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Monsieur le PM, vous échouerez par la monnaie !

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 Après vous avoir écouté crayon à la main, nous nous permettons de vous dessiner à grands traits l’une des raisons de votre échec programmé : le Franc CFA.

Vous savez, pour avoir été au coeur de ce système en tant que cadre de la BCEAO, que les politiques monétaires restrictives sont nocives pour les économies en développement. En visant une cible d’inflation particulièrement basse (2%) correspondant à la cible d’inflation de la zone Euro, la BCEAO arbitre en défaveur de la croissance. Une telle attitude est irrationnelle pour des pays pauvres qui doivent faire des taux de croissance de 7% pour espérer atteindre les OMD à l’horizon 2015 et sortir de la pauvreté.

La maîtrise de l’inflation associée au taux de change fixe CFA/Euro, géré avec le mécanisme du compte d’opérations liant la BCEAO au Trésor français, rend non compétitif le secteur productif ouest africain dans son ensemble et sénégalais en particulier.

Ces deux paradigmes sanctifiés dans l’UEMOA ont comme conséquences matérielles des vertus pour une prise de risque limitée des banques qui aboutissent logiquement à une distribution moindre des crédits à l’économie tandis que l’histoire semble prouver, au contraire, que la multiplication des possibilités d’investissement suscite, avec le temps, une croissance économique soutenue.

L’accroissement de la productivité et des capacités productives engendrées par l’investissement est la condition d’un accroissement durable et important de la production et d’une croissance économique, telle que le démontre la saga des pays d’Asie du Sud-Est et, dans une moindre mesure, de l’Afrique du Nord. Les dépenses d’investissement sont à la base du profit des entreprises qui créent la richesse collective. La problématique de la non efficience de la politique monétaire dans l’UEMOA est fondamentalement liée au fait que les banques les plus importantes de la zone sont des groupes étrangers avec une maison mère basée dans l’OCDE, au Nigeria (UBA) ou au Maroc (Attijari).

Ces banques, vous le savez mieux que quiconque pour en avoir installées au Sénégal, sont pour l’essentiel attirées par la perspective des profits substantiels qu’elles peuvent réaliser sur notre place financière. Leur principale activité consiste aujourd’hui à placer leurs énormes excédents de liquidités (plus de 100% au Sénégal par exemple sur les 3 dernières années contre 75% prévu dans le dispositif prudentiel applicable aux banques et établissements financiers de l’UEMOA) dans les juteux marchés monétaires et obligataires qui sont des actifs quasiment sans risques. La grave implication d’un tel comportement est la parfaite éviction du système bancaire des entreprises autochtones censées créer la richesse de nos pays. Une telle forfaiture est rendue possible par la voracité des Etats qui émettent à tour de bras, via les Trésors nationaux, des titres de créances négociables par adjudication (avec le concours de la BCEAO) souscrites immédiatement au lieu d’opérer les ajustements internes nécessaires pour limiter des déficits budgétaires liés le plus souvent à des dépenses somptuaires voire à des comportements délinquants.

Aucun mode de financement des Etats (avances directes des banques centrales ou recours au marché régional de la dette publique), ne saurait les soustraire à la nécessité de mener des politiques macro-économiques de qualité accompagnées par des politiques budgétaires saines et sobres. A cet égard, Monsieur le Premier ministre, votre promptitude ainsi que celle de votre ministre des Finances (issu comme vous du milieu bancaire), à émettre à tour de bras des titres de la dette publique sénégalaise immédiatement capturés sur la place financière ouest africaine est assez édifiante.

L’interpellation du président du groupe parlementaire du PDS (Modou Diagne Fada) sur ce point est beaucoup moins triviale que votre réponse débonnaire pourrait le laisser penser. La boucle de votre échec programmé est bien “bouclée” par le dispositif prudentiel de la BCEAO qui limite à dessein les actions commerciales des banques vis-à-vis des PME.

En effet, la règle de couverture des risques, le ratio de structure du portefeuille et les accords de classement imposés aux banques sont des barrières infranchissables pour l’accès au crédit des entreprises locales caractérisées par la faiblesse de leurs fonds propres. Cette situation pousse les banques à une concentration sur les sociétés d’Etat privatisées ou en phase de l’être et quelques signatures estampillés Coface qui les mettent toutes en concurrence accrue et qui assurent in fine la sortie des richesses créées sur notre sol vers des destinations plus ou moins avouables.

