« Être dans une prison au Sénégal relève du combat », raconte Oumar Diallo, chargé de l’assistance juridique et de l’alerte d’urgence de la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO), basée à Dakar. De nombreux exemples révèlent les effroyables conditions de détention et les violations des droits de l’homme dans les prisons du pays. L’institution carcérale n’a pas suivi les évolutions de la société. En dépit de l’explosion démographique et d’une forte augmentation de la délinquance, aucun centre pénitentiaire n’a été construit depuis l’Indépendance du pays en 1960. Le Sénégal compte 37 lieux de détention (dont 32 maisons d’arrêt et de correction (MAC), deux camps pénaux, une maison centrale d’arrêt et un pavillon spécial) qui accueillent environ 17 000 prisonniers.
Selon un communiqué de la Commission africaine des droits de l’homme et du peuple (DDHP), « beaucoup de personnes en détention préventive passent illégalement trop de temps dans les lieux de privation en attendant leur jugement ». En 2008, la DDHP a recensé 31 personnes ayant passé dix ans de détention provisoire avant d’être acquittées. Des étrangers, aussi, croupiraient souvent dans les cellules du Commissariat Central de Dakar des mois durant, en attendant leur reconduction à la frontière.
« Les victimes de la double peine »
« Les détenus sont souvent des victimes de la double peine », ajoute Oumar Diallo. En plus de l’enfermement qu’ils subissent, les conditions sanitaires précaires causent de récurrentes épidémies (VIH, Tuberculose, Malaria). Face à ces problèmes, peu de visites médicales sont assurées et les médicaments manquent indéniablement. « Diriger une prison est un métier complexe. Il faut tout faire fonctionner, que ce soit en matière de droits humains, d’hygiène, de santé ou de réinsertion professionnelle », explique Cheikh Sadibou Doucouré, chef du service communication de l’Administration pénitentiaire. « Il arrive donc que sur certains sujets, notre connaissance soit partielle ».
Les prisons sont très souvent surpeuplées. Avec 1500 détenus, celle de Rebeuss compterait quatre fois plus de détenus qu’elle n’en devrait. Les cellules collectives réunissent parfois jusqu’à 180 personnes. « Les conséquences du surpeuplement des prisons sont physiques, sociales et économiques, parce qu’elles causent le stress, l’énervement, les maladies de la peau, l’aggravation ou la complication de certaines maladies qu’elle occasionne sur la population carcérale » dénonce un communiqué de la RADDHO. Surnombre oblige, la malnutrition sévit, « les prisons sénégalaises ne pouvant parfois pas distribuer plus d’un repas par jour », a dit Oumar Diallo. « Elle est d’une si mauvaise qualité qu’on peine à la manger », a-t-il ajouté.
Selon l’Administration pénitentiaire, les conditions des femmes sont plus satisfaisantes dans la mesure où cette catégorie de la population carcérale vit dans des unités moins pénibles. Celles qui ont des enfants peuvent les garder jusqu’à l’âge de sevrage (3 ans au plus). « Elles sont suivies avec leurs enfants dans des conditions comparables à celles qui sont offertes dans le monde libre », affirme Cheikh Sadibou Doucouré. Des quartiers pour mineurs existent aussi même s’il semble courant de voir des jeunes de 13 ans aux côtés des adultes.
Un meilleur futur pour les détenus ?
Pour remédier aux lacunes que connaît le milieu carcéral du Sénégal, les autorités sénégalaises s’engagent dans une réforme visant à améliorer les conditions de détention. Cheikh Tidiane Diallo, directeur de l’Administration pénitentiaire, promet d’améliorer et de moderniser les prisons à travers un programme d’infrastructures et de réhabilitation.
Pour cela, la délégation régionale du Comité internationale de la Croix-Rouge (CICR) et le ministère de la Justice ont organisé du 4 au 6 novembre 2009 un séminaire « sur les droits des détenus, l’hygiène et la santé ». « Nous espérons qu’il permettra de renforcer les capacités des participants tout en leur offrant un forum pour partager leurs expériences », a expliqué Sophie Orr, coordinatrice de la Protection de la délégation régionale du CICR. A l’issue du séminaire, les cadres ont fait une évaluation sur la situation des prisons et ont formulé des recommandations, sur la nécessité de respecter les règles d’hygiène dans les établissements et de préserver le droit à la santé des détenus, pouvant servir de trame à la vaste réforme du secteur pénitentiaire qui doit se dérouler jusqu’en 2013.
D’après l’Administration pénitentiaire, la réforme devrait prendre en compte l’augmentation du nombre de places et l’amélioration du cadre de détention. De nouvelles constructions sont dès lors prévues avec la délocalisation de la prison de la maison d’arrêt de Dakar à Sébikotane, localisée à 40 km de la capitale. La date de début d’exécution n’est pas encore déterminée. Les recrutements et formations devraient être d’autre part renforcés. Comme le précise Cheik Sadibou Doucoure, « tous les agents de l’administration pénitentiaire ont subi une formation initiale à l’école nationale de police et de la formation permanente (ENPFP). S’y ajoute désormais un programme de formation continue pour le renforcement des capacités ».
Les autorités sénégalaises sont optimistes quant à la réussite de la réforme en cours. « Nous espérons rester un modèle de référence pour les autres pays africains dans la mesure où les responsables pénitentiaires effectuent de plus en plus de visites de partage, d’échanges ou viennent pour s’imprégner des pratiques sénégalaises dans le domaine pénitentiaire », déclare Cheikh Tidiane Diallo.
La définition d’une véritable politique en terme de réinsertion sociale des détenus est essentielle pour que le système fonctionne. « En sortant, les détenus sont rarement vus comme des citoyens mais comme des personnes marginalisées », déplore Oumar Diallo . D’ici la fin 2010, une commission devrait être créée pour indemniser les dommages liés à la détention. Longues à mettre en forme, les réformes suscitent de grands espoirs parmi les détenus du Sénégal.
afrik.com