Senghor en a rêvé de ce Sénégalais qui ressemblerait à un Parisien gorgé de vieille France, imbibé de ces humanités qui vous font discerner le Mont Palatin de la Roche Tarpéienne, en même temps que Dakar ressemblerait à Paris. Ibou Diouf et Bocar Diongue rivaliseraient alors avec Picasso et Dali, et Yandé Codou tiendrait tête à La Callas. Ne cherchez pas, c’est passé de mode…
C’est vrai qu’en face, à la même époque, Cheikh Anta Diop, le Pharaon du savoir, a aussi une idée précise de ce que doit être le Sénégalais de type nouveau. Un Africain pure souche, enraciné dans les profondeurs de la culture égyptienne, mère de toutes les civilisations méditerranéennes, et qui replace le centre du monde un peu plus au Sud.
Dans les bas-fonds de Dakar, le débat est moins sophistiqué : il y a les fonctionnaires et les autres. L’école est face à la racaille, le Jaraaf creuse ses tranchées contre la Jeanne d’Arc, alors que dans les dancings, il faut choisir : vous êtes Baobab ou Number One ?
Ce nouveau type de Sénégalais qui fait le fantasme de Senghor, formaté à l’école républicaine, il se heurtera à la dure réalité de la sècheresse du Sahel, des plans d’ajustements structurels que la Banque Mondiale et le Fmi mijoteront pour mettre un terme aux lubies du poète, lequel construit le Musée dynamique pour que les chorégraphes de Mudra s’y tortillent à leur aise.
L’avènement d’Abdou Diouf balaiera toutes ces interrogations surréalistes. L’alternative ? Marche ou crève. Le pays est au plus mal… Le nouveau type de Sénégalais est un citoyen du vaste monde qui va chercher fortune dans les coins les plus reculés de la planète en larguant les bons vieux préceptes du Grand-père Léo, le poète. C’est un démocrate avide de libertés qui se voit ouvrir les vannes de toutes les tolérances. Ce nouveau type de Sénégalais dont Abdou Diouf rêve, c’est dans le ventre des banlieues qu’il se forge, répondant surtout à l’appel d’un nouveau type de politicien, Laye Wade de son nom de guerre. Il est tidiane ou mouride, Super Diamono ou Super Etoile, Baol-Baol ou Saloum-Saloum, Sénef ou djolofman… Ce n’est plus ce Sénégalais constipé par les bonnes manières postcoloniales. Il s’est affranchi des pesanteurs de l’école française, reprend possession de son territoire et revendique sa particularité.
En 2000, c’est ce nouveau type de citoyen qui met fin à quarante ans de règne d’un héritage colonial perpétué par un bon élève de l’Ecole de la France d’Outre-mer. Le nouveau type de Sénégalais qui prend le contrôle du territoire est décevant : on le croyait définitivement enterré par l’Alternance du 19 mars de 2000… Grave erreur ! Il est bien là, encore plus arrogant, plus boulimique d’honneurs et de luxures. Plus décadent. C’est de là que se forgera le ras-le-bol d’une nouvelle génération de Sénégalais dont le code barre est trompeur. Ça n’a l’air de rien, à première vue, toute cette vague de jeunes hirsutes au pantalon tombant sous les fesses. Ils ont cependant un petit quelque chose d’inédit : ils sont les enfants des premiers Sénégalais nés après 1960. Ils ont dans les veines les torrents de l’irrévérence et, à la bouche, le goût des indépendances. A longueur de journée, la bande Fm, les journaux, la rue, ou la vie, tout simplement, leur distillent cette drogue indispensable : ils ont l’instinct des libertés inné. C’est leur culture. Mais surtout, ils savent quel Sénégalais ils ne veulent pas être. Ils ne seront pas cette sorte d’humanoïde que Laye Wade a créé, qui a perdu le sens de l’humain à force de se vautrer dans la fange des privilèges indûment acquis. Ces détraqués qui nous offrent le spectacle pénible de gens de peu d’honneur, prêts à toutes les compromissions pour plastronner à la télé une fois par semaine et rouler à l’arrière d’une limousine estampillée service officiel. Qui renieraient jusqu’à leurs origines pour arborer un costume coupé et scintillant dernier cri assorti d’un portable tactile.
C’est là le message du 23 juin 2011, le jour de toutes les libertés.
La longue marche du Nouveau Type de Sénégalais
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