Une société écran est une société fictive dont le but est de cacher les transactions financières d’une autre société celle-là bien réelle. Les sociétés écrans permettent ainsi aux entrepreneurs honnêtes de faire de l’évasion fiscale et les personnes malhonnêtes de faire du blanchiment d’argent. On est là en plein dans le fonctionnement anarchique de la finance mondiale qui est plus évident que jamais.
Dans le milieu de l’offshoring, on entend parler de société écran. La définition de l’offshoring consiste à implanter sa société dans une juridiction où la fiscalité est plus avantageuse pour un entrepreneur. On ne peut parler forcément d’illégalité, à priori. Pour le cas des sociétés écrans, les bénéfices des sociétés réelles sont ainsi inscrits au niveau de ces sociétés écrans basées dans des pays à fiscalité réduite.
Concrètement, les sociétés écrans sont installées dans un pays différent de la société réelle, et pour éviter d’afficher des résultats importants pour les sociétés réelles, ces dernières effectuent une transaction intermédiaire (vente par exemple) de manière à ce que les revenus engendrés par les sociétés réelles soient déclarés en tant que bénéfices des sociétés écrans. C’est le principe même de l’évasion fiscale.
Trois principaux pays ont été cités par le substitut du Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite(Crei) comme étant des réceptacles de sociétés écrans qui seraient reliées à Karim Wade. Parmi ces pays, il y a Panama. Aussi, une société panaméenne est une société à l’activité fictive immatriculée au Panama. Cette forme juridique est très employée pour les sociétés-écrans chargées de faire circuler des fonds occultes. Ces sociétés de droit panaméen possèdent des comptes dans des paradis financiers, en particulier en Suisse ou au Luxembourg, gérés par des sociétés fiduciaires (fiduciaire suisse) et dont les ayants-droit sont protégés par le secret bancaire. Ces ayants droit peuvent effectuer des virements vers d’autres sociétés écrans ou retirer des sommes en espèces, qui sont ensuite acheminées vers la France. Fréquemment, les sociétés panaméennes sont gérées par les avocats d’une société fiduciaire suisse, en plus de leur activité de conseils et de placement.
Les sociétés panaméennes offrent ainsi un anonymat complet et leur activité est couverte par le secret bancaire suisse. Elles sont très faiblement taxées et leurs livrets de statuts sont particulièrement opaques et épais. Les conseils d’administration de ces panaméennes sont composés d’avocats ou de juristes panaméens. Pour 3 000 euros, on peut ouvrir par fax ou Internet, dans n’importe quelle fiduciaire suisse, des statuts de sociétés panaméennes « clés en mains ». Les frais de gestion sont ensuite de l’ordre de 1000 à 2 000 euros/an, pour une activité moyenne.
Une autre raison d’être de société écran
Par définition, le blanchiment d’argent permet de blanchir de l’argent sale. En d’autres termes, l’argent sale est de l’argent obtenu par le milieu du crime, de la drogue, du trafic d’humains… et le fait de le blanchir consiste à remettre dans un circuit légal ces activités illégales et d’où l’intérêt de ces sociétés écrans. Cette utilisation des sociétés écran, sort du cadre de l’offshoring pure et simple. Le blanchiment d’argent et la criminalité se nourrissent ainsi de l’opacité de ces sociétés écrans et autre montages juridiques complexes.
La confidentialité et l’opacité concernant les personnes qui possèdent et contrôlent les capitaux facilitent le blanchiment d’argent et la soustraction de certaines sources de revenus à l’impôt. Une grande partie des capitaux non imposés identifiés par TJN (Réseau pour la Justice Fiscale) est détenue au nom de structures juridiques opaques présentes dans plusieurs pays, entre lesquels l’argent est déplacé à l’aide de fausses factures ou de transactions fictives. Ces entités dont la propriété est opaque, dissimulent la fraude fiscale et autres revenus d’origine criminelle, en gardant secrète leur véritable identité fiscale auprès des banques, sous couvert de confidentialité commerciale. Les concepteurs de ces structures déjouent les mesures favorisant la transparence telles que la coopération internationale dans le cadre de l’échange de renseignements fiscaux.
Comme l’explique une étude internationale menée par les universités de Texas, Brigham et Griffith, publiée en septembre dernier, «les sociétés offshore qui masquent l’identité de leurs véritables propriétaires sont le moyen le plus commun pour blanchir de l’argent, donner et recevoir des pots-de-vin, contourner des sanctions, évader le fisc et financer le terrorisme». C’est-là qu’apparaît le caractère illégal d’une société offshore.
Pratiquement tous les délits économiques impliquent l’utilisation abusive d’entités juridiques : les blanchisseurs d’argent passent par des secteurs d’activités dominés par les paiements en espèces et par d’autres moyens juridiques pour dissimuler la source de leurs gains illicites, les corrupteurs et les corrompus effectuent leurs transactions illicites par l’intermédiaire de comptes bancaires ouverts au nom de sociétés et de fondations, et les particuliers dissimulent ou protègent leur patrimoine par le truchement de fiducies et de sociétés de personnes pour le mettre hors de portée des autorités fiscales et autres créanciers.
Le ver est dans le fruit
Mais qu’on se leurre pas, le fonctionnement anarchique de la finance mondiale est plus évident que jamais et la moitié du commerce mondial transite par les paradis fiscaux qui compteraient quelque 4000 banques et 2 millions de sociétés écrans. Après une crise financière qui a secoué toute la planète et se traduit actuellement en une crise économique lourde de conséquences, une réaction forte des responsables politiques mondiaux est attendue.
La grande mascarade sur les paradis fiscaux ainsi que l’agitation médiatique sur le salaire des traders sans décisions fortes sur la réglementation internationale du fonctionnement des structures financières, mettent en évidence l’absence globale de volonté politique de maitriser la situation. Parce qu’en réalité, c’est tout cela qui a contribué à la prospérité croissante des économies de marché avec son lot de fonds vautours, toxiques…
Bien entendu, les grands perdants dans ce système restent les pays en développement qui, selon le Réseau pour la Justice Fiscale (TJN), perdraient chaque année entre 120 à 160 milliards de dollars (USD) de recettes fiscales potentielles, correspondant aux revenus non imposables générés par leurs citoyens dans les paradis fiscaux. Il a été calculé que, même en procédant à une estimation très prudente, les pays en développement perdraient l’équivalent de 160 milliards de dollars par an à cause de la fraude fiscale des entreprises multinationales, qui établissent de fausses factures et manipulent les prix de transfert. Si cette somme était collectée effectivement dans les budgets des pays en développement, avec une répartition inchangée, elle suffirait à sauver la vie de 1000 enfants quotidiennement. Au cours des dernières décennies, la fraude fiscale des particuliers aurait conduit à l’accumulation de 21 à 32 000 milliards de dollars (USD) de capitaux offshore non imposés, selon les dernières recherches du TJN. Et entre 25 et 30 % de ce montant (5 300 à 9 600 milliards de dollars) proviendraient des pays en développement.
En somme, si la vertu est une notion à l’intersection des ensembles de la philosophie, de la religion et du politique, la vertu fiscale, elle, n’est pas franchement partagée comme objectif dans le monde financiarisé global. C’est le moins qu’on puisse dire. Et pendant que la Finance se pavane dans le luxe, les cocktails, les iles, les plages, la luxure, les bombes… ici, sur le plancher des vaches… rachitiques, nos banlieues, marchés, écoles (ou abris provisoires), entre autres, boivent la tasse. C’est toute la problématique qui sous tend la traque actuelle des biens mal acquis.
Malick NDAW