«Des chefs d’Etat africains sont revenus au pouvoir, parce qu’ils n’ont pas hésité à demander pardon»
Babacar Guèye, professeur de droit constitutionnel, est persuadé que la justice traditionnelle peut être d’un grand apport dans le règlement des conflits en Afrique où parfois les chefs traditionnels ont plus de légitimité que les autorités officielles. Cela s’est vérifié lors des conférences nationales à l’issue desquelles des chefs d’Etat sont revenus au pouvoir, parce qu’ayant demandé pardon.
Propos recueillis par D. GBAYA
Que pensez-vous de l’étude réalisée sur le rôle de la justice traditionnelle en Afrique ?
J’avoue que je ne l’ai pas encore lue ; j’en ai connaissance à travers la présentation qui a été faite ce matin (l’entretien a été réalisé le mercredi 28 avril : Ndlr) par le Pr Luc Huyse. D’après ce qu’il a dit, au fond, la justice traditionnelle est une justice qui a tendance à aboutir à la réconciliation. Et elle me paraît conforme à la tradition africaine. En Afrique, nous n’aimons pas en général les jugements dans lesquels il n’y a ni un vainqueur, ni un vaincu, parce que ces jugements ont pour conséquence de séparer définitivement, de ne pas permettre de souder les liens fissurés par le conflit. C’est la raison pour laquelle, les Africains ne vont pas souvent vers les juridictions nationales ; ils préfèrent trouver un arrangement. On dit souvent en Afrique qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon jugement. Ca ne veut pas dire que, contrairement à ce qu’il(le Pr Luc Huyse) a semblé dire, que nous sommes pour une impunité. Ce mode de règlement des différends débouche sur l’identification de celui qui a tort, mais surtout sur le pardon. En Afrique, on a cette culture du pardon. De nombreux chefs d’Etat africains sont revenus au pouvoir, parce que lors des conférences nationales, ils n’ont pas hésité à demander pardon. C’est une culture très ancrée en Afrique. Il arrive que celui qui est considéré comme le fautif donne une offrande.
Il a été aussitôt question de l’indemnisation des victimes en Afrique, du fait de manque de ressources financières…
Je crois qu’il (Luc Huyse) parle de la justice moderne qui a tendance à châtier celui qui a commis les crimes, plus qu’à dédommager la victime. Or, dans la justice traditionnelle, on pense à la victime. C’est pourquoi on devrait aller vers la combinaison des deux justices. Malheureusement, la justice internationale ne conçoit pas ou n’envisage pas de prendre en considération la justice traditionnelle dans ses règlements, alors que cette justice traditionnelle peut être d’un très grand apport. Il a aussi parlé d’absence de légitimité de la justice traditionnelle. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce qu’il a dit. Dans l’espace restreint du village, de la communauté, de l’ethnie, la justice traditionnelle est plus légitime que la justice moderne. Le chef traditionnel a souvent plus de légitimité que les autorités administratives. Ce qu’ont compris certains pays comme le Lesotho, le Swaziland, qui arrivent à représenter les chefs traditionnels dans les institutions. Ils arrivent à réaliser une sorte de syncrétisme entre représentation moderne et représentation traditionnelle. A Ouakam, lorsqu’un conflit éclate, on pense d’abord à aller devant le Jaraaf. C’est lui qui est chargé de trouver un mode de règlement. Et c’est seulement lorsque le Jaraaf n’aura pas réussi à régler définitivement le conflit qu’on va vers la justice moderne. Je voudrais, qu’on en arrive là en Afrique.
On parle en ce moment de négociations de paix en Casamance. Est-ce que vous pensez que la justice traditionnelle peut contribuer à ramener cette paix souhaitée ?
Il ne faut rien exclure, puisque les rois en Casamance sont des personnalités très respectées. Il y a des aspects dans ce conflit dont on ne parle pas assez souvent et auxquels il faudrait penser pour régler ce conflit-là. Il semblerait qu’il y a un pacte noué entre les différents protagonistes. Et le pacte, c’est quelque chose d’extrêmement important en pays Joola. Cela renvoie aux valeurs traditionnelles propres à la Casamance. C’est pourquoi, il faudra nécessairement prendre en compte cet aspect des choses.
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