Caroline Pochon, documentariste française, a été pendant quelques mois la seconde épouse d’un homme au Sénégal. Une expérience de la polygamie qu’elle raconte dans « Deuxième Femme » (Buchet Chastel, 2013), un premier roman très fortement inspiré de la réalité.
Dans le livre, elle s’appelle Hortense et elle étouffe dans son milieu, la petite bourgeoisie de la bonne ville de Caen. Ses premières rencontres avec des Africains lui donnent de l’oxygène. Dès les premières pages du roman, elle écrit :
« Les hommes que j’ai aimés m’ont donné l’Afrique, sa chaleur, ses nuits sans fin, sa musique, sa danse, ses improvisations, son bricolage quotidien, ses langues qui chantent dans la grisaille, ses éclats de rire sans Banania, sa connivence de parias, ses combines miraculeuses. L’ailleurs dans ma vie provinciale, la joie d’être belle et heureuse – par moments. »
« Moi, l’affreuse petite Blanche »
Cette jolie blonde aux yeux bleus, apprentie scénariste, s’échappe du carcan familial et se retrouve à 27 ans, un peu larguée et sous anxiolytiques, au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco) de 1997.
Elle y rencontre Seydou, réalisateur sénégalais. C’est le coup de foudre. Elle le suit chez lui, à Dakar, où elle accepte de se convertir à l’islam pour l’épouser et partager son existence avec sa première femme, Awa, alors enceinte.
Awa accueille la jeune Française en pensant que c’est une collègue de son mari, et ne se doute de rien jusqu’au retour de la noce… Extrait :
« Des cris résonnent dans la cour. Awa vient de comprendre que tout le monde l’a roulée – son mari, le marabout, sa famille, le quartier et moi, la fauteuse de trouble, le djinn envoyé par la France, l’affreuse petite Blanche au cul gros comme son porte-monnaie ! Tous affluent dans la cour où elle se tient debout, les mains sur les hanches, le visage furieux. »
Dans la vraie vie, tout est pareil, sauf que la jeune française s’appelle Caroline Pochon, le mari Masseye Niang et la première épouse, Diodio.
Cette expérience intense a duré deux mois et demi, au bout desquels la seconde épouse rentre à Paris. Elle y prépare, assaillie par le doute, l’arrivée d’un mari avec qui elle a un projet de film, mais qu’elle a cessé d’aimer.
Du temps pour tourner la page
« Seydou, dernier avatar d’une longue série d’amours impossibles. Un homme noir est peut-être un écran que j’utilise pour masquer une vérité – laquelle ? Dans une sorte de mégalomanie caritative, comme si j’avais bu un philtre, j’ai voulu extraire un homme d’une condition qu’il avait pourtant choisie. Et tout à coup, la fée blanche arrive avec sa carte bleue ! »
Caroline Pochon, qui ne perd pas le sens de l’humour, parle aussi dans son roman du mariage mixte, et de la réaction qu’il provoque dans une famille sénégalaise comme chez ses parents, en France. Elle avoue avoir mis du temps, beaucoup de temps, pour tourner la page.
Elle a entamé cette autofiction en 1999, l’a reprise en 2005, après avoir tourné un documentaire sur le même sujet, avec les vrais personnages de son histoire.
Huit ans plus tard, elle publie ce texte fort, tiré de son journal intime, ses souvenirs, mais aussi de plusieurs de ses nouvelles non publiées inspirée par la société de la banlieue populaire de Guédiawaye, à Dakar. Elle explique :
« Je ne voulais pas donner une lecture enfermante, autocentrée sur ses sentiments. »
La polygamie, « modèle sexiste et archaïque »
Sa position, à l’époque, était de ne pas faire le « néo-colon » et de se fondre dans les normes de l’autre, plutôt que d’imposer les siennes. Cela étant, Caroline Pochon a désormais une position très claire sur la polygamie : elle est contre.
« C’est un modèle sexiste et archaïque qui se fait à l’avantage des hommes, dit-elle. C’est un jeu autour de l’absence et de l’attente qui génère beaucoup d’amertume et de frustrations. »
Et de rappeler que dans la société sénégalaise, la notion de couple est « irréductiblement différente de la nôtre, monogame et romantique ». Exemple :
« Un Sénégalais vivant aux Etats-Unis peut très bien se marier à distance avec une fille du village qui servira de bonne à ses parents. »
L’auteur ne part pas en croisade. Au contraire. Elle estime qu’il y a « mille nuances » dans la façon de vivre la polygamie, une expérience qui lui a permis de remettre en question sa propre vision de l’amour. Elle est d’ailleurs restée en contact avec son ex-époux, qui la soutient dans son entreprise littéraire.
« Il vit ce livre comme quelque chose qui lui appartient par procuration. Pour moi, c’est un soulagement. »
Ecrire ce livre lui a permis de se « libérer »
Ecrire ce livre lui a permis de se « libérer ». Même au Sénégal, la question n’est pas souvent évoquée par les femmes – à deux exceptions près :
- L’écrivain Ken Bugul, qui a été la 28e femme d’un marabout, a raconté dans son roman « Riwan ou le chemin de sable » (1999) les bons côtés de son statut de co-épouse ;
- Bien avant elle, Mariama Bâ avait signé « Une Si Longue Lettre »(1979), roman à charge contre la polygamie. Un texte puissant, tiré là encore du vécu d’une première femme, mise devant le fait accompli d’une union de son mari avec une femme plus jeune qu’elle.
Ce grand classique, étudié par tous les collégiens du Sénégal, traite des ravages psychologiques et émotionnels provoqués par la polygamie. Une pratique qui n’a pas faibli, les deuxième, troisième ou quatrième femmes marquant plus que jamais, aujourd’hui, la réussite sociale de l’homme au Sénégal.
Par Sabine Cessou
OOoohooOO !!! Elle ne sait pas ce qu’elle a raté!