Le temps de soigner les blessures est arrivé.
Le temps de combler les fossés qui nous séparent est arrivé.
Le temps de construire est arrivé.
Nelson Mandela
De l’homme de lettre Senghor, à Me Abdoulaye Wade, en passant par l’énarque Abdou Diouf, l’éducation a toujours été, selon les textes réglementaires et législatifs et les autorités en charge du secteur, une priorité dans l’action de politique publique de l’Etat sénégalais. Mais au constat de ce qui s’est passé pendant les douze ans d’exercice du régime de Wade, nous sommes tentés de penser que le secteur de l’éducation reste tout de même le parent pauvre de la politique publique.
Les politiques d’ajustements structurels sous l’égide de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, le projet de volontaires de l’éducation de 1996, imposé aussi par les institutions de Bretton Woods, sont certes passés par là en vue de booster le secteur de l’éducation. Mais ces différente mesures sont plutôt favorables à la théories « d’inscrire davantage mais éduquer moins » Et après l’alternance de mars 2000, on aurait consacré 40% du budget national à l’éducation au sens large. Mais le problème est resté et demeure entier.
Nous ne pouvons alors nous empêcher de nous poser des questions sur l’efficacité, sur la rigueur et sur les axes d’orientation des différentes stratégies jusque là mises en œuvre. En effet, la principale difficulté de l’Etat à relever les défis serait liée au fait que les politiques menées dans ce secteur sont prises au cas par cas. En d’autres termes, l’Etat, au lieu de s’intéresser à l’enseignement, sous ses diverses formes, comme un « système » allant du préscolaire au supérieur où les différents niveaux sont liés les uns aux autres, s’est engagé, pendant ces dix dernières années, dans une logique de résolution fractionniste en pensant que la multiplication des ministères résoudrait les problèmes.
Or même dans les textes d’orientation et d’évaluation traitant de l’éducation, on se réfère au secteur sous le vocable de « système éducatif ». En effet il s’agit d’un véritable labyrinthe dont la prise en compte des complexités et des complémentarités aurait permis de donner une belle image à l’école sénégalaise. Mais pourquoi avoir perdu de vue cette dimension systémique du secteur ?
L’efficacité d’une politique éducative réside dans la mise en œuvre d’une gestion commune et concertée de l’école où les élèves, les parents, les associations, les chefs de villages, les mouvements de jeunesse et de femmes, les élus locaux entre autres acteurs directement ou indirectement impliqués dans le rayonnement de l’école sénégalaise doivent prendre une part active dans le tracé des lignes directives de la gestion de l’école en général. Des paramètres oublié ou négligés par le régime libéral ? on ne le saura sans doute jamais. Toutefois les résultats des actes posés jusque-là sont visibles de tous. Ils devraient alors servir de base de réflexion, de refonte et de réforme aux dirigeants actuels.
La rigueur dans l’action est de régler les problèmes du secteur dans une considération particulière de son statut de système organisé et cohérent. Ainsi il importe pour nos dirigeants de savoir que le bon niveau du moyen, par exemple, dépend fortement du vécu et de la situation du primaire. Les envies de formation et les projets de carrière et de statut dans le supérieur prennent leurs racines dans le secondaire. En somme tout est lié dans le système et aucun niveau ne saurait être géré dans une ignorance de ce qui se fait dans l’autre.
La cases des tout petits, bien qu’insuffisamment réparti dans le pays, l’école primaire/élémentaire, le collège, le lycée et l’université fonctionnent telles les marches d’un escalier sur lequel la bonne position et l’équilibre sur une marche permettent de passer sans difficulté sur l’autre.
Monsieur le président, permettez nous de rappeler,
A mon avis, une des multiples erreurs de l’alternance est celle d’avoir géré le secteur de l’éducation d’alors en plusieurs départements pour, dit-on, régler efficacement les maux de l’école sénégalaise comme les grève des enseignants, des élèves et des étudiants. On a alors eu l’impression ; et c’est logique qu’il en ait été ainsi, que le ministère du préscolaire, de l’élémentaire, du moyen, du secondaire et des langues nationales, le ministère de l’enseignement supérieur, des Centres Universitaires Régionaux et de la recherche scientifique et le ministère de l’enseignement technique et de la formation professionnelle fonctionnent et gèrent indépendamment chacun ces volets du système qui leur sont confiés.
Cette division a entrainé la multiplication des dépenses de fonctionnements dans lesquelles les 40% du budget national sont engloutis. Des centaines de milliards de FCFA auraient pu être économisés pour la construction, l’équipement et la modernisation d’infrastructures scolaires et universitaires. Mais les préoccupations étaient plus politiques que patriotiques.
Cette gestion concertée de l’éducation nationale que nous prônons permettraient, par exemple, de réfléchir sur la possibilité de création de nouvelles offres de formation, un impératif qui passerait forcément par une révision profonde des programmes d’éducation. Cette vision prévisionnelle de la gestion du système serait ensuite la base d’une nouvelle politique d’infrastructures scolaires qui s’adapteraient aux nouvelles orientations. La multiplication des établissements de l’enseignement technique, le développement des pôles de recherches scientifiques et la création de nouveaux centres de formation aux nouveaux métiers et dans des métiers à caractère culturel (social, TIC, commerce, culture etc.) auraient ainsi permis le désengorgement des universités et les CUR qui accueillent chaque année presque 85% des bacheliers faute d’offres de formation.
Les politiques défaillantes et les offres de formations limitées (résultats d’une absence de concertation dans la gestion du secteur), influent sur le taux d’achèvement qui reste faible dans tous les niveaux d’enseignement. Aux décrochages et échecs scolaires, nous pouvons apporter une explication sociolinguistique qui pourrait être applicable dans une gestion du secteur de l’éducation en tant que « système ».
Beaucoup d’études de linguistes, de pédagogues et sociologues ont démontré que le cursus scolaire et/ou universitaire de tout apprenant est grandement influencé par son environnement culturel, social et familial. A titre d’exemple, on peut citer Robert Lado, linguiste américain qui, dans ces travaux, a démontré dès 1957 que pour comprendre les envies et les difficultés de l’enfant dans son cursus scolaire, il faut aussi occulter son environnement social et familial.
Partant de ce cet de fait, un adolescent dakarois qui a grandi dans une famille d’artistes et de musiciens peut, dès le collège, manifester un désintéressement total vis-à-vis de l’école classique. Cette attitude peut être due à ce climat familial musical qu’il ne retrouve pas dans les programmes d’études qu’on lui enseigne depuis l’âge de six (6) ans. Or s’il se reconnaissait déjà à cet âge dans l’enseignement qu’il acquiert et s’il était sûr de pouvoir aller le plus loin possible à l’école dans un domaine qui l’a vu grandir, ses chances de réussite seraient plus fortes. Cet exemple est valable pour le jeune enfant de Matam de parents agriculteurs, il l’est aussi pour l’adolescent mbourois de parents pêcheurs ainsi que pour le petit thiessois (de Thiès) de parents cheminots.
C’est dire que le système éducatif sénégalais doit être géré dans une prise en compte des réalités locales car « il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités nationales », disait le général de Gaule. Les Sénégalais attendent ainsi de l’actuel chef d’Etat, Macky Sall des gages de solutions aux maux qui gangrènent l’école sénégalaise.
Mamadou DIOP
Doctorant en Linguistique – Université Bordeaux 3
Chargé de projets FSDIE – Université Bordeaux 3
E-mail : [email protected]
Blog: http://diopthemayor.centerblog.net/