Même le Palais présidentiel est à la portée des objectifs à plus forte raison le camp érigé au pied de la colline. En effet, la caserne des artilleurs se livre à la portée de toute curiosité. Sa discrétion est trahie. La base a été acculée, repoussée jus­que dans ses derniers retranchements. Au bout du compte, c’est le sauve-qui-peut. Mal­­gré leur puissance de feu, les artilleurs se sont désormais «réfugiés» dans l’ex-base française de Bel-Air. Et pour cause, les Ma­melles ont troqué leur drap de sécurité contre une statue. De ce fait, escalader les Mamelles est devenu une partie de plaisir pour les civils. Mieux, cela est facilité par les marches en béton. Depuis lors, sécuriser les batteries relève d’un saut d’obstacles quasi-impossible. La solution : déménager.
Au sommet de la colline de Dakar, la caserne offre son cadre aux caméras. On aperçoit les tuiles ocre des appartements s’érodant. Dans la cour, quelques mouvements de soldats solitaires en tenue treillis de camouflage. Une caserne désertée, dirait-on. Pis, ses atours militaires s’ef­filochent.

Champ de tirs déclassé
L’entrée principale franchie, il n’existe plus la moindre sentinelle à des endroits stratégiques. Quant au mur de protection, des pans de barbelés cèdent à l’agression des civils. Ils deviennent des raccourcis pour accéder à la mer en traversant la caserne. Les arbres meurent de soif. Le drapeau est rangé. Autour du terrain de football situé au cœur de la caserne, des jeunes en tenue civile se disputent du temps de jeu. Situé aux pieds de l’une des collines des Mamelles, le camp militaire éponyme est une victime du gigantesque bijou cher à Me Abdoulaye Wade. Pour ceux qui viennent s’abreuver à la source symbolique de la Re­nais­sance africaine, la base militaire s’expose plus que jamais à leur indiscrétion. Pour s’éloigner des regards indiscrets, un changement de vocation a été opéré. Une nouvelle enseigne électrifiée scotchée sur le portail en dit long: «Etat-major de l’Armée de l’air». Et en sous-titre : «Premier bataillon d’infanterie».
Entre les Mamelles et la mer, l’activité foncière est très vivante sur le domaine maritime. Des grottes stratifiées émergent des hôtels. A ce niveau de la corniche, une route empiète le domaine militaire. Pour accéder à leurs installations nichées sur les falaises rocheuses, les soldats doivent traverser la chaussée. Pourtant ces falaises côtières qui cèdent à la pression de l’érosion marine sont manifestement stratégiques. Et elles ne sont pas désertées contrairement aux appartements. Une unité y assure la ronde. Jadis site discret, l’assèchement progressif du voile forestier désacralise cet antre militaire. Un jeune soldat en tenue de sport se baladant vers les Almadies savoure la brise de mer matinale. Il regrette tout de même le déclassement du domaine public maritime et militaire à ce niveau. «On a perdu un bon endroit. L’Etat ne devait jamais donner ces terres à des hommes d’affaires.» Entre les Ma­melles et la corniche trône un panneau de chantiers et de propriétés privées qu’il peine à digérer. L’œuvre est du groupe kowétien Al Kharafi. «Regardez cet immeuble en phase de finition. C’est ici où se trouvait notre champ de tir. Maintenant, il sera remplacé par un hôtel», s’indigne le soldat.

La base aérienne asphixiée
Entre les soldats et les Mamelles, c’est une histoire de massacre qui a duré des décennies. Un sous-officier rencontré à Ouakam se rappelle ses jours de jeune soldat fraîchement sorti de Dakar-Bango.
«Lors de la formation de qualification d’arme (Fqa), on s’exerce au tir ici. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. L’endroit a perdu de sa discrétion», regrette-t-il. A propos des Mamelles, ce Diambar retient des soirées de manœuvres. «Le bataillon d’artillerie accueille des stagiaires venus de les toutes régions du Sénégal. Lors d’exercices nocturnes, les soldats grimpaient la colline, équipement individuel léger au complet. Ce n’est plus possible dans cet endroit», se rappelle-t-il.
L’erreur monumentale dit-il, est de réduire une caserne militaire à des logements. Ce sont des espaces d’applications techniques «pour maintenir la forme opérationnelle du soldat». Et ce travail demande de l’espace à l’abri des civils. «Aujourd’hui, on s’exerce hors de Dakar», explique-t-il. Le sous-officier emprunte les rues de Ouakam, ce village lébou dont la périphérie abrite plusieurs casernes militaires depuis l’époque coloniale. A telle enseigne que des implantations militaires font partie du décor Ouakamois. Drapé dans un grand boubou immaculé, le vieux Ndoye marche à pas feutrés vers la base aérienne du capitaine Andalla Cissé qui partage la barrière avec l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Quand il parle de la vie militaire à Ouakam, l’émotion se manifeste à travers la tonalité de sa voix. «Toutes ces constructions autour de l’aéroport militaire sont récentes. Je peux vous dire que, jusqu’à 2006, c’était une brousse», se souvient-il. Le sexagénaire de se rappeler que les soldats sénégalais ont occupé le camp des Mamelles dans les années 70.
Parlant de la base aérienne, il s’étonne des châteaux R+3 en construction au nord de la caserne, juste derrière le mur de sécurité. Il veut nommer le quartier Touba-Ouakam. C’est la propriété de gros bonnets de la République qui ont joui des largesses foncières du Président Wade. A deux pas des barbelés de la base militaire, les immeubles poussent comme des champignons sous le regard impuissant des commandos fusilleurs de l’air et pilotes. Même l’Etat s’est servi. L’homme d’affaire Cheikh Amar y doit des immeubles à l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp).

Leclerc encerclé
Malgré l’asphyxie qui se concrétise à chaque levée de soleil, les militaires s’occupent de leur tasse quotidienne, multipliant les va-et-vient entre les bureaux les hangars où sont garés les hélicoptères. Les Fokkers s’épanouissent sur la piste. Le manteau de discrétion s’évanouit. Les balcons de nouvelles bâtisses donnent une plongée sur l’activité militaire. Dans une telle zone d’atterrissage d’avion, un problème de sécurité civile et militaire s’y pose aujourd’hui avec acuité. Ayant horreur d’une profanation aussi avancée de ses installations, l’activité de l’armée de l’air sénégalaise se délocalise de plus en plus à Thiès. La pression est plus accentuée autour du camp Leclerc de Liberté 6. A partir du balcon de bien des immeubles aux alentours, on perce le mystère de la caserne. «Il y a quelques années, il n’y avait que des arbres ici. Aujourd’hui, on est entouré par des quartiers résidentiels», se désole un soldat de l’Asso­ciation sportive des forces armées (Asfa). «C’est un sérieux problème de sécurité qui se pose. Dans les camps militaires, on chante et danse parfois jusque tard dans la nuit. Cela ne doit pas se faire au milieu des quartiers civils», renseigne-t-il. Y tenir des exercices loin des oreilles indiscrètes des civils devient impossible. Ce n’est donc pas étonnant de lire sur l’écriteau de la caserne militaire située aux Mamelles «Pre­mier bataillon d’infanterie». C’est en fait ce bataillon qui occupait le Camp Leclerc. Sans doute un déménagement en vue, si ce n’est déjà fait puisque les artilleurs ont quitté les lieux pour rejoindre le camp de Bel-Air jadis occupé par les Français.
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