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Jean-Claude Marut, chercheur au CNRS: « Le mandat d’arrêt contre Salif Sadio a-t-il jamais existé »

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Dans cet entretien qu’il a accordé à Cesti-Info, Jean-Claude Marut, chercheur au CNRS, revient sur les récentes évolutions de la crise en Casamance avec l’annonce de la levée du mandat d’arrêt lancé par l’État du Sénégal contre le chef rebelle Salif Sadio. Marut émet de sérieuses réserves sur l’existence d’un tel mandat et pense que cette annonce est un signe encourageant dans un processus de paix en panne depuis quelque temps.

Que pensez-vous de la levée du mandat d’arrêt contre Salif Sadio ?

Comment ce mandat a-t-il pu être levé s’il n’a jamais existé ? S’il n’a jamais existé, cela signifierait-il qu’Abdoulaye Wade aurait menti aux Sénégalais ! Mais pourquoi leur faire croire ou leur laisser croire aujourd’hui que le mandat est levé ? Rechercherait-on des effets d’annonce ? Quoi qu’il en soit, l’important est qu’il n’y ait pas de mandat d’arrêt contre Salif Sadio. On ne sait pas si sa tête est toujours mise à prix ! En supprimant une cause de blocage, l’annonce constitue un signe encourageant dans un processus de paix qui paraissait en panne depuis quelque temps. Pour bien en mesurer la portée, il faut rappeler que c’est la répression gouvernementale du point de vue indépendantiste, le 26 décembre 1982, qui est à l’origine directe du conflit armé en Casamance. Apprendre qu’il n’y a pas de mandat d’arrêt international contre un chef indépendantiste me paraît donc aller dans les sens d’une décriminalisation et donc d’une reconnaissance de ce point de vue politique.

Comment l’expliquez-vous ?

L’annonce est cohérente avec la volonté affichée du président Macky Sall de discuter avec toutes les branches de la rébellion. Mais aussi avec son choix de commencer par Salif Sadio, pour des raisons qui se comprennent aisément. Elles tiennent à sa légitimité militaire. Il est le chef de la branche armée reconnue comme la plus dangereuse pour l’État sénégalais. Il y a aussi la légitimité politique de Salif Sadio qui a la réputation d’être le seul chef maquisard à avoir toujours refusé l’argent de l’État sénégalais. À ce titre, cette annonce s’inscrit dans le sillage de la rencontre de Rome entre ses représentants et ceux de l’État, puis de la libération de prisonniers à laquelle il a procédé le 9 décembre en signe de bonne volonté. On peut également penser qu’elle prend en compte le cessez-le-feu de facto qu’il observe depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir. Mais aussi les demandes de la société civile sénégalaise. Je pense notamment au Groupe de réflexion de Robert Sagna.

Quelles peuvent être les conséquences sur le processus de paix en Casamance ?

Cette annonce ne suffit évidemment pas à faire la paix, mais elle permet de lever un obstacle. La logique voudrait que soient levés tous les mandats, s’ils existent, qui concerneraient d’autres membres du MFDC, notamment Mamadou Nkrumah Sané, le créateur du mouvement indépendantiste, en exil en France. Mais sans doute faudrait-il aussi d’autres initiatives de nature à ramener la confiance et à calmer le jeu, car on sait que les autres factions civiles ou militaires du mouvement ont vivement critiqué un processus dont elles se sont senties exclues.
On touche là l’un des points importants qui hypothèquent le processus de paix : la division de la rébellion. C’est l’occasion de rappeler que cette division résulte largement des efforts des régimes précédents, qui l’utilisaient ensuite comme prétexte pour ne pas négocier. Il n’en reste pas moins que c’est une réalité. Et, aujourd’hui, chaque chef de faction prétend d’autant plus incarner la légitimité du MFDC que des négociations se profilent à l’horizon. On peut d’ailleurs penser que l’insistance de certains à la tenue d’assises de réunification s’inscrit dans cette perspective. Mais on ne peut faire abstraction de l’Histoire : autant la complaisance de certains chefs rebelles envers l’État sénégalais que les affrontements meurtriers entre groupes armés ont laissé des traces. La grande question est donc de savoir s’il faut attendre une hypothétique unité du MFDC pour faire la paix ou faire la paix avec le mouvement tel qu’il est, c’est-à-dire divisé. En prenant garde à ce que les avancées, à mon sens légitimes, en direction de Sadio n’oublient pas les autres groupes : leurs réactions constituent un risque pour tout le processus. Certains le savent, et ont tout intérêt à les manipuler…

En tant qu’observateur de la crise en Casamance, que pensez-vous de l’information relative à l’audience Macky Sall – Salif Sadio au Palais de la République ?

Voilà qui constitue sans doute un bel exemple de manipulation. L’information me paraît en effet difficilement crédible. Salif Sadio passe pour être un obsessionnel de la sécurité, et je l’imagine mal en train de déambuler dans les rues de Dakar… En tout cas, le hasard fait que je suis passé devant le Palais de la République le jour où il est censé s’y être rendu, et je peux vous affirmer que je ne l’ai pas croisé ! Plus sérieusement, j’imagine mal qu’après avoir résisté pendant toutes ces années aussi bien aux offensives militaires qu’aux avances de l’État, le chef maquisard radical ait brusquement craqué, alors que c’est justement sa ténacité qui lui vaut son nouveau statut d’interlocuteur privilégié de l’État. Je me trompe peut-être, mais j’ai tendance à penser que ceux qui ont lancé ou repris à leur compte cette rumeur ne veulent pas que du bien à Sadio…

CESTI INFO (ITV réalisé par Ibrahima Sarr, Dg du Cesti)

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