Au lieu d’insinuer des coupes sombres sur la frange la plus fragile de notre population (bourses des étudiants, factures d’électricité…), nous aurions aimé vous entendre parler des énormes réserves de change oisivement conservées au Trésor français (110% de couverture sur 20% exigés) jetant le trouble sur la transparence de la gestion des autorités monétaires de l’UEMOA. Dans la foulée, il serait peutêtre temps de poser la question de la légitimité d’une Institution comme l’UEMOA à conduire une politique monétaire dont le principal mérite est d’aider ses pays membres à atteindre le point d’achèvement au statut de PPTE (Pays Pauvres Très Endettés). De fait, on ne peut pas mettre en place une politique monétaire et économique commune pour des pays sous le seul prétexte qu’ils ont été colonisés, c’est-à-dire exploités sous la pire forme, à trois exceptions près (le Cameroun et les 2 Guinées), par un même pays, la France.

Monsieur le Premier ministre, vous le savez mieux que quiconque, la monnaie est d’abord une affaire de souveraineté portée en principe par des institutions nationales ou communautaires libres. La politique monétaire quant à elle, doit correspondre au stade de développement et d’organisation de l’économie et du système financier de sa zone d’action, et non pas être la chasse gardée d’une ex-puissance coloniale nostalgique de ses comptoirs.

Même si, par réalisme, nous acceptions de faire fi de tout ce qui précède, la gestion actuelle du FCFA ne peut pas mener au “Yokuté” cher à notre président en raison du comportement des agents économiques face aux mécanismes monétaires. Les principaux agents économiques ainsi que les ménages ont une nette préférence pour la liquidité, ce qui induit un niveau anormalement élevé de la demande d’encaisses fiduciaires en dépit des progrès de la scripturalisation.

La conséquence de cette situation est le faible taux de bancarisation de la zone (6 %) qui laisse en rade les segments les plus significatifs de l’activité économique que sont le monde rural et le secteur dit informel. Comparée aux taux de certains pays africains qui gèrent leur propre monnaie, la zone CFA est ridicule : la Zambie (33%), le Maroc (40% avec un objectif de 60% en 2013), le Botswana (54%), la Namibie (55%), la Tunisie (60%), et l’Afrique du Sud (63%). La faiblesse du taux de bancarisation rend impossible la mobilisation de l’épargne qui, liée au revenu, reste, quand elle est disponible, entre les mains de ceux qui la créent et que le monde financier bien pensant appelle les acteurs du secteur informel. La preuve formelle de cette réalité nous a été superbement donnée par les sommes mobilisées en un temps records grâce à de simples appels “informels” de radios privés devant les inondations.

Convenez-en, Monsieur le Premier ministre, un véritable marché financier où l’épargne longue pourrait trouver à s’employer n’existe pas. La BRVM, belle construction intellectuelle, ne sert que les banques et les investisseurs institutionnels  : la finance islamique que vous appelez à la rescousse n’y pourra rien. La vérité est que l’existence d’un véritable marché financier est fortement corrélée à la situation macroéconomique des Etats de la zone et des mécanismes d’incitation mis en oeuvre pour attirer l’investissement direct étranger (IDE).

L’environnement juridique des affaires, la transparence et la bonne gouvernance doivent être des réalités avant que le marché financier ne puisse atteindre une taille critique lui permettant d’influencer la prise de “risques raisonnables” par les banques. L’épargne des ménages et des entreprises que ces banques là essaient de capter se tient encore à un niveau insuffisant pour assurer un financement adéquat du développement. Les crédits long terme qui servent à l’investissement sont faibles dans la zone et représentent au Sénégal, par exemple, selon une étude récente, 5% des crédits à la clientèle essentiellement constituée de crédits immobiliers et concernent pour plus de 70% les grandes entreprises. Les PME occupent moins de 20% de ces crédits, soit une enveloppe qui tourne autour de 12,5 milliards sur 64,5 milliards toutes entreprises confondues. Sous ce registre, la performance des SFD qui, malgré des ressources limitées arrivent à couvrir 60% des besoins de leur clientèle PME alors que le secteur bancaire ne finance que le tiers des besoins qui lui est exprimé, indique les chantiers que vous devez explorer.

La compétence incontestée qui est la vôtre doit vous pousser à engager votre responsabilité technique dans la gestion d’une politique monétaire adaptée aux besoins de nos différents pays. Ce faisant, vous épargnerez au FCFA les lendemains incertains que lui promettent la prise de conscience des masses laborieuses de nos nations qui ont payé, plus qu’à leur tour, les errements d’une politique monétaire extravertie.

CHEIKH TIDIANE SY MBA in Banking and Finance [email protected]

